René Riesel - Tilt ou la recherche scientifique en référé 12 octobre 2000.
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Notes & Morceaux Choisis : "Le 5 juin 1999, dans le cadre de la Caravane intercontinentale, cent cinquante personnes, dont cinquante paysans indiens, pénétraient dans lenceinte du Centre international de la recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de Montpellier. Après avoir fracturé une serre de confinement, elles entreprenaient la destruction de quelques milliers de plants de riz insecticide Bt, ainsi que dune collection de riz faisant lobjet de diverses recherches génomiques.Comme la remarqué si justement Bernard Bachelier au nom du CIRAD, « pour la première fois, ce sont des équipements et des essais de la recherche publique qui ont été atteints. Au-delà du CIRAD, cest toute la communauté scientifique qui est visée ». Le CIRAD décida donc de porter plainte.
Le 22 juin 1999, un coup de filet, également sans précédent dans les annales transgéniques françaises, aboutissait à linterpellation dune dizaine de personnes, puis à la mise en examen de José Bové, René Riesel et Dominique SouIlier.
Le 18 septembre 2000, la juge dinstruction ordonnait le renvoi de laffaire en correctionnelle (laudience est fixée au 8 février 2001).
Le 26 septembre 2000, le CIRAD faisait délivrer des assignations en référé au 12 octobre pour obtenir de la juridiction civile la désignation dun expert. Lexpertise déjà effectuée avait chiffré le préjudice matériel dont le CIRAD sestime victime à 247 706 francs (119 706 francs de dégâts et 128 000 francs pour le coût de la « reconstitution des plants de riz »). Mais, aux yeux du CIRAD, cette « approche » ne prend « pas en compte les préjudices immatériels, de nature scientifique et morale [...], lesquels sont de loin les plus graves ». Le CIRAD pense pouvoir les évaluer à la somme de douze millions de francs.
Prévue par les textes (article 5.1 du Code de procédure pénale), une telle procédure est suffisamment rare (le plus souvent, lexpertise est ordonnée en même temps quil est statué sur laction pénale et laction civile) pour poser quelques questions.
On pourrait sétonner quun organisme de recherche détat, investi dune « mission de service public » consistant à « fournir une expertise indépendante » et une « recherche fondamentale ouvrant la voie à une meilleure gestion de la biodiversité », ne se contente pas de satisfaire aux exigences du retour sur investissement et profite de loccasion pour faire une affaire assez peu immatérielle.
Sachant que les trois prévenus quand bien même on les condamnerait, comme cela a été suggéré, à des travaux dintérêt général consistant à rempoter des plantes transgéniques pendant quelques siècles sont incapables de sacquitter de pareilles sommes, ne sagit-il pas plutôt pour le CIRAD de disposer, à la date du procès, dune évaluation de son préjudice si exorbitante quelle incitera le tribunal à la plus grande fermeté ? Une telle interprétation nest pas à exclure.
Dautres sont toutefois envisageables. On sait que les chercheurs publics en particulier ne sembarrassent pas trop de la question de l utilité sociale prêtée à leurs travaux, constamment préoccupés quils sont de la recherche des financements nécessaires à la poursuite dune quête dont la gratification est ailleurs : salaire, prestige de la publication, aspects intrinsèquement ludiques de la recherche, etc.
Cest donc finalement, non pas au tribunal, mais à létat et aux autres bailleurs de fonds lUnion européenne, par exemple , que le CIRAD entreprend de démontrer combien leur concours ultérieur est dès à présent indispensable pour reconduire des recherches et des expertises qui ne seraient en définitive hors de prix que parce quelles relèvent dabord de préoccupations humanitaires ou environnementales.
Des arguments de cet acabit (il est même question, dans lassignation en référé, de la « création de riz naturellement [sic] résistants aux prédateurs, permettant de limiter le recours aux insecticides ») nont, par conséquent, quune fonction strictement utilitaire.
