Question sacrilège diront certains.
Il
ne s’agit pas d’une vision prémonitoire mais de ce que l’on peut tirer de l’expérience
des mobilisations sociales –novembre 2007 et surtout du fiasco revendicatif
absolu de mai 2008 sur fond de fantasme à propos de « « mai
68 ».
Il
ne s’agit pas non plus de dénoncer simplement ce que certains appellent la « trahison
des directions syndicales » qui ont négocié par dessus la tête des
salariés, et qui en mai 2008 se sont révélées totalement impuissantes… mais
plutôt de l’expliquer.
La
situation est en effet autrement plus grave qu’une simple « trahison de bureaucrates », c’est
tout le sens de l’action syndicale qui est remis en question, c’est
toute la question du problème de la riposte des salariés aux atteintes de leurs
acquis et de leurs conditions de vie par le capital.
CONDAMNES
A LA DEFENSIVE
L’offensive
conservatrice sans égal depuis un quart de siècle auquel doit faire face le
monde salarié se fonde sur deux piliers déterminants et solides :
- l’absolue nécessité de rentabiliser le capital dans un monde marchand généralisé, ce que l’on
appelle la « mondialisation »
- la perte de toute capacité sérieuse
d’initiative des salariés due en grande partie à cette nouvelle répartition
du travail…. entraînant un éclatement des forces.
Cette
rentabilisation du capital, qui fonde le système en place depuis son origine,
est devenue aujourd’hui un impératif catégorique qui, contrairement à une
époque, où dominaient les « grands pays industriels développés », ne
peut plus se permettre d’accorder des « avantages » à ses salariés.
La
mondialisation marchande, en mondialisant les marchés des biens et services,
mais aussi celui de la force de travail, a vidé la classe ouvrière des pays
développés d’une grande partie de son potentiel offensif et l’a atomisé, mettant
ainsi les gestionnaires du capital en position de force.
A
l’époque où l’on pouvait arracher des concessions au capital et bénéficier de
miettes substantielles, les syndicats jouaient un rôle essentiel dans
l’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés. Ils étaient en
position essentiellement défensive mais des résultats étaient incontestablement
obtenus.
Ce
n’est plus du tout la même situation aujourd’hui.
UNE
STRATEGIE EN TROMPE L’OEIL
Bien
sûr les directions syndicales ne peuvent pas reconnaître cette nouvelle
situation,… il y va de leur survie. Reconnaître cette situation c’est
reconnaître ses limites. Les salariés eux-mêmes ont du mal à l’admettre… ils
maintiennent l’espoir illusoire d’une efficacité dans la lutte… ceci est tout à
fait humain de leur part… Et ce d’autant plus qu’ils n’ont aucune stratégie de
rechange, se reposant exclusivement sur les directives syndicales.
Le
patronat et le Gouvernement pour leur part ont aussi intérêt à maintenir
l’illusion pour éviter tout acte de désespoir… et de jouer le jeu du
« conflit social sérieux » avec les syndicats… et de
l’ « espoir de résultats »…. Sans parler du double discours sur
la « volonté de dialogue ».
On assiste ainsi à une curieuse chorégraphie
entre « partenaires sociaux » et l’Etat où chacun ment sur ses
intentions… L’Etat et le patronat font mine de respecter les syndicats alors
qu’ils savent pertinemment qu’ils n’ont aucune issue, et les syndicats jouent
un rôle offensif, qui n’est en fait que défensif, alors qu’ils savent qu’ils
seront obligés de céder…. et ce sont les salariés de base qui font les frais de
cette escroquerie.
Les
syndicats brassent de l’air, des promesses, des espoirs, en faisant croire aux
salariés que l’ « on va voir ce
que l’on va voir ». La situation de mai 2008 est significative à cet
égard !
