--> par Dr Richard L. Greeman, PhD.(2)
I. Une guerre contre la rationalitéLa campagne d’hystérie religieuse lancée pour ‘sauver’ Terri Schiavo, l’infortunée jeune femme maintenue contre ses vœux dans un coma irréversible depuis 18 ans, n’est que le dernier épisode délirant d’une guerre menée contre la rationalité par la droite chrétienne au pouvoir aux Etats-Unis. En effet, depuis la mince victoire électorale de George W. Bush en 2004, l’Amérique semble de plus en plus aux prises avec une psychose de type ‘religieux.’ Partout la rationalité et la science sont assiégées par la superstition et la pensée magique. Parallèlement, le mensonge officiel médiatisé investit la place de la réalité objective dans le discours politique et les médias.
Psychologie politiqueQu’est-ce que la psychologie politique3 peut nous apprendre sur l’étiologie, la dynamique et l’éventuelle résolution de cette psychose sociale ? Si on regarde la société américaine selon le modèle appliqué aux familles de type ‘abusives,’ on constate que le grand obstacle que rencontre l’observateur est le ‘déni psychologique’ dans lequel vivent les sujets -- qu’ils soient ‘victimes’ ou ‘abuseurs’. C’est la fameuse histoire de l’éléphant dans le salon dont personne ne parle. Que la pathologie prenne la forme de l’inceste, de l’alcoolisme, de la cleptomanie, du jeu ou de la violence, les membres de la famille affectée, dans notre cas de la société affectée, se trouvent intimidés par le parent abuseur et deviennent ses complices dans le déni. Ils finissent par rentrer dans son délire, accepter ses ‘rationalisations,’ et vivre dans sa pseudo réalité oppressive. Pour rester lucide et objectif, l’observateur doit évidemment se placer à l’extérieur du délire, mais cela ne suffit pas. Nous avons même à nous demander si notre propre méfiance vis à vis de formes d’analyse systématiques comme la psychanalyse et le Marxisme ne relève pas de cette complicité dans le déni.
Car la psychologie politique doit aussi comprendre les symptômes comme faisant partie d’un ensemble, d’un système psychotique dont il faut découvrir les contradictions internes. C’est ce que nous tenterons de faire dans de cette série d’articles.
Evidemment, l’analyse, la raison et l’esprit critique sont des ennemis mortels de tout système psychotique, et l’abuseur doit à tout prix les délégitimer.
Ainsi, la vague de déraison qui déferle sur la société américaine contemporaine affecte la vie religieuse, politique et même scientifique. Le dernier épisode délirant – celui d’une femme morte-vivante que le régime intégriste de Washington voulait à tout prix nourrir par tube alors qu’il enlève les crédits pour la nourriture des enfants pauvres -- a fini par faire scandale en Europe. Mais elle est loin d’être isolée. La même semaine, la presse américaine rapporte bien d’autres symptômes aussi inquiétants de ce délire politico-religieux. En voici quelques-unes unes que je soumets à l’analyse psycho-politique dans cette série.
Apocalypse NowCommençons par le New York Review of Books du 24 mars. Là le vénérable journaliste de la TV Bill Moyers examine la portée des livres les plus vendus aux EU -- les douze romans de la série apocalyptique ‘Left Behind’ (Laissés derrière). L’auteur, Tim La Haye, est un militant de droite qui fonda avec le télévangéliste Jerry Falwell un puissant lobby, La Majorité morale. Ses romans futuristes racontent les ‘derniers jours’ de la terre : son Apocalypse arrivera quand les Juifs auront repris toutes les Terres bibliques. Alors, les légions de l’Antéchrist donneront bataille à’Armageddon, le Christ descendra pour le jugement et les Croyants (ses lecteurs) monteront au Ciel d’où ils verront leurs adversaires politiques et religieux affligés de pestes et d’afflictions. Repris par les sectes Chrétiennes fondamentalistes et par des Républicains autour de Bush, ce scénario hallucinant sert de trame à la politique du régime. On parle communément d’un ‘conflit entre civilisations’ entre la démocratie américaine et l’Islam politique, mais il s’agit plutôt d’un conflit entre intégrismes, car le Christianisme politique de Bush et le Judaïsme de Sharon valent bien l’Islamisme des Ayatollahs.
