Depuis1981, les Parisiens ont la chance de disposer d'une radio qui, sous un angle libertaire, aborde tous les aspects de la société. 25 ans ininterrompus de débats et de participation à la vie politique directe.
A la fin des années 70, des radios pirates commencent à émettre un peu partout pour protester contre le monopole d'Etat sur les ondes. Lorsque les socialistes gagnent les élections en mai 1981, ils ont conscience qu'ils jouent là leur crédibilité : ils brisent ce monopole et ouvrent les fréquences. S'y engouffrent de nombreuses radios associatives, mais également de nombreuses autres commerciales.
En mai 1981, la Fédération anarchiste décide lors de son congrès de la création de Radio Libertaire. Celle-ci commence à émettre le le` septembre 1981. Les moyens sont modestes : le matériel a coûté un peu plus de 2000 E. Les émissions se font dans une cave de Montmartre (1). La radio n'émet que quelques heures en soirée, animée par des militants bénévoles. Chacun apporte ses disques, gère la technique, ce qui ne va évidemment pas sans quelques cafouillages.
Tentative d'interdictionL'effervescence dans le milieu de la radio fait que l'Etat légifère et en août 1983, la Haute autorité de communication audiovisuelle, ancêtre du CSA, redistribue les fréquences. Les radios commerciales ont déjà fait du lobbying pour en prendre le maximum. La gauche semble les préférer aux radios alternatives : la fréquence de Radio Libertaire est alors attribuée à NRJ ! Le CSA refuse le projet de Radio Libertaire sous prétexte d'un nombre d'heures d'émission insuffisant. La radio devient illégale mais continue d'émettre. La police ne tarde pas à réagir et une descente de police "de gauche" a lieu le 28 août 1983, avec confiscation du matériel et sciage dû mat de l'antenne. Un concert de soutien est organisé avec Léo Ferré, des carnets de souscription sont mis en vente. La Ligue des droits de l'homme, la CNT et d'autres radios apportent leur soutien. Radio Libertaire prend alors conscience qu'elle a trouvé en deux ans un vaste réseau d'auditeurs. Une manifestation de rue réuni 5000 personnes. Une semaine après, les émissions illégales reprennent. Dès septembre, le gouvernement cède et le CSA accorde une dérogation. Depuis, que le gouvernement soit de gauche ou de droite, l'autorisation a toujours été renouvelée.
BénévolesLes studios resteront longtemps plus ou moins bricolés, puis seront progressivement modernisés avec l'aide de souscriptions dans le mouvement anarchiste. Le studio déménage plusieurs fois, les locations n'étant pas renouvelées par des propriétaires inquiets des va-et-vient provoqués par la radio.
En 1998, après de nouvelles souscriptions, la radio peut enfin acheter ses propres locaux, une quarantaine de mètres carrés dans un quartier encore populaire de Paris.
Les heures d'émissions se sont multipliées au fil du temps pour finalement émettre tous les jours sensiblement de 8 h à minuit. Il y a actuellement environ 80 émissions animées par 200 personnes. Elles sont culturelles, musicales ou militantes. Il n'y a pas de journal radio.
L'ensemble du fonctionnement de la radio, depuis ses débuts, a toujours été entièrement bénévole. Le suivi est animé par quatre secrétariats mandatés chaque année au congrès de la Fédération anarchiste. Le premier secrétariat a pour rôle de faire fonctionner l'association et donc de gérer les relations avec les différents interlocuteurs (administration, CSA...).
Le deuxième a la charge de la technique. Le troisième, celui de la programmation, en lien avec des personnes ou des associations qui gèrent elles-mêmes leurs heures d'antenne. Enfin, le quatrième secrétariat gère la trésorerie.
Si l'on regarde en détail la grille des émissions, on peut y découvrir une très, large palette de thèmes. C'est là toute l'intelligence de la Fédération anarchiste qui a su s'ouvrir à de multiples formes d'expressions, de luttes, confiant de très nombreuses heures d'antennes à des associations plus ou moins proches: Libres penseurs, CNT, écolo-libertaire (Les Mangeux d'terre, un lundi par mois à 9h30, La Grenouille noire un vendredi sur deux à 21 h), Droit au logement, femmes libres, soutien aux prisonniers (Ras les murs, mercredi à 20h30), une émission faite par des écoliers (Radio cartable, le jeudi à 14 h), l'Union pacifiste (Si vis pacem, le jeudi à 18 h), Act-up (Sida bla-bla, un jeudi par mois à 19h30, en alternance avec des émissions homo, trans et lesbiennes), un collectif d'associations africaines (Koumbi, le vendredi à l0h), Sat Amikaro (Radio espéranto, le vendredi à 17h30), Ligue des droits de l'homme, collectifs de sans-papiers... avec des variations selon l'actualité ; comme en 1986, pendant le mouvement étudiant où la grille des émissions est largement bouleversée pour laisser la parole aux jeunes manifestants. Expérience qui se renouvellera lors de nombreux autres mouvements sociaux.
