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Lu sur Bakchich : "Ah, que les cieux seraient paisibles et l’horizon des grands patrons dégagé s’il n’y avait plus ces incessantes menaces de poursuites devant les tribunaux. Plus d’insupportables soupçons d’abus de biens sociaux, de présentation de faux bilans ou de diffusion d’informations trompeuses. Plus de juges d’instruction capables de les interroger des journées entières sur les comptabilités douteuses ou les caisses noires constituées dans de lointains paradis fiscaux. Plus de juges des libertés susceptibles d’envoyer ces honorables présidents mariner quelques mois en prison, au milieu des petits malfrats. Bref, quel bonheur si les dirigeants économiques pouvaient échapper à la justice commune, au droit pénal des affaires.
Ce monde patronal idéal, ce rêve de dépénalisation, auquel le Medef croyait à peine, Nicolas Sarkozy est en train de le mettre en chantier. Le président de la République veut inventer un nouveau paradis capitalistique, qui laisse enfin libre cours à l’esprit entrepreneurial, sans obstacles, ni bâtons dans les roues. En faisant disparaître certains délits financiers du code pénal, le coup de baguette serait magique : les juges n’auraient plus beaucoup de prises pour empêcher les patrons de faire ce que bon leur semble, y compris arroser leurs amis. Finis les ennuis judiciaires, finies la plupart des affaires politico-financières ! Du grand art !
Cet enterrement de première classe, digne d’un Berlusconi réformant la justice italienne pour que son clan échappe aux poursuites, a été annoncé en grandes pompes par Nicolas Sarkozy le 30 août devant l’université d’été du Medef. « La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme ». Applaudissements nourris dans la salle. Le président a enfoncé le clou le 6 septembre lors d’une visite au Tribunal de commerce de Paris : « Je n’ignore pas que, d’ores et déjà, le droit des sociétés a été débarrassé de nombre d’infractions formelles qui n’avaient pas de justifications. Mais il faut aller plus loin », a insisté Nicolas Sarkozy. Il a notamment cité le cumul, à ses yeux injustifié, entre des sanctions pénales et celles relevant des administrations, des autorités de régulation, ou de tribunaux civils et commerciaux. Curieuse démonstration en vérité ! Si l’on applique la pensée présidentielle de manière radicale, alors il n’y a plus qu’à jeter le code pénal en entier à la poubelle. La superposition des droits, dans bien des domaines (droit pénal, droit social, droit du commerce, droit de la concurrence, droit fiscal) n’est pas une aberration en soi. Elle n’a rien d’un luxe : le pénal sanctionne souvent les délits les plus graves, et garde, dans bien des cas, des vertus exemplaires. Sans cette menace, il n’est pas certain que certains patrons ne franchiraient pas plus aisément la ligne jaune de la voyoucratie. Si les délinquants en cols blancs ne risquent que de simples amendes fiscales ou des avertissements de l’Autorité des marchés financiers, il n’est pas sûr que cela suffise à les dissuader. Ancienne juge d’instruction à Paris, Éva Joly a réagi sur France-Info aux propos de Nicolas Sarkozy en disant ne pas comprendre « un pays qui responsabilise ses enfants et ses fous et qui irresponsabilise ses élites ».
Suez craignait visiblement que sa filiale belge, très rentable, veuille se détacher de sa maison mère. Pour se défendre, l’un des « plombiers » avait alors assuré, lors des investigations, qu’il était « en mission » afin de vérifier la fiabilité du système et de contrôler l’ordinateur d’un cadre suspecté de divulguer des informations à l’extérieur. Le parquet de Bruxelles, qui a demandé en 2006 le renvoi en correctionnelle de cinq responsables d’Electrabel et de Suez, dont le fameux Patrick Ouart, y voit plutôt « hacking, tentative de hacking et interception de communications privées ». De jolis mots qui n’ont pas empêché le nouveau président, Nicolas Sarkozy, de nommer Ouart à son cabinet. Certes, un chargé de mission lui a été adjoint en la personne de Christophe Ingrain. Au cas où Ouart serait empêché ?