Par rapport au Moyen Orient, la droite chrétienne, traditionnellement anti-sémite, soutient maintenant l’Etat Juif. Naguère, les chevaliers chrétiens du Klu Klux Klan lynchaient indifféremment ‘nègres’ et ‘youpins’. Aujourd’hui ils font bloc avec le lobby sioniste et le lobby pétrolier au Congrès, alors que l’influent sénateur Lieberman, démocrate et sioniste, s’associe ouvertement avec les sectes fondamentalistes chrétiennes. Dans leur abracadabrant scénario religio-politique, Israël va terrasser l’Antéchrist arabo-musulman alors que Bush et sa clique s’accaparent profitablement les réserves de pétrole du Malin … En ce qui concerne l’environnement, les Républicains chrétio-libéraux appliquent la même ‘logique’ téléologique. Inutile de sauvegarder le patrimoine naturel, les Derniers jours arrivent. Ainsi, le gouvernement ouvre les forêts ancestrales des parcs nationaux à la coupe pour enrichir leurs amis du lobby forestier, suppriment les restrictions sur la pollution pour enrichir les milliardaires de l’automobile et du charbon et proposent les vastes terres vierges d’Alaska à la cupidité de l’industrie pétrolière.
« La terre, est-elle plate ? »Or, comme la science et la rationalité condamnent ces exigences économiques et géopolitiques du capitalisme américain, on fait la guerre à la science et la rationalité en lâchant la bride à la folie superstitieuse. Ainsi, dans le N.Y. Times du 19 mars, on apprend que des cinémas Imax (écrans en 3-dimensions dont certains installés dans des musées de sciences) refuseront de montrer des films documentaires qui parlent d’évolution, du Big Bang ou de la géologie de la terre contredisant ainsi les descriptions bibliques de la Création -- de peur d’attirer des protestations des Chrétiens fondamentalistes. Déjà dans un grand nombre d’états fédéraux, on impose aux professeurs du secondaire de présenter l’évolution comme ‘seulement une théorie’ et d’enseigner à côté la ‘Science créationniste’ et le‘Dessin intelligent’ : la complexité de la nature comme ‘preuve’ d’une Intelligence divine créatrice. Même la revue distinguée National Geographic a suivi le mouvement avec un numéro titré « Darwin se trompa-t-il ? » ce qui provoqua une parodie ‘poisson d’avril’ dans le dernier numéro du Scientific American : avec comme articles « La terre est-elle plate ? » « Le mythe de l’atome » et « Ignorons le CO2 ».
Hélas, la fausse science prônée par le gouvernement n’est pas une mauvaise blague, car elle lui permet de rejeter comme ‘non prouvés’ les rapports publiés par des instances scientifiques et par sa propre administration de la protection de l’environnement (EPA) afin de réviser les statuts concernant la pollution en faveur des industries concernées. Elle justifie aussi la censure de la pensée médicale en interdisant au personnel de toutes les institutions qu’il finance (y compris à l’étranger) de parler d’IVG ou de contraception. Enfin, le fanatisme violent des terroristes ‘chrétiens’ n’est pas une plaisanterie pour ses victimes humaines: médecins pratiquant l’IVG assassinés impunément, cliniques attaquées à la bombe impunément, le vieux petit juge de Floride, pieux chrétien, menacé de mort par les intégristes pour avoir enfin permis à la jeune femme de mourir après 18 ans de procédures. Curieusement, la police ferme les yeux devant ces manifestations de terrorisme chrétien. Pourtant, c’est un terroriste chrétien, pas un Arabe, qui a placé la bombe au Fédéral Building d’Oklahoma City qui a fait plus de 600 morts quelques années avant l’attaque islamiste des Deux Tours qui en a fait 3000.
Une campagne qui a foiréMais la campagne pour ‘sauver’ Terri Schiavo a foiré. Espérant gagner une bataille contre la rationalité en exploitant le drame de Floride, les intégristes de tout poil ont suscité une vague d’ hystérie ‘religieuse’ au nom du droit à la ‘vie’ artificielle et végétative. En tête, le Texan George W. Bush, qui se dit ‘personnellement sauvé par Jésus Christ’ secondé par son frère Jeb Bush, Gouverneur de Floride et Président-désigné pour 2008, qui s’ingère dans l’affaire Schiavo depuis des années. Ces deux chevaliers chrétiens étaient soutenus par les chefs du Congrès, par tous les télévangélistes fondamentalistes des Etats-Unis ainsi que le par le Polonais mort-vivant Karol Wojtyla, grand ayatollah de la secte autoproclamée « sainte, catholique et apostolique » dont l’Europe toute chrétienne célèbre aujourd’hui les obsèques dans une orgie de religiosité malsaine. Or, malgré la complicité des médias et des Démocrates au Congrès qui votèrent une loi d’exception pour ‘sauver’ la femme morte-vivante, le public américain ne s’est pas laissé berner. Selon le sondage CBS du 23 mars, 82% des Américain/es s’opposent à ces interventions et 74% n’y voient qu’une manœuvre politique opportuniste. L’hystérie religieuse déchaînée par le gouvernement a donc été mise en échec par la rationalité des citoyens. Pourtant, 80% à 90% des Américain/e s’identifient comme pratiquants ou croyants. Comment expliquer ce paradoxe ?
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