lu sur federation-anarchiste : " Il y a quelques mois les relations internationales de la Fédération Anarchiste sont entrées en contact avec des membres de Anarchistes Contre le Mur. A travers des échanges par courriel, des articles écrits pour le Monde Libertaire, et lors de rencontres en France avec des membres du collectif, il est devenu évident que ce groupe mène une lutte permanente contre l’état d’Israël et pour l’abolition de l’apartheid au Proche Orient.
Confrontés aux réalités de l’action directe, les Anarchistes Contre le Mur ont de gros problèmes financiers pour combler les amendes encourues, les frais d’avocats, et les coûts d’actions régulières. C’est pourquoi la Fédération Anarchiste lance aujourd’hui un appel à soutien pour aider nos camarades des Anarchistes Contre le Mur. L’argent récolté ira en partie pour payer les frais du collectif et en partie pour développer et pérenniser le mouvement et la pensée libertaires en Israël et en Palestine (affiches, tracts, publications, info-kiosk, etc.).
Pour lancer cet appel, nous avons trouvé propice qu’un membre du collectif nous livre ses impressions sur les Anarchistes Contre le Mur et les réalités que vit ce groupe depuis sa création. Cet article a été écrit par Kobi Snitz pour le Monde Libertaire et a été traduit de l’anglais par les relations internationales de la FA.
Merci d’envoyer vos chèques de soutien à l’ordre de « Publico—Anarchistes contre le mur » à La Librairie Publico, 145 rue Amelot, 75011 Paris.
Le Secrétariat aux relations internationales de la FA
Ce qui suit sont mes impressions des dilemmes rencontrés par les Anarchists Against the Wall (AATW) et les choix qu’on fait ce groupe. Ces impressions ne représentent pas un consensus ou autre position officielle des AATW ; un tel positionnement n’existe pas.
A l’origine Il y a environ quatre ans, quelques militants et militantes israéliens se sont rassemblés pour créer un groupe d’action politique pour s’opposer à la soit disant « barrière de séparation » (le mur) de l’état d’Israël. Les actions qui ont marqué les débuts de ce groupe et qui continuent aujourd’hui sont basées sur la non-violence et la « propagande par le fait ». Elles laissent les petits discours et l’institutionnalisation à d’autres.
Le groupe s’est formé autour d’un campement à Masha, où ensemble avec des militants et militantes internationaux et palestiniens, un campement de protestation a été monté sur la route du mur dans le village de Masha. Lorsqu’il résistait à la construction en cours du mur, le groupe a aussi coupé la clôture barbelée et en a détruit des parties.
Lors d’une autre action du même genre en décembre 2003, un militant israélien a été tiré dans les deux jambes par l’IDF [les forces de défense israéliennes] avec des vraies balles à une distance de tir très rapprochée. Jusqu’alors le groupe changeait de nom à chaque action, mais la médiatisation autour de cet événement a figé le nom du groupe sur celui choisi pour l’action ce jour là : Anarchists Against the Wall.
En Israël, comme ailleurs, le mot anarchiste est souvent utilisé de façon négative. Son synonyme le plus proche en Israël est probablement « sataniste ». Mais cet amalgame sert deux buts positifs : il libère le groupe de se soucier de son image publique, chose qui paralyse souvent l’action politique, et, encore plus important, il démontre la détermination du groupe de fixer lui-même ses buts et actions. Cette autonomie renforce le groupe car elle offre aux membres actifs et aux membres potentiels la possibilité d’agir en fonction de leurs vrais convictions, sans être contraints de prendre une position pragmatique dans un débat pour lequel les termes sont dictés d’avance par d’autres.
Le début d’une lutte commune Vers la fin 2003 et en début 2004, des comités populaires ont été créés dans plusieurs villages palestiniens qui s’apprêtaient à perdre une bonne partie de leurs terres à cause du mur. Ces comités avaient pour but de résister contre le mur et ont commencé à manifester presque quotidiennement. L’expérience du campement de Masha a fait en sorte que des israéliens et israéliennes ont été invités à participer à ces démonstrations. Ce fut le début d’un long partenariat entre les AATW et les comités populaires de nombreux villages.
Les AATW ont alors inauguré une période d’activités très intense. Il y avait des manifestations dans plusieurs villages plus ou moins tous les jours et, avec un groupe de quelques dizaines d’israéliens et israéliennes, les AATW ont réussi à marquer une petite présence à chacune des manifestations où ils étaient invités.
Bien sûr, chaque manifestation palestinienne comporte aussi son troupeau d’israéliens non-invités, sous la forme de l’armée ou de la police aux frontières. L’importance d’avoir des militants et militantes israéliens à ces manifestations est que leur présence réduit de façon importante la violence employée par l’armée contre la manifestation. L’armée avoue même ouvertement que sa politique de tirer sur une foule change lorsqu’elle soupçonne la présence d’israéliens lors d’une démonstration. [1]
Malgré ceci et même avec des niveaux de violence réduits, neuf palestiniens on été tués lors de manifestations contre le mur, certains même lorsqu’il y avait des israéliens présents. Des milliers d’autres ont été blessés ou arrêtés, d’autres encore ont passé des mois en prison.
Les réalités Une importante résistance israélienne contre le mur est difficile à cause de l’extrême racisme qui existe en Israël. Celui-ci fait en sorte qu’une opposition au mur par principe est incompréhensible ou est comprise comme un encouragement au meurtre d’israéliens. De ce fait, les AATW sont toujours marginalisés et sujets de persécutions légales et d’attaques violentes lors de manifestations.
