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Néanmoins, au travers de leurs réponses, on
peut remarquer que divers milieux se croisent. Cela va de l’artiste qui
travaille pendant de longues journées dans son atelier loin de tous, au
paysan qui vit dans un terroir semi-désertique de la campagne
française ; de ces révoltés urbains vivant en communauté, à ces
étudiants qui, dans les universités, trouvent à la fois le savoir
institutionnel mais aussi des copains leur faisant connaître des
auteurs qui ne sont toujours pas inscrits au programme scolaire. Et
pourtant, certaines réponses nous informent qu’on peut connaître les
idées libertaires parfois au collège (pendant le cours d’instruction
civique en cinquième, comme a répondu un jeune employé de 26 ans), ou
au lycée (par mes professeurs d’histoire, ainsi que l’a indiqué ce
fonctionnaire des PTT de 39 ans) ou enfin à l’université, où il y a
parfois un prof de philo ou de sociologie qui fait connaître les idées
et les auteurs anarchistes, aux élèves.
La lecture de ces réponses nous
permet en fait de restituer une image qui, à défaut d’être exhaustive,
est quand même proche, me semble-t-il, de ce qui est en réalité la
pratique et la vie quotidienne des libertaires aujourd’hui : un
ensemble, bouillonnant, hétérogène, bavard, sensible, excentrique,
militant, curieux, responsable, autrement dit un être humain sensible
et réfléchi, selon les termes utilisés par un jeune cuisinier de 27 ans
pour résumer ce qu’est selon lui un anarchiste.
Cette diversité
s’exprime non seulement dans les lectures indiquées plus haut, mais
aussi par leurs sensibilités politiques. En effet, la liste des groupes
politiques, des mouvements sociaux non libertaires dont ils se sentent
proches est très longue. D’Amnesty International à La Libre Pensée.
D’Act-up ! au CIRC (mouvement pour la légalisation du cannabis). Des
squats à la Ligue des droits de l’homme. Des écologistes mais pas la
tendance Waechter, plutôt les verts quand ils sont d’extrême gauche,
aux situationnistes. De l’extrême gauche marxiste révolutionnaire aux
mouvements de libération sexuelle. En effet, il semble qu’il y ait là
une partie de ce peuple d’une gauche libertaire, écologiste et
"révolutionnaire" (1). Même s’ils sont nombreux à n’adhérer à aucune
organisation libertaire, mais aussi à aucune autre organisation ou
association non libertaire (34 réponses sur 140, ce qui est en effet un
nombre important). Ces derniers sont-ils pour autant des
individualistes dans le sens traditionnel du terme ? Pas forcément,
même si une personne dit adhérer au MMM (Moi-Même Mouvement), et
d’autres ne se sentir proches d’aucun mouvement politique. Or, parmi
elles, il y a soit des personnes ne participant à aucune organisation
anarchiste spécifique non plus, soit des personnes pour qui au
contraire, l’appartenance à un groupe anarchiste semble être
suffisante.
La diversité libertaire, on la retrouve aussi dans les
manifestations auxquelles ils participent. En effet, ils vivent dans
une optique d’engagement constant, comme ce militant de la Fédération
Anarchiste Francophone (FA) affirmant participer à toutes les
manifestations et à toutes les activités organisées par les
anarchistes. Mais ils sont aussi présents dans la rue lors des
nombreuses manifestations, à côté de la gauche et l’extrême gauche.
Dans l’année où ce questionnaire a circulé (mars 1995-mars 1996), ils
ont participé aussi à des manifestations écologistes, contre les essais
nucléaires, ou au col du Somport contre la construction du tunnel. Ils
ont été présents ou organisateurs de manifestations antifascistes, pour
l’avortement, contre l’exclusion, contre Pasqua (lorsqu’il était
ministre de l’Intérieur), ou encore pour soutenir les luttes au
Chiapas, la liberté en Algérie, le droit au logement, etc. Ils/elles se
déplacent pour participer à des manifestations mais aussi aux colloques
et aux nombreuses conférences et débats (ou projections vidéos suivies
de débat) organisés par les collectifs libertaires sur des thèmes aussi
divers que l’espéranto, la médecine alternative, la révolte
psychédélique, la science et l’anarchie.
À propos de ces débats, la
liste est très longue. Ce qui représente, en réalité, un nombre
incalculable d’heures de discussion. À Lyon, par exemple, la librairie
la Gryffe et la Plume noire (la librairie gérée par des membres de
l’Union locale de la FA) organisent plusieurs dizaines de débats par
an. Mais, parmi les libertaires ayant répondu au questionnaire, il y en
a aussi une dizaine indiquant n’avoir participé, ces dernières années,
à aucune manifestation, ni à aucun débat. Parmi ceux-ci, il y a des
personnes ayant milité quelque temps activement à la fin des années 60
et au début des années 70. Aujourd’hui, ils continuent de montrer un
intérêt, un attachement pour les idées libertaires mais il se
concrétise surtout à travers la lecture de quelques livres, de
journaux, et/ou par des relations amicales plus ou moins suivies avec
des militants ou des personnes continuant à fréquenter le milieu.
