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Alternative libertaire : Tu constates que l’évolution de la société dans les trente dernières années va à l’encontre du discours dominant sur « le triomphe des classes moyennes ». En quoi est-ce révélateur de l’existence tant niée des classes sociales et de leur antagonisme ?
Roland Pfefferkorn : Le discours de classe tel qu’il se déclinait, dans sa diversité, dans les sciences sociales, jusqu’à la fin des années 1970 s’est effacé au moment où la polarisation sociale se renforçait à travers la montée généralisée des inégalités sociales. Le paradoxe du tournant néo-libéral qui intervient au début des années 1980 en France réside dans ces deux faits contradictoires : d’un côté l’affrontement capital-travail se radicalise ; et de l’autre côté, tant dans les sciences sociales que dans les médias, des discours de substitution vont s’imposer : la thèse de la « moyennisation » notamment, mais aussi celles de « l’individualisation du social », de « l’invisibilisation des classes » ou, plus particulièrement en France, celle de « l’exclusion ». Le point commun de ces discours de substitution réside dans leur commune occultation du schème du conflit. Autrement dit, quand l’antagonisme de classe s’accentue, apparaissent des discours qui en nient la réalité.
Peut-on parler de « prolétarisation » des classes moyennes et, spécialement des cadres, comme le laissait entendre Marx ?
Roland Pfefferkorn : C’est difficile de répondre en deux mots car la notion floue de « classe moyenne » est entendue dans des sens très différents qui accentuent encore la confusion propre à cette notion qui a été critiquée très tôt en sociologie. Marx utilisait à juste titre le concept de prolétariat qui recouvre l’ensemble des catégories de salarié-e-s exploité-e-s. Aujourd’hui une partie des cadres n’encadre plus, ce sont en fait des salarié-e-s hautement qualifié-e-s dont les rémunérations, la situation parfois précaire et les représentations les rapprochent davantage des autres salarié-e-s, notamment dans le secteur public, mais pas seulement.
Comment faut-il comprendre le concept de genre dans le cadre du capitalisme ?
Roland Pfefferkorn : Le concept de « genre » doit à mon sens être mis en rapport avec celui de « rapports sociaux de sexe ». Dans les sciences sociales, leurs définitions tendent à se rapprocher car tous deux insistent sur le caractère construit et antagonique des rapports hommes-femmes. Toutefois, le second insiste souvent davantage que le premier sur le travail comme levier de la domination et de l’émancipation, et surtout sur la nécessaire articulation des rapports de classe et de sexe. Je développe précisément ces questions dans toute la deuxième partie de mon livre.
Entre les avancées consécutives au mouvement féministe des années 1969-76 et les politiques publiques des dernières années, les oppositions de genre se sont-elles réduites ?
Roland Pfefferkorn : Des changements incontestables ont permis aux femmes d’accéder à une plus grande autonomie, notamment en maîtrisant leur fécondité. Mais des freins de toute nature pèsent en sens inverse. Les États développent des politiques qui se réclament aujourd’hui le plus souvent d’une rhétorique égalitaire, notamment en Europe, mais quand on les examine dans le détail on se rend compte que si certaines mesures vont effectivement dans ce sens, d’autres au contraire visent à renvoyer ou à maintenir les femmes dans un rôle de mère ; sans compter les mesures qui visent à développer le travail à temps partiel des femmes.
Propos recueillis par Renaud (AL Strasbourg)
• Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux : de rapports de classes et de sexe , Editions La Dispute, 2007, 412 pages, 25 euros.
[1] 1. Roland Pfefferkorn est professeur agrégé de sciences sociales à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, et a écrit différents ouvrages avec Alain Bihr sur la question des inégalités : Hommes/femmes, l’introuvable égalité, Editions de l’Atelier, 1996 ; Déchiffrer les inégalités, Syros-La Découverte, 1999 et Hommes/Femmes, quelle égalité ?, Editions de l’Atelier, 2002.