J'ai un peu raté l'affaire Julien Dray, à cause de mes trois mois d'absence, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Comme tu sais, Tracfin (les feuks de la finance) a soupçonné le replet dirigeant socialiste de s'être gavé aux frais de la Fidl (les lycéens) et d'SOS Racisme (pour les plus âgés).
Ces associations lui auraient offert les coûteux produits de l'horlogerie helvétique qui font l'orgueil de sa vêture.
Je n'ai rien contre Julien Dray.
Je reconnais facilement qu'il n'a pas un physique de chippendale, et je comprends tout à fait que l'ostension de breloques onéreuses puisse le consoler des injures que lui a faites la nature.
Il n'est pas le seul dans ce cas.
L'exemple vient de haut.
D'ailleurs, rien ne prouve qu'on ait acheté ces petits bijoux avec les
subventions reçues par la Fidl et SOS Racisme; et de toutes façons, je
préfère que mes impôts servent à faire plaisir, plutôt qu'à abrutir la
jeunesse, ou à détourner vers des problèmes sociétaux l'attention que
mérite la lutte des classes.
Non, dans l'affaire Tracfin-Julien Dray, c'est Tracfin qui m'intéresse.
Tracfin (ou, si vous préférez, Traitement du Renseignement et Action
contre les Circuits FINanciers clandestins) est un organisme
gouvernemental dépendant des ministres de l'Economie et du Budget (en
l'occurrence, Christine Lagarde et Eric Woerth).
C'est le pendant financier de la DNAT (Direction Nationale Anti
Terroriste) et de la Cour d'Assises Spéciale (qu'il est inutile de
présenter depuis l'affaire Colonna).
Elle a pour mission principale la lutte contre le blanchiment des
capitaux (issus des trafics de stupéfiants) et le financement du
terrorisme.
On a depuis précisé que cela concerne la fraude aux intérêts financiers
des communautés européennes, le crime organisé, et le produit de la
corruption.
Tracfin n'enquête pas vraiment. Sa spécialité, c'est de recueillir des dénonciations.
Depuis mai dernier, celles-ci sont devenues obligatoires (on n'arrête pas le progrès moral).
Les professionnels de la finance, de la comptabilité et du droit sont tenus de les effectuer.
Les investigations plus profondes sont confiées aux soins de l'Office
Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière qui est
le répondant de Tracfin au ministère de l'Intérieur. Les deux
organismes ont été fondés le même jour, le 9 mai 1990, pour traiter
ensemble des mêmes questions.
Les missions de l'OCRGDF concernent le blanchiment de fonds, les
aspects financiers du crime organisé, les fraudes aux intérêts
financiers de l'UE, la répression du financement du terrorisme.
Et, me direz-vous, Julien Dray dans tout ça?
Justement : bien que portant la barbe, il ne ressemble pas à Oussama Ben Laden.
La Fidl n'est probablement pas une antenne d'El Qaida, non plus qu'SOS Racisme le représentant en France du Cartel de Medelin.
A priori, on voit mal en quoi les supposées malversations de Julien constituent une priorité pour Tracfin.
A posteriori, on le comprend vite.
Tracfin, c'est en tout et pour tout 52 fonctionnaires, en comptant le
chef, le sous-chef, les sous-fifres, la standardiste et les secrétaires.
L'année dernière, cette vaillante équipe a examiné 14 565 dossiers de dénonciation.
Il est peu probable qu'elle ait eu le temps de s'intéresser à tous, mais elle en a tout de même transmis 359 à la justice.
Pour 2009, Julien Dray fait partie des heureux élus.
Tout comme, il y a deux ans, Denis Gautier-Sauvagnac et L'UIMM avaient
décroché le gros lot (bien qu'on n'ait jamais pu prouver les liens du
Medef avec la Rote Armee Fraktion).
En réalité, vous l'aurez remarqué, les exploits de Tracfin dans le
domaine de l'anti-terrorisme et du trafic de stupéfiants sont assez
minces.
En 2008, les soupçons à ce propos concernaient une somme totale de 614
000 euros, ce qui est ridicule, et n'ont, semble-t-il, aboutis à rien
puisqu'on n'en a pas plus entendu parler.