Enfin, mêlées aux autres anars il se peut que dans des moments
exceptionnels, ils/elles participent à des manifestations importantes
comme, par exemple, celles de décembre 95, contre la venue du Pape,
etc.
Les réponses reçues à nos questions semi-ouvertes nous montrent un
mouvement non dogmatique. Pourtant, des positions dogmatiques ou
sectaires demeurent et peuvent se lire entre les lignes de
quelques-unes d’entre elles. Par exemple, à la question : Quel est le
groupe, l’organisation libertaire dont vous vous sentez le plus proche,
une militante répond : Mon organisation me suffit. Et c’est la même
réponse qu’on obtient à la question concernant les groupes non
libertaires.
S’il n’y a pas de pensée monolithique, mais une pensée
exprimant un large pluralisme, il y a quand même quelque chose qui
semble être, pour une grande majorité de libertaires, le fait marquant
dans l’histoire de ce mouvement. En effet, 80 d’entre eux citent
l’Espagne de 1936 et, sous-entendu, ou parfois explicitement, les
collectivisations, et surtout l’histoire de l’anarcho-syndicalisme dans
ce pays. Mais il y a aussi d’autres types de réponse à cette question.
En effet, 20 personnes citent la Commune de Paris, 16 Makhno et 15 Mai
68. Moins nombreuses sont les réponses indiquant les débuts de la
révolution russe, les débuts du syndicalisme en France, Kronstadt, la
propagande par le fait (Ravachol, Bonnot, Vaillant), Sacco et Vanzetti,
Spartacus, la Ruche et un ensemble hétérogène qui va des mouvements
Dada et surréaliste à Zapata. De l’expérience de la monnaie franche à
Liguière en Bercy (en 1958) au Printemps de Prague, ou encore à 1789,
etc. Mais il y a aussi 11 personnes ne donnant aucune réponse.
Diversité, donc, mais aussi reconnaissance du rôle important joué dans
l’histoire de l’anarchisme par les mouvements anarcho-syndicalistes et
la mythique révolution libertaire de 1936 en Espagne.
Cette diversité
d’opinions s’exprime davantage par rapport à l’histoire récente du
mouvement libertaire. Tout d’abord, il y a une majorité de non-réponses
(27) qui indique qu’il est toujours nécessaire d’avoir du recul pour
pouvoir juger si un événement récent est un fait marquant dans
l’histoire (ce qui relève souvent plutôt de notre imaginaire que d’un
constat réel.) Néanmoins, 18 réponses indiquent que cet événement est
Mai 68. À noter, à ce propos, que pour certains c’est déjà un fait
historique, comme on l’a vu plus haut, tandis que pour d’autres c’est
encore de l’histoire récente, et cela indépendamment de l’âge de ceux
qui ont fourni cette réponse.
Puis, parce que l’histoire au présent,
l’histoire récente est aussi une histoire en devenir, il y a 16
personnes signalant que, pour eux, c’est le Chiapas qui symbolise le
fait marquant dans l’histoire libertaire contemporaine. Mais, cet
enthousiasme pour ce qui se passe depuis 1994 dans cette région du
Mexique, n’est-il pas dû à une certaine envie de retrouver ailleurs ce
qui semble impossible de vivre ici ?
Pour d’autres époques récentes,
nous aurions eu probablement des réponses indiquant comme fait
marquant, le renouveau du Sandinisme au Nicaragua, ou l’apparition de
Solidarnosc en Pologne. Cela m’amène à penser que ce choix est plutôt
lié à un rapport de sympathie, de solidarité immédiate, de sensibilité
vive qu’ont ces êtres sensibles, qu’à une analyse et observation
critique qu’on ne peut faire qu’avec du recul.
Ajoutons à cela que,
pour 11 d’entre eux, il n’y a aucun événement représentatif dans
l’histoire récente du mouvement libertaire. Moins nombreuses sont les
réponses retenant que ces faits marquants sont le développement des
squats (7), la scission de la CNTF (3), les manifs anti-CIP au
printemps 1994, l’école Bonaventure (2), Action directe (2) et
l’obtention du statut d’objecteur de conscience. Enfin, il y a 37
réponses à classer dans les divers, puisque sont cités pêle-mêle
Baader-Meinhof, Chomsky et les débats politiques aux USA, la révolte
des Indiens Papous de l’île de Bougainville, Marco Pannella et le Parti
radical italien, la forte présence des anars dans la manif du 25
novembre 1995 pour le droit des femmes et l’investissement des anars
dans le mouvement social de novembre-décembre 1995 et, enfin, citons
encore cet autre fait marquant dans l’histoire récente du mouvement
libertaire selon une de nos réponses : les mères de la place de Mai en
Argentine.
Quand l’idéal type est "Personne"... Mais alors, s’ils ne se
mettent pas d’accord sur un événement marquant de l’histoire récente,
comment pourront-ils s’accorder sur la personne incarnant l’idéal type
de l’anarchiste ?