Au départ, la musique était utilisée comme bouche-trou. Mais très rapidement des propositions ont permis de renforcer considérablement le côté musical et culturel de la radio. Aujourd'hui, on peut y entendre toutes les musiques et des débats sur le cinéma, le théâtre, la BD, les livres, la chanson, la danse, la vie associative, la vie des quartiers... Certaines émissions durent depuis plus de vingt ans comme une émission de jazz animée par Gérard le mardi soir.
Ce formidable investissement bénévole est complété par une collaboration croisée avec Le Monde libertaire, l'hebdo de la Fédération anarchiste, et Publico, la librairie anarchiste de Paris où se déroulent de très nombreux débats.
Les militants ne sont pas toujours à l'aise devant une plume ou un micro. Cette multiplication des modes d'expression favorise l'expression de tous.
A noter que le Monde libertaire fonctionne également entièrement sur du bénévolat, seule la librairie, a deux permanents.
En 2005, quelques férus d'informatique ont mis en place sur le site de la Fédération anarchiste un procédé technique qui permet à tous ceux qui disposent du haut-débit sur internez, n'importe où dans le monde, 'd'écouter la radio sur leur ordinateur. Cette réussite leur a fait prendre contact avec d'autres radios, anarchistes ou non, d'ici ou d'autres pays, qui souhaiteraient bénéficier de la même technique... même si, pour le moment, elle est encore un peu chère. Au sein de l'Internationale des fédérations anarchistes, on étudie actuellement un projet pour essayer de mutualiser les moyens nécessaires pour avoir cet accès internet et éventuellement pour permettre des échanges d'émissions.
Le fait que l'ensemble est bénévole permet d'avoir un budget relativement peu élevé. Radio Libertaire bénéficie, comme les autres radios sans publicité, du Fonds de soutien aux radios associatives. Le complément vient de cartes de soutien à 20 € écoulées par la Fédération anarchiste, mais également par les associations qui ont leurs émissions. Quelques concerts de soutien, des bals folks, voire des souscriptions permettent de boucler le budget.
Chaque animateur a des contraintes administratives à respecter, notamment celle d'enregistrer ses émissions et d'en conserver la trace en cas de demande du CSA, qui peut être saisi d'une plainte. Il y a parfois quelques dérapages, notamment dans les directs, mais c'est rare. Le plus souvent, l'animateur fait un correctif dans l'émission suivante et cela suffit. En cas de refus, il est prévu que la Fédération anarchiste puisse demander la lecture d'un communiqué à l'antenne, voire suspendre l'émission.
Une expérience socialeLes anarchistes sont souvent rejetés par les réformistes comme de simples utopistes. Si plusieurs expériences de gestion anarchiste ont eu lieu en temps de guerre (Commune de Paris, mouvement de Makhno en Ukraine, guerre civile en Espagne), il existe aussi des expériences concrètes comme la Ruche de Sébastien Faure ou, plus près de nous, la République éducative de Bonaventure, deux expériences liées à l'éducation des enfants. Le mouvement anarchiste est aussi riche de lieux communautaires, de librairies, de maisons d'édition... L:intérêt politique de Radio Libertaire est qu'il s'agit d'une initiative prise en dehors de toute contrainte initiale, qui s'est donc développée du seul fait de l'envie de ceux qui y participent.
En 25 ans, des centaines de bénévoles ont été animateurs, des milliers d'auditeurs ont participé à une émission ou à une soirée de soutien. Bien qu'encadrée par un contexte politique, social et économique qu'elle n'a pas choisi, Radio Libertaire a su mettre en application les fondements de ce que pourrait être une organisation anarchiste... Contrairement à ce que répètent bêtement les grands médias, ce n'est pas l'inorganisation, mais bien au contraire une organisation très structurée, qui fonctionne de la manière la plus horizontale possible, et où les seuls responsables sont choisis collectivement sur mandat révocable à tout moment.
La vie quotidienne de la radio, avec forcément des absences, des invités qui se croisent, des divergences d'opinion, des relations interpersonnelles... a su s'organiser pour assurer sans interruption et en se développant progressivement une radio qui dispose aujourd'hui d'une grande capacité d'émission et d'une forte sympathie de la part de nombreux auditeurs. Lexpérience concrète démontre qu'une organisation anarchiste fédéraliste est possible sur la durée. Une preuve également qu'une pensée anarchiste ne donne pas un cadre rigide, mais permet une mosaïque d'approches, une grande diversité. De quoi rendre optimiste sur le potentiel de la pensée anarchiste.
MB
Radio Libertaire (89,4 Mhz), do Publico, 145, rue Amelot, 75011 Paris, tel: 0148 05 34 08.
(1)Aujourd'hui à cette adresse se trouve La Rue, une bibliothèque libertaire.
S!lence #337 été 2006
à 17:02