C'est d'ailleurs bien naturel.
Tant qu'à dénoncer quelqu'un, mieux vaut ne pas choisir un terroriste ou un parrain de la mafia.
Ces gens-là sont atrocement jaloux de leur tranquillité.
Il est tout à fait normal que les dénonciations concernent avant tout
des personnes n'ayant rien à voir avec ces dangereuses activités.
Ce qui laisse à Tracfin tout le loisir de s'en occuper, pour le plus
grand malheur des dirigeants socialistes ou ceux du patronat entrés en
rébellion à l'égard du pouvoir en place.
.
Car, en réalité, Tracfin n'a pas la possibilité de communiquer directement ses dossiers à la justice.
Il lui faut, pour cela, l'aval du ministre de l'Economie : autant dire, par les temps qui courent, celui de Nicolas Sarkozy.
Qui sans doute, n'est pas mis au courant de tout.
Mais dans le cas de Julien Dray, comme autrefois celui de DGS, à tous les coups, si.
Il avait gardé trois ans sous le coude le scandale de l'UIMM, et ne
l'avait fait sortir qu'au moment de la fusion ASSEDIC-ANPE et de la
réforme de la représentativité syndicale, auxquelles cette organisation
patronale prétendait s'opposer.
J'ignore à quelle époque son regard fut attiré par les tic-tac bling-bling resplendissant au poignet de son ami Julien.
A mon avis très tôt, car le sujet l'intéresse.
L'affaire ne sort qu'aujourd'hui car, après la faillite de Martine
Aubry à la tête du PS, il convient de se remettre à taper sur Ségolène
Royal.
Tu me diras que tout cela ne te concerne pas, ils n'ont qu'à se tuer entre eux, y a pas de perte humaine.
Certes.
Mais il y a la méthode.
Tracfin, tu l'as remarqué, est une instance policière, bien qu'implantée au ministère de l'économie.
La loi de mai 2009, qui oblige à effectuer des dénonciations ailleurs
qu'en justice, innove : dorénavant, le citoyen ne doit plus seulement
rendre des comptes à la justice. Il en doit aussi à la police.
Et pas seulement à propos d'importants personnages, ou de trafiquants louches.
L'obligation de dénoncer concerne toutes les infractions ou fraudes passibles de plus d'un an d'emprisonnement.
Je vais t'expliquer : un bon exemple vaut mieux qu'un long discours.
Suppose que tu changes de bagnole.
Et que tu oublies de signaler, dans ta déclaration de revenus, la
rentrée d'argent correspondant à la vente de ton précédent tas de boue.
C'est cinq ans, le minimum pour fraude fiscale.
Et ainsi de suite.
Tu comprends facilement qu'à peu près tous les habitants de notre beau pays auront un jour leur dossier chez Tracfin.
Qui ne pourra certes pas s'occuper de tout le monde.
Mais qui fera un effort pour les cas les plus intéressants, qui auront reçu l'aval du pouvoir en place.
Tu me diras qu'aucun tribunal ne te condamnerait pour n'avoir pas déclaré la poignée d'euros de ta tire pourrie.
Je te le souhaite, encore que ces temps-ci ils soient de plus en plus sévères.
Mais tu oublies que c'est Tracfin qui s'occupe de toi.
Ils n'ont besoin d'aucun mandat pour fouiller dans ton compte en banque sans même que tu sois au courant.
La loi l'y autorise, car elle autorise à l'anti-terrorisme ce qu'elle ne permet à personne d'autre.
Si tu n'as rien à te reprocher, tant mieux pour toi.
Mais s'ils trouvent des dons clandestins effectués par ta vieille mère à l'occasion de ton anniversaire, ton cas s'aggrave.
Ainsi va la vie dans un Etat policier.
Il ne met pas tout le monde en prison.
Et il ne t'y mettra probablement pas, je te rassure, tu es trop gentil(le) pour ça.
Mais il y met qui il veut.
Il n'a qu'à choisir.
Puisque là où la police a tous les droits, tout le monde est coupable.
Et Julien Dray plus encore que le commun des mortels.
à 19:36