Cette question, qui pour quelques-uns représentait
une question piège, révèle en effet un malaise, quasi une révolte qui
transparaît à travers des réponses signalant que l’idéal type est une
idée absurde, contradictoire même avec l’idéal anarchiste. J’espère,
écrit une jeune militante, que pour tous ceux qui ont répondu au
questionnaire, cet idéal type n’existe pas.
Mais si vraiment il faut
donner des noms, comme ont souligné certain-e-s en préambule à leur
réponse : en voici quelques-uns. Mais, avant tout, il faut souligner
que sur les 140 réponses reçues, 37 affirment que l’idéal type
anarchiste est personne, ou qu’il est contradictoire avec l’idée
d’anarchie, tandis que 16 personnes ne répondent pas à la question.
Dans la liste de noms fournis par les autres le plus cité,
naturellement, est Bakounine (2) !
Non ! Ce n’est pas lui ! C’est Louis
Lecoin qui arrive en tête, suivi par un moi ironique, ou contestataire.
Puis, ce qui peut paraître un paradoxe, vu le petit nombre de femmes
ayant répondu au questionnaire, c’est Louise Michel qui est choisie,
par 6 hommes et 1 femme ! Relevons encore ce qui semble être une
contradiction, un paradoxe dans le paradoxe. En effet, c’est le
sous-commandant Marcos, révolutionnaire post-moderne qui utilise le
fax, la cagoule, la pipe et la mitraillette, qui talonne la communarde
du siècle dernier. Dans le peloton avec quatre préférences chacun, on
trouve Proudhon, Durruti, Makhno, Malatesta, Bakounine (le voilà !),
mais aussi Brassens avec sa guitare et son gorille, May Picqueray et
ses 80 ans d’anarchie, puis encore Ferré et Marius Jacob avec trois
préférences, Socrate, Cohn-Bendit (3), Emma Goldman. Parmi les autres
réponses, il y a aussi avec deux préférences pour Florence Rey et Audry
Maupin (mais par provocation, est-il écrit dans une des deux), ainsi
que pour Guy Debord, Berneri et Reclus. Bref, on ne peut plus varié et
moins discipliné que les anarchistes ! Bien entendu, il faudrait citer
toutes les réponses pour apprécier cette variété de noms qui vont
encore de Freud à Puig Antich (4).
Cependant, vu que bon nombre de
réponses indiquent plusieurs noms à la fois, les réponses à cette
question, ainsi qu’à toutes les autres doivent être lues avec
précaution. En réalité, je pense que grâce à elles, on obtient plus un
état d’esprit, une photo floue, une image en mouvement (un mouvement en
images ?), que la photo de classe des anarchistes de la fin des années
1990.
Ceci dit, à partir de ces 140 libertaires qui vont de ce jeune
homme de 15 ans, de Metz, qui a connu les idées anarchistes par la
lecture chez ses parents, à Marie-Christine, retraitée de 79 ans et
animatrice du CIRA à Lausanne, qui les a connues par des livres et des
journaux qui lui ont été adressés par un ami anar, on peut néanmoins se
faire une idée de ce qu’ils sont et de ce qu’ils représentent, sans
pour autant utiliser leurs réponses pour en tirer des conclusions
définitives.
Je souhaiterais que ces données nous permettent surtout
d’envisager de poursuivre des recherches, ainsi que la réflexion sur
qui sont les libertaires aujourd’hui, que font-ils et quel est leur
imaginaire (5).
Néanmoins une des choses qu’on peut d’ores et déjà
souligner, c’est que le rôle de la culture est extrêmement important,
voire que c’est l’élément essentiel par lequel ils deviennent
anarchistes, mais aussi à travers lequel ils expriment leurs idées.
Que
ce soit par des petits groupes, individuellement ou grâce à leurs
organisations, les libertaires se rendent visibles dans le quotidien
principalement par leur presse, l’édition, les débats, les
interventions dans des radios associatives, et les rencontres et
colloques dont ils sont à l’initiative.
Ainsi à partir de notre
enquête, on retient que 44 personnes disent que la rencontre avec les
idées libertaires s’est faite par les livres, la presse, les fanzines,
les librairies. Pour 30, un premier contact s’est établi lors de
manifestations, dans des squats, ou tout simplement par le biais
d’affiches, de tracts, etc. Comme on l’a déjà dit, une dizaine d’entre
eux ont été influencés par le rock alternatif, mais aussi par Ferré,
Brassens, Renaud, etc.
Il y en a, enfin, qui l’ont été par les amis au
lycée et à la faculté. Cette influence dérive aussi par le capital
culturel détenu par la famille, tandis que pour d’autres c’est
justement la réaction contre les idées de leur famille qui les a
poussé vers l’anarchisme, y compris dans le cas où, par exemple, les
deux parents sont tous les deux professeurs et communistes.