En
fait il n’y a plus rien à voir : Gouvernement et patronat
non seulement font passer leurs « réformes » mais taillent à la hache
dans les « acquis sociaux » et ce, dans le silence assourdissant
d’une « opposition » qui sur le fond est satisfaite que le
« sale boulot » soit fait par la droite… car, ne nous faisons aucune
illusion,… quand la « gauche » reviendra au pouvoir, elle entérinera
les décisions prises par la droite – souvenez vous des privatisations !
LE
SYNDICALISME D’ANTAN EST MORT
Bien
sûr, les syndicats ne vont pas disparaître comme par enchantement, et ce pour
trois raisons :
- le pouvoir a
besoin d’interlocuteurs responsables, c'est-à-dire capables de canaliser le
mécontentement,
- les syndicats
sont des bureaucraties puissantes qui luttent pour leur survie,
- il va falloir du
temps pour que la majorité des salariés constatent la situation impossible
dans laquelle ils se trouvent et finissent par comprendre le rôle des uns et
des autres… en l’absence de nouvelles structures,… ils vont se contenter d’un
statut quo.
Mais
le syndicat tel qu’on l’a connu, instrument de lutte pour défendre
efficacement le salarié, est mort.
Alors
que la défense était « payante » à l’époque où le Capital
« pouvait payer »,… cette défense est aujourd’hui impossible… encore
moins les « conquêtes ».
Le
rôle aujourd’hui du syndicat est de faire passer en douceur les décisions du
Capital… c’est exactement ce qui vient de se jouer, mais aussi, et ça se
passe tous les jours, pour négocier des conditions pas trop pénibles de
licenciement… « aménagement des plans sociaux » comme on dit
pudiquement.
Le
syndicat est devenu la confiture pour faire passer la pilule.
LE
VIDE… « IL VAUT MIEUX CA QUE RIEN »
Si
tout ce qui vient d’être dit est vrai, les derniers conflits sociaux l’ont
clairement montré, malgré une mobilisation potentiellement conséquente, les syndicats n’ont plus les moyens de
défendre les intérêts acquis, encore moins de prétendre à de nouvelles conquêtes
sociales… tout juste organiser la débâcle.
Il
sont bien évidemment incapables de procéder à un tel diagnostic, et ne veulent
même pas en entendre parler… mais la question demeure : que faire à
présent ?
Qui
a la réponse à cette question ? A priori personne, pourtant elle est et
demeure.
Ce
vide, l’Etat et le patronat vont s’y engouffrer, élargir leurs conquêtes. Les
principaux acquis sociaux et les bastions qui les défendaient ont été vaincus.
C’est désormais la porte ouverte à toutes les atteintes… à la rupture, comme
ils disent, avec la liquidation du modèle social si difficilement conquis par
les salariés.
La
stratégie de lutte est à revoir… aussi bien la défensive, qui vient de faire
faillite, que l’offensive qui a été abandonnée depuis pas mal de temps et qui
demande à être réinitialisée.
La
culture de lutte qui était entretenue par les syndicats est entrain de se
déliter…
Beaucoup
de salariés en restent au constat simpliste : « Il vaut mieux ça
que rien !... », « Il vaut mieux un syndicat faible que
pas de syndicat du tout !... ». Cette remarque d’apparemment bon
sens n’est en fait qu’un constat de capitulation et surtout un formidable
obstacle à un ressaisissement en vue de l’avenir.
Ce
fatalisme, entretenu par toutes les structures syndicales vermoulues et un
patronat toujours prêt à liquider les acquis, est absolument à combattre non
pas en ayant une attitude conservatrice (repli sur soi), mais en ouvrant des
perspectives nouvelles.
Pessimisme
diront certains… ce à quoi je répondrai : il n’y a pas pire aveugle que
celui qui ne veut pas voir.
Patrick
MIGNARD
mai 2008
Voir
aussi :
« ILS
NE CEDERONT PLUS RIEN »
« LE
TROISIEME AGE DU SYNDICALISME »
« LA
REVOLUTION NEO CONSERVATRICE »
« CHRONIQUE
D’UNE CAPITULATION NON ANNONCEE »
« LA
DERNIERE ILLUSION »