Une chose est sure : la plupart des grandes affaires qui ont défrayé la chronique – du scandale Elf aux marchés truqués des lycées d’Ile-de-France, en passant par l’affaire Noir-Botton, le Crédit lyonnais ou les frégates de Taïwan – ont bien été instruites sur la base de délits financiers punis par le code pénal : abus de biens sociaux, faux bilans, blanchiment, corruption. Les investigations menées par les juges du pôle financier de Paris, avec des personnalités fortes comme Éva Joly ou Philippe Courroye, ont servi d’aiguillon à une justice plus indépendante, qui a fait irruption dans le monde économique et politique pour y imposer davantage de rigueur et de transparence. Les résultats judiciaires ont parfois été décevants à l’arrivée. Mais les enquêtes ont dérangé nombre de grands patrons mis en examen et certains de leurs amis politiques.
Le retour de manivelle n’a pas tardé. Depuis 2002, les enquêtes financières sont moins prioritaires. Les équipes de police judiciaire affectées à ces dossiers d’instructions ont été réduites à la portion congrue. Les juges broient du noir, comme l’a bien décrit Éric Decouty, dans Un fiasco français, histoire secrète du pôle financier (Denoël, 2006). La dépénalisation du droit des affaires constitue un autre volet de cet affaiblissement récent des juges. Voilà plusieurs années que le Medef, soutenu par quelques élus, travaille à « réformer » ce pan du droit pénal. Un rapport du sénateur Philippe Marini, en 1996, a conduit à supprimer progressivement plus de la moitié des 140 sanctions pénales contenues dans le droit des sociétés. La plupart concernait des délits mineurs ou inappliqués. Le porte-parole de l’actuel Garde des sceaux Rachida Dati assure d’ailleurs que le projet de réforme en cours d’étude ne vise, grosso modo, qu’à poursuivre ce simple toilettage des textes. Mais le groupe de travail constitué sur le sujet autour de la ministre de la Justice ne va probablement se contenter de cette version « minimaliste ». La suppression du délit d’initiés, du délit d’entrave au fonctionnement des comités d’entreprise, ou la prescription plus rapide des abus de biens sociaux, sont, par exemple, au menu des travaux de ce groupe de travail. Composé de magistrats et d’avocats bien en cour, il est présidé par Jean-Marie Coulon, premier président honoraire de la cour d’appel de Paris, peu connu pour ses idées gauchisantes.
Rachida Dati est déjà convertie aux thèses patronales de la dépénalisation. Elle a eu le temps de réfléchir sur ces questions, notamment comme magistrate au cabinet de Nicolas Sarkozy à Bercy, ou auprès de ses amis du CAC 40, dont Henri Proglio, le sémillant Pdg de Véolia Environnement, héritier de la vieille Compagnie générale des eaux, qui fut naguère engluée dans bien des affaires… Rachida, de toute façon, sera bien surveillée par Patrick Ouart, le conseiller Justice de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, qui a la haute main sur ce dossier sensible. Un véritable homme de l’art : ancien conseiller de Balladur, Ouart a fait une belle carrière dans le privé, chez LVMH et Suez, où il a écopé d’une malencontreuse mise en examen (voir encadré) qui doit prochainement le conduire devant un tribunal… belge. Proche du Medef, ce conseiller spécial est, lui aussi, partisan d’une dépénalisation assez radicale. Histoire que les méchants juges n’embêtent plus les gentils patrons. Ouart est également soutenu en coulisses par son ami Michel Dobkine, ancien magistrat détaché aux douanes à Bercy, ex-directeur de l’Ecole nationale de la magistrature jusqu’en juin dernier. Naguère tenté par le privé (Bolloré l’a approché), directeur de cabinet de la colérique Rachida durant quelques semaines, Michel Dobkine vient d’être nommé avocat général à la Cour de Cassation. Un poste d’observation idéal pour donner quelques conseils sur cette dépénalisation promise. Àl’enterrement des affaires, il y aura du beau monde, c’est promis…
lundi 17 septembre 2007 par Roger Caviardi