Pour
certains d’entre eux-elles, enfin, ce sont des histoires particulières,
la réaction au service militaire, la psychanalyse, le surréalisme qui
leur ont permis de découvrir les chemins anarchistes. Ce qui semble
néanmoins déterminant dans cette rencontre, c’est une démarche
progressive et personnelle que l’on constate chez les jeunes, mais
qu’on retrouve, par exemple, aussi chez ce retraité de 61 ans qui est
arrivé à l’anarchisme depuis seulement quelques années. Le fait
marquant dans son cas, a été : la bataille que j’ai menée, contre mon
passé communiste. Pour me dire anarchiste, il a fallu lutter contre
moi-même pendant deux ans. C’était comme si mon passé, mon éducation me
retenaient par la manche in extremis. Mais finalement, concluait-il,
les arguments développés dans des ouvrages que j’ai lus ont été les
plus forts.
Ce resserrement progressif, noté par ce psychiatre de 59
ans, et cette conscience progressive, indiquée par cet enseignant de 31
ans, semblent être plus déterminants que des événements précis pour de
nombreux libertaires et leur approche au mouvement et/ou aux idées
anarchistes.
Ces événements marquants sont eux aussi d’origines
diverses, cela va de Mai 68 (encore et toujours lui ! cité 11 fois) à
l’antimilitarisme, d’un reportage vidéo sur les Sex Pistols vu à la
télé, à l’affaire Sacco et Vanzetti pour une personne n’étant pas
encore née à l’époque des faits.
D’autres libertaires indiquent, d’une
manière générale, que l’élément déclencheur à été la constatation de
l’injustice sociale, la participation à des manifs antifascistes ou
l’anticléricalisme, mais aussi la réaction provoquée par l’arrivée de
la gauche au pouvoir, Tchernobyl et Malville, le monde du travail et
ses luttes, et enfin pour cet employé publicitaire de 40 ans : la
séduction d’un certain romantisme révolutionnaire. Ajoutons les
réponses de ces deux libertaires, sans profession, habitant les pentes
de la Croix-Rousse à Lyon. Elle (25 ans) indique que l’événement
marquant, c’est la vie, mais aussi Pasqua, le mouvement étudiant de
1986, l’école, les crimes racistes et les bavures policières, le
logement, la guerre du Golfe, etc., un souvenir... l’assassinat de
Pierre Goldman (6). Pour lui (26 ans), ce sont les luttes des squats,
tous les romans des épopées makhnovistes, des anarcho-syndicalistes
américains, ou autres camarades espagnols, le mouvement étudiant de
1986, Pasqua, la lutte des squatters à la Croix-Rousse.
Comme on l’a vu
jusqu’à présent, c’est dans des termes différents, sur des sujets
différents qu’ils trouvent l’inspiration, les références, ou des motifs
concrets pour s’engager dans les chemins libertaires. Cet ensemble
d’idées et de manifestations nous donnent ainsi une image polychrome
des libertaires, ces êtres bouillonnants comme la vie elle-même, et de
leurs activités. Vouloir, à partir de ces éléments, dégager une seule
tendance ou privilégier celle-ci au détriment de celle-là, avoir un
parti pris, nous conduirait inévitablement sur une fausse route.
Les
libertaires d’aujourd’hui ne représentent pas un parti politique, mais
bel et bien un ensemble, chaotique peut-être, mais vivant, et souvent
généreux. En écrivant ces lignes, j’ai en tête cette petite caricature
publiée par le mensuel Alternative Libertaire (Belgique), montrant un
insoumis et son petit drapeau noir, un être minuscule défiant un
militaire herculéen et bardé à la Rambo. C’est un peu comme ce fameux
Chinois qui, son sac à provision à la main, faisait face à un char de
l’armée à l’époque de Tienamen.
L’image des libertaires est composite,
complexe (7) et ne peut être cernée facilement. Il faut aller la
chercher là où elle se niche. Tâche difficile, puisqu’il ne s’agit pas
d’y aller comme va un ethnologue dans le métro, où d’aller vivre
pendant quelque temps comme (8) les Indiens. Pour en saisir toutes les
nuances, il faut être avec eux, parmi eux, les côtoyer dans leur
quotidien, et surtout se débarrasser des mythes et des légendes que
beaucoup d’observateurs, sincères ou non, ont tricoté sur ce peuple
contestataire et rebelle.
Mais, pour accomplir cette tâche, pour les
observer, pour les comprendre, il faut aussi ôter les lunettes
bicolores, un verre noir et l’autre rouge, celles du sociologue
partidaire. Une tache d’autant plus difficile puisqu’il reste à faire
ce travail de démystification nécessaire face aux récits
révolutionnaires des militants, récits colportés de génération en
génération pour se donner du courage quand la réalité n’est pas celle
qu’on voudrait qu’elle soit.
Kultur über alles Mais en attendant
d’approfondir les questions concernant l’imaginaire des libertaires,
voyons maintenant quels sont les moyens qui leur semblent les plus
aptes au développement de leurs mouvements.