A ce jour, des membres des AATW ont été arrêtés plus de fois que l’on ne puisse compter ; 63 accusations ont été déposées contre des membres du groupe et une militante a déjà été incarcérée pendant plusieurs mois. L’activité habituelle des AATW sous-entend non seulement un contact constant avec l’avocat du groupe—l’excellente et très dévouée Gaby Lasky—mais aussi une connaissance intime des infirmiers et infirmières d’un grand centre d’urgence à Tel-Aviv.
La pression infligée par de tels risques de danger physique est dure à porter pour un groupe militant qui est assez ouvert à l’arrivée de nouvelles personnes et à la présence de sympathisants lors d’actions et manifestations. Les AATW se posent constamment la question de comment être le plus prudent possible sans abandonner leurs partenaires palestiniens. D’ailleurs, il n’est même pas certain qu’il existe des précautions à prendre qui soient efficaces pour réduire les risques lors de manifestations. De toutes les blessures graves subies par des membres des AATW ou par des sympathisants invités par le groupe, une fois seulement les militants auraient pu éviter que quelqu’un soit blessé.
Les difficultés d’une lutte commune Un autre aspect original du travail des AATW est la lutte commune qui est menée ensemble avec des palestiniens. Celle-ci n’est, bien sûr, pas sans difficultés. On ne peut pas s’attendre à ce que les palestiniens et palestiniennes acceptent et fassent confiance immédiatement à des israéliens et israéliennes. En plus des craintes d’espions ou de provocateurs, la coopération avec des israéliens comprend un degré de « normalisation » qui se traduit par un ajustement aux conditions de l’occupation.
Les militants et militantes israéliens portent avec eux des influences culturelles qui peuvent ne pas être bienvenues dans certaines parties de la société palestinienne. De ce fait, et malgré qu’il n’y ait aucune plateforme formalisée, les AATW insistent sur quelques principes dans le travail commun.
Le premier principe est que malgré que la lutte soit menée conjointement, les palestiniens et palestiniennes sont ceux qui sont le plus affectés par les décisions qui sont prises lors de la lutte, et de ce fait c’est eux qui doivent prendre les décisions importantes. Ensuite, les israéliens et israéliennes ont la responsabilité particulière de respecter l’auto-détermination palestinienne, et celle-ci s’étend au respect des coutumes sociales et à ne pas se mêler de la politique palestinienne interne (dont la matière abonde !).
Une question plus délicate est celle de la normalisation versus les bien faits des liens sociaux. Il y a des standards culturels différents et il serait autoritaire d’essayer de les changer, sans parler de les imposer aux individus. Le seul principe est celui de respecter les demandes faites par les comités populaires à cet égard.
Les détails ci-dessus donnent peut-être l’impression que les difficultés de la lutte commune sont plus importantes qu’elles ne le sont vraiment. En réalité, la lutte commune fait face à une seule difficulté principale et celle-ci prend la forme de l’état d’Israël. L’attention portée aux problèmes ci-dessus est pour montrer le processus de développement politique vécu par les AATW ensemble avec ses partenaires palestiniens. Au cours de ces dernières années de luttes intensives, ces problèmes ont dû être surmontés.
Etant en quelque sorte le relais central entre les mouvements de la paix israéliens et palestiniens, les AATW ont transmis leur expérience au mouvement de la paix israélien et ont joué un rôle important dans son développement politique.
Au moment où les AATW ont commencé, l’idée que des israéliens se joindraient à des manifestations palestiniennes semblait impensable pour une grande majorité de la gauche israélienne. Après plusieurs années d’action, le nombre d’israéliens et d’israéliennes ayant participé à des manifestations communes avec des palestiniens et palestiniennes est de plusieurs milliers et comprend des personnes qui ne sont pas du tout marginalisés. Hormis ceux présents dans des circonscriptions majoritairement arabes, aucun parti politique israélien n’a soutenu la lutte commune contre le mur.
L’obligation des « citoyens » de résister aux actes et politiques criminels menés par « leur » gouvernement est reconnue en droit international et elle oblige les israéliens et israéliennes à faire tout leur possible pour résister à leur gouvernement. L’obligation de résister contre ce mur devient encore plus évidente pour toutes celles et tous ceux qui ont déjà été témoin de l’amputation des villages et des villes sur son parcours.
Baisser le regard et ignorer les crimes commis en nos noms, avec nos impôts, par les étudiants que nous formons, ou par ceux que nous côtoyons par politesse, nous fait perdre un peu de notre humanité. Ce fardeau contraint la population israélienne à être esclave de sa propre peur. Dans ce sens, l’acte de désobéissance et de résistance est aussi un acte de libération personnelle ; une option ouverte aux israéliens et israéliennes qui voudraient rejoindre la lutte.
La lutte de la population palestinienne contre ceux qui voudraient qu’elle s’éloigne ou disparaisse totalement est une lutte permanente simplement pour exister. Cette lutte est soutenue par des militants et militantes israéliens chaque fois à un certain risque personnel. Cependant, la peine maximale pour les israéliens et israéliennes ne comprend pas toute une vie d’insécurité financière et le fait d’être soumis aux caprices des soldats occupants. Si ces risques ne sont pas assez pour décourager nos camarades palestiniens, alors nous non plus ne pourrons être découragés.
Kobi Snitz, militant des Anarchists Against the Wall
www.awalls.org
[1] Aviv Lavie, “Picking their battles,” Haaretz English edition, 15-04-2004
à 17:29