On nen arrivera pas davantage à lessentiel le 8 février prochain, lors des prévisibles empoignades entre les partisans dune recherche qui produit les néotechniques du contrôle social et ceux, velléitaires, dun contrôle citoyen du commerce, de la démocratie, de la mal-bouffe, de la technologie et de la recherche. Bref, une querelle sonore sur la meilleure manière de vouloir la même chose, répondant à linjonction lancée par Alain Weil (CIRAD) à « la grande majorité des opposants aux OGM [...] sincères et honnêtes » de « se démarquer de quelques manipulateurs manichéens qui profitent de la crédulité de leur auditoire pour mener dautres combats ».
On préférera ici trancher tout de suite en faisant état, à propos des prétentions du CIRAD, de quelques évidences sur lesquelles tout ce beau monde est daccord pour faire silence.
Lorsque le CIRAD réclame cyniquement réparation des « préjudices immatériels », il sait quil recourt à une notion indéfiniment extensible. On comprend donc mal la réserve qui le mène à cantonner lessentiel des dommages « aux travaux scientifiques anéantis, quil est nécessaire de reconstituer, au retard que le CIRAD enregistre dans la recherche, à lannulation des publications prévues portant sur les résultats obtenus, au coût de la rémunération des chercheurs et techniciens payés en pure perte, etc... ». Doù viennent cette surprenante timidité, cette étonnante retenue ? Pourquoi ne pas dire tout de go que les saboteurs de juin 99 sont responsables des famines à venir ? Et que dire des nombreuses créations demplois quauraient occasionnés ces riz transgéniques, des expertises sans nombre auxquelles ils auraient inévitablement donné lieu ?
Quant au « retard que le CIRAD enregistre dans la recherche », le premier téléspectateur venu est dorénavant dûment informé que « les Français » refusent majoritairement lalimentation génétiquement modifiée. Le développement dont soccupe le CIRAD, consistant notoirement à faire accéder les pays du tiers-monde à lenviable prospérité de pays comme la France, impliquerait-il dimposer là-bas ce qui est refusé ici ? Dailleurs, les populations des pays réputés en retard commencent à prendre elles-mêmes en main leur développement, en ce sens quelles développent, pour leurs raisons retardataires, leur refus des plantes transgéniques. On pourrait donc dire sans réclamer pour autant pour ceux qui lont commis quelque rétribution ou médaille que ce soit que ce sabotage de sa recherche na fait subir au CIRAD aucun préjudice mais la, bien au contraire, aidé à rattraper son retard sur une réalité historique quil persistait, à son grand préjudice, à ignorer.
Plus sérieusement, il est temps de comprendre que, faute dêtre allée au bout de sa logique, lagitation contre les OGM à usage agricole fait désormais fonction de leurre, comme si les boniments antimondialistes ne suffisaient pas ; pendant ce temps, loffensive menée sur le front de la génomique humaine quelle quy soit la part du bluff et des effets dannonce progresse, sans rencontrer la moindre résistance, sur le premier terrain quelle sétait assigné : celui du contrôle des esprits.
On le constate déjà dans le domaine des manipulations végétales ou animales, dont le premier objectif est, ouvertement, avant même la reconquête des marchés perdus, lacceptabilité, cest-à-dire la production dune demande sociale pacifiée. La recherche a dû apprendre à communiquer. La mode technoscientiste que sapplique à propager depuis quelques trimestres un nombre croissant de médias de masse latteste aussi. Cest bien le signe que la récréation est finie et que la formation continue.
Car, pour finir sur un des arguments invoqués par le CIRAD, quant à savoir si « lintroduction dans du riz de gènes permettant à la plante de se défendre spontanément contre les insectes pourrait constituer un progrès » (ainsi le CIRAD définit-il comiquement ses objectifs de recherche expertisante sur les riz insecticides quil sapprêtait à repiquer en Camargue), il nappartient manifestement pas à un organisme scientifique, fut-il public, den décider.
Cela pourrait se traduire par une dernière interrogation qui permettra à chacun de choisir son camp : la question de savoir ce qui constitue ou non un progrès nest-elle pas, à lévidence, trop simple pour quon laisse les scientifiques y répondre ?
René Riesel.