Pour 44 d’entre eux, le
futur du mouvement est lié aux débats, à la presse, aux livres, à la
vidéo, à l’informatique, à Internet, à la culture. Car il faut faire
connaître davantage les idées anarchistes à ceux qui n’en ont que cette
image superficielle donnée par les grands médias lorsqu’ils affirment,
par exemple, que l’anarchie règne au Rwanda, ou en Albanie, Russie,
Congo ou encore dans tel ou tel autre pays en ruine (9).
Cette volonté
de réfléchir et ce regard lucide sont bien présents dans certaines
réponses à notre questionnaire. Par exemple, celle de cet étudiant de
41 ans qui pense que, pour développer les idées libertaires, il faut
remettre en cause des dogmes fondateurs, il faut trouver un équilibre
entre la pratique et la théorie, et la capacité à débattre et à
interroger toute la société. Pour 20 personnes, il faut participer aux
mouvements sociaux et au syndicalisme. 15 libertaires ont répondu qu’il
faut développer les micro-organisations autogérées et alternatives
(l’exemple de l’école Bonaventure est cité à ce propos plusieurs fois).
Mais, il faut aussi renforcer les organisations spécifiques pour 8
militants et, enfin, développer le réseau, le relationnel, faire des
fêtes. Enfin pour ce RMiste de 30 ans vivant dans une grande ville,
tous les moyens sont bons, des plus anodins (style tracts) jusqu’aux
luttes beaucoup plus radicales : agir/action directe. Action directe
pas forcément violente comme il est signalé par d’autres, mais plutôt
des coups médiatiques, la parole directe. Ce qui n’empêche pas ce jeune
homme de 24 ans, actuellement CES dans une ville du centre de la France
proche d’AC ! (Agir ensemble contre le chômage), de Greenpeace, et bien
entendu de l’EZLN (l’armée zapatiste de libération nationale),
d’ajouter qu’il faut discuter avec son entourage et en dernier recours,
même si ça ne mène à rien, mener des actions terroristes ciblées contre
tout ce qui nous empêche d’exister.
Comme l’écrivait Michel de
Certeau : Malgré tout, cette violence reste dans l’expressivité. Elle
demeure un discours de protestation. Plus profondément, ajoutait-il,
l’acte violent signe l’irruption d’un groupe. Il scelle le vouloir
exister d’une minorité qui cherche à se constituer dans un univers où
elle est de trop parce qu’elle ne s’est pas encore imposée (10).
En
effet, je pense qu’il ne s’agit pas de justifier ces paroles ou ces
actes violents, mais de les comprendre (11). Cette fascination pour la
violence existe dans le milieu libertaire et on la retrouve dans
quelques-unes des réponses recueillies. Mais tout compte fait,
l’anarchiste violent reste surtout un mythe que beaucoup d’écrivains,
de chercheurs et de journalistes reprennent (12) d’une manière
récurrente. À l’évidence, et cela depuis longtemps, ces actions
violentes ont été peu nombreuses et particulièrement insignifiantes par
rapport au travail quotidien de plusieurs dizaines, voire des centaines
de libertaires qui, dans leurs ateliers d’utopie, écrivent, lisent,
produisent des livres, des brochures, et s’échinent à trouver les
moyens pour diffuser cette abondante production.
D’autre part, la
non-violence active est aussi un des traits déterminants de ce
mouvement. Parmi les 140 réponses que j’ai reçues, il y a aussi des
personnes marquées par la revue Anarchisme et Non-Violence et qui
participent encore à des mouvements comme L’Union pacifiste ou La Libre
pensée.
Des agents de la transformation sociale
Nous pouvons maintenant
tirer une première conclusion : On peut dire que les libertaires
d’aujourd’hui sont des agents de la transformation sociale plutôt que
des révolutionnaires à la mitraillette et au poing levé.
C’est ce qu’on
peut remarquer aussi en lisant leur presse (13). Réinventons l’utopie
titre le mensuel Alternative libertaire (France) dans un numéro de
1995. Courant alternatif, le mensuel de l’OCL, de février 1996, titre
par ailleurs Que mille utopies renaissent ! Dans un autre texte publié
à la fois par le Monde libertaire et Alternative Libertaire (Belgique),
signé par Jacynte Rausa, Michel Negrell et Roger Noël (Babar), on lit L’anarchie ne viendra pas. Elle est déjà ici. Ici ou là, dans la
volonté de certains individus, dans le relatif de certaines situations,
de certains moments. L’anarchie n’a ni terre ni jour d’élection, elle
est toujours et partout présente [...] L’anarchie n’est l’apanage de
personne, d’aucune organisation. Inutile d’attendre l’inattendu. Les
explosions libertaires surprendront toujours.
L’anarchie en définitive
ne serait-elle qu’une utopie mobilisatrice comme disent les auteurs de
cet article (14) ?
En réalité, les anarchistes, depuis toujours, ont
ouvert des voies nombreuses pour aider à poursuivre au quotidien l’idée
de cette transformation sociale.
Ne manquent pourtant pas dans la
presse libertaire des articles indiquant comme seule solution aux
problèmes sociaux... la révolution mondiale (15).
Pourtant, mythes,
rêves, espoir, lucidité, volonté, désir, souffrance, impuissance, c’est
dans un véritable tourment que vit l’anarchiste de cette fin de siècle,
et probablement encore pour longtemps (16). C’est dans une situation
toujours précaire, romantique, idéale, qu’on le retrouvera mais aussi
là où le quotidien l’emporte toujours sur l’exceptionnel.
Ainsi, se
perpétuera ce désir de vivre libre, de continuer à imaginer un nouveau
monde. En fait, on peut dire, en paraphrasant Gaston Bachelard, que
cette rêverie, et en particulier celle de l’anarchiste, permet de faire
naître un état d’âme chez toutes celles et tous ceux qui n’acceptent
pas la logique dominante, que ce soit du point de vue social,
politique, économique, scientifique ou philosophique.
La poétique
libertaire porte toujours ce témoignage d’une âme qui découvre le
monde, un monde où elle voudrait vivre, où elle vivrait dans la dignité
(17).
D’autre part, je me suis rendu compte que, l’observation de
l’histoire des hommes et des femmes par leur côté exceptionnel ne
montre pas ce qu’il y a en eux de plus puissant. En effet, je pense que
c’est dans l’activité quotidienne que réside cette force. Et dans le
cas des libertaires dans, cette tension permanente, cette énergie,
cette sensibilité à fleur de peau qui apportent chaque jour, ici et là,
de nouvelles idées, et qui permettent le développement de nouvelles
activités.
Cette tension permet, en outre, aux rêves de vivre, à
l’imagination créatrice d’ouvrir de nouveaux chemins où l’espace et le
temps sont incessamment modifiés ainsi que les règles du jeu régissant
nos comportements.
Beaucoup d’historiens, dans les années 50 et 60
avaient enterré l’anarchisme et les anarchistes, et ils n’avaient vu
dans les événements de Mai 68 et leurs prolongements que des
frémissements, voire un renouveau, mais limité à une couche sociale
composée de jeunes contestataires et destiné à s’épuiser, à
disparaître.
L’existence de nombreuse personnes qui affichent encore,
dans leur quotidien, cette sensibilité et cet espoir, voire la volonté
de transformer les liens sociaux, par des démarches et des pratiques
antiautoritaires et antihiérarchiques, démontre la vitalité de cette
culture.
Il faut néanmoins reconnaître que le nombre d’adhérents aux
organisations spécifiques n’est pas à la hauteur de ce désir de faire
la révolution ici et maintenant que quelques militants maintiennent à
l’ordre du jour de la prochaine réunion.
Il faut reconnaître aussi que
leur influence, ainsi que celles des autres militants libertaires non
organisés, dans les mouvements sociaux n’est pas vraiment déterminante.
Ce qui ne veut pas dire que, dans telle ou telle situation, les
anarchistes et les libertaires ne soient ou ne seront pas les
protagonistes parmi les plus actifs dans l’organisation d’initiatives
contestataires et/ou créatrices.
Remarquons encore que les libertaires
d’aujourd’hui, aussi bien que les anarchistes d’hier, ont su créer des
espaces de liberté, une culture qui est non seulement une
représentation, une idéalisation de la réalité, de la révolte, mais
aussi, comme dirait Alain Pessin, une incorporation des pratiques. Les
libertaires ont su développer un imaginaire où on retrouve toujours des
traces subversives et créatrices.
Y compris par rapport à la mort.
Est-ce un hasard si, dans une dernière question présentée dans notre
questionnaire concernant le développement futur du mouvement
libertaire, une personne écrit : le suicide (voire le meurtre) ? Il
s’agit dans ce cas du meurtre de soi-même, puisque dans l’imaginaire
libertaire il n’y a plus ni dieu, ni maître, ni même un Père fondateur
ou une Mère protectrice.
En effet, comment ne pas penser à ces jeunes
amis lyonnais (Carlos, Jean-Marie, Michel, pour ne citer que ceux avec
qui on a participé à des activités) ou bruxellois (Thierry, Daniel...)
qui ont fait ce choix radical (18) ces dernières quinze années, mais
aussi à Marius Jacob (dont on vient de rééditer l’histoire de sa vie),
à ce biographe de la presse anarchiste italienne (Leonardo Bettini) et
enfin à l’auteur de l’Increvable anarchisme (19) qui lançait la revue
Interrogations dans les années 70 ? Résonne encore leur dernier cri de
défi au monde tel qu’il est, ce monde où la condition humaine est
toujours aussi problématique.
L’hymne à la vie
Pourtant les libertaires
restent des épicuriens, qui mangent, qui boivent, qui font l’amour et
jouissent de tout ce que peut leur offrir la vie. Sans attendre le
Grand soir ou les matins qui chantent pour s’épanouir.
Dans un article
paru le 13 avril 1905 dans l’Anarchie, Libertad écrivait : "Je ne veux
pas troquer une part de maintenant pour une part fictive de demain, je
ne veux céder rien du présent pour le vent de l’avenir" (20). Plus loin
dans ce même article intitulé "Aux résignés", il ajoute : "Je veux être
utile, je veux que nous soyons utiles. Je veux être utile à mon voisin
et je veux que mon voisin me soit utile. Je désire que nous œuvrions
beaucoup car je suis insatiable de jouissance. Et c’est parce que je
veux jouir que je ne suis pas résigné" (21).
Les anarchistes italiens
chantent encore cette chanson de Pietro Gori (22) intitulée Amore
ribelle où il est dit entre autres : All’amor tuo, fanciulla / Altro
amor io preferia : / É une idea l’amante mia / A cui detti braccio e
cor (À ton amour, ô jeune fille, j’en préférerais un autre, l’amour de
l’idée, mon amante, et c’est à elle que j’ai donné mes bras et mon
cœur). Le poète s’identifie, dans la suite de la chanson à ce
travailleur qui hait et défie les puissants de la terre, qui lève des
drapeaux ensanglantés sur les barricades pour la vraie liberté. Ce
travailleur de la fin du siècle dernier, apparemment, avait beaucoup
trop à faire pour se contenter de l’amour qu’il pouvait recevoir et
donner à cette jeune fille. Alors, plein d’espoir dans une révolution
possible, proche et inévitable, il lui adressait dans un dernier
couplet de son poème ces paroles : Se tu vuoi fanciulla cara / Noi
insieme combatteremo / E nel di che vinceremo, / Braccio e cour ti
donero’ (Si tu veux, cher enfant, nous lutterons ensemble, et le jour
où nous gagnerons, je te donnerai mes bras et mon cœur). Cette chanson
que nous avons souvent chantée en groupe, dont le refrain me revient
parfois, comme une ritournelle, et qui n’est plus que la réminiscence
(23) d’une période historique révolue B des réminiscences du même ordre
que les quelques vers de l’Ave Maria, ou du Pater noster que ma mère
m’a fait répéter pendant de longues années.
L’anarchie était présentée
encore au début des années vingt comme une magnifique cité d’harmonie
de paix et de justice. Sébastien Faure, un grand orateur anarchiste au
terme d’un cycle de conférences, et notamment dans la dernière
intitulée "La véritable " après avoir tracé les grandes lignes
de sa conception d’une société d’après la révolution pour montrer qu’il
n’y a là, ni utopie, ni chimère, ni folie, incite enfin à vivre par la
pensée cet idéal magnifique (24).
"Comprenez-vous maintenant Camarades",
ajoute-t-il, "qu’on puisse vivre sa vie à un tel idéal". Puis, plus loin,
en s’adressant aux jeunes gens, il leur demande "de réfléchir,
d’étudier, de lire de travailler, de discuter avec vous-mêmes et avec
les autres, et quand vous aurez acquis cette conviction précieuse qui
inspirera toute votre vie, qui dictera toute votre conduite, qui
guidera vos sentiments, alors je vous adjure de consacrer à cette
conviction votre jeunesse, votre intelligence et vos forces. La lutte
sera rude et vous aurez parfois à subir de terribles épreuves :
persécutions, misères, calomnies, rien ne vous sera épargné. Vous aurez
d’autres sacrifices plus pénibles à faire. Il vous faudra parfois
briser avec des affections qui vous sont chères, rompre des amitiés
précieuses, peut-être même briser des liens plus doux encore. N’hésitez
pas, jeunes gens. Il n’y a pas d’amante comparable à celle qui s’offre
à vous ce soir. Les autres ne possèdent que vos sens. Celle-ci vous
possédera tout entier. Elle vous enveloppera des pieds à la tête et
prendra possession de vous complètement. Les autres amantes peuvent
vous trahir. Celle-ci ne vous trahira jamais. Les autres amantes
perdront peu à peu la jeunesse, la fraîcheur, la grâce, le charme, la
beauté. Celle-ci, au contraire, restera éternellement jeune et belle. Ô
jeunes gens, aimez-là ! "(25).
On le voit, il s’agit là d’un amour
mystique que ce commis-voyageur de l’anarchie ainsi appelé par
l’écrivain Zévaés, cet apôtre de l’anarchie pouvait présenter devant un
auditeur qui se laissait entraîner par ce charmeur comme le dit Gérard
de Lacaze-Duthiers dans la préface écrite pour ce recueil de
conférences.
Mais peut-on encore imaginer un orateur anarchiste
présenter des tels propos aujourd’hui ? Reste-t-il des libertaires qui
lient leur vie à cet avenir espéré ? Certes, parmi les milliers de
personnes qui se sentent anarchistes, il est fort possible qu’on trouve
quelqu’un dont tous les espoirs reposent sur un à-venir. Mais en
réalité depuis la révolution des mœurs commencée dans les années 60,
dont l’un des objectifs était la libération sexuelle, une pratique
nouvelle dans les relations entre hommes et femmes, les anarchistes
comme tous les autres ont essayé de les vivre au quotidien. Ce sont,
eux-elles les tout premiers-premières à créer de nouveaux modes de vie,
permettant, ainsi, par ricochets, à la société tout entière, de se
dégager au fur et à mesure de ces structures rigides qui se sont
cristallisées autour des règles et des lois tout au long de l’histoire,
qui déterminent nos comportements, et dont les gens ne supportent plus
ou pas toujours le poids.
Prenons l’exemple de l’union libre.
Aujourd’hui, c’est un mode de vie reconnu et accepté par l’ensemble de
la société. Or, à l’origine de cette démarche, il y a eu ces pionniers
du mouvement ouvrier, socialistes, mais plus souvent anarchistes, qui
ont dénoncé l’hypocrisie du mariage bourgeois et tenté l’utopie de
l’amour libre (26).
Mais la question que je me pose aujourd’hui est la
suivante : l’anarchisme, dans le monde contemporain, peut-il encore
être ce mouvement qui refuse l’idée que le monde a été toujours le
monde et on ne peut pas le changer... tout en favorisant l’éclosion
d’expériences positives (27).
L’antimilitarisme, le pacifisme,
l’autogestion et la critique de l’autorité (28), ces idées et ces
pratiques anciennes, mais aussi l’écologie sociale de ces dernières
années, ou encore les idées et pratiques des groupes antispécistes plus
récemment, deviennent, avec le temps, des références culturelles à
défaut de devenir des mouvements politiques puissants (29).
Mais quels
sont les enjeux pour les sociétés du XXIe siècle ? Est-ce la politique
ou est-ce la culture ? Est-ce la représentation virtuelle du monde ou
l’action dans le monde ? Est-ce réduire l’imaginaire de l’être humain à
une simple équation mathématique ou l’aider à se servir de son esprit
libre ? Ces enjeux seraient-ils liés aux sondages, au décompte du
nombre des libertaires et à leurs analyses sociologiques, ou à une
analyse toujours critique qu’il faut entretenir sur tout constat qu’on
peut faire en tant que militant ou chercheur ?
Pour ma part, je vais
continuer à naviguer entre ces deux eaux. Tantôt sociologue, tantôt
homme de passion, je porterai de l’eau (ou du vin selon le cas) aux uns
et aux autres pour qu’ils reconnaissent la nécessité, toujours et
partout, de la réflexion et de l’action, qui me semblent être la base
d’une culture et d’une sociologie libertaire.
Mimmo Pucciarelli
(1) C’est en quelque sorte le même constat qui est fait
à l’analyse du sondage des lecteurs du mensuel Alternative libertaire
(Belgique). Leurs couleurs sont le noir, le rouge et le vert, à l’image
de la démarche que nous développons depuis 15 ans, affirme AL qui
ajoute, Il semble que nous ayons (modestement) réussi à créer un
carrefour entre ces trois couleurs : le noir du courant historique
libertaire, le rouge de la gauche socialiste anti-totalitaire et le
vert des écologistes sociaux (AL143 de septembre 1992.
(2) A. Pessin
(op. cit.) indique que s’il fallait désigner une figure de père
mythique, ce serait celle de Bakounine. Or il semble que les
libertaires de cette fin de XXe siècle n’aient plus de père... aussi
mythique qu’il puisse exister dans l’histoire du mouvement anarchiste.
(3) Oui, Dany le vert-kaki selon la définition du camarade Robert Hue
qui tenait compte des positions que la tête de liste des Verts aux
européennes a exprimé en avril 1999 vis-à-vis de la Guerre du Kosovo.
Mais notre enquête se déroulait en 1995-6, et Dany n’affichait pas
(encore) ses idées libérales-libertaires aussi explicitement qu’il le
fait aujourd’hui.
(4) Militant antifasciste garrotté par le régime
franquiste au début des années 70.
(5) À ce sujet l’Atelier de Création
Libertaire devrait publier très prochainement mon livre L’imaginaire
des libertaires aujourd’hui.
(6) Militant des années 70, proche des
tendances guévaristes. Accusé d’assassinat lors d’un vol dans une
pharmacie, il fut acquitté à l’issue de son procès. Il fut tué par la
police en octobre 1979, ce qui donna lieu à de nombreuses
manifestations de l’extrême gauche dans toutes les grandes villes de
France.
(7) En fait, je pense qu’à partir de la contestation des années
60 et 70, l’anarchisme, comme toujours dans son histoire, a trouvé de
nouveaux interprètes, de nouveaux acteurs, jeunes et moins jeunes, et
qui ont été capables d’ouvrir de nouveaux sentiers. En réalité, je
pense qu’il existe des imaginaires sociaux et des individus concrets
qui mobilisent leurs énergies physiques et mentales pour créer des
outils, et se libérer de leur état de dépendance vis-à-vis de la
société. Une vision qui s’apparente à celle décrite par Hakim Bey,
celle d’un anarchisme ontologique, décrivant une pensée libertaire qui
se complexifie. En effet, il ne s’agit plus de définir les bons et les
méchants, de détruire un vieux monde pour en construire un nouveau,
mais de chercher dans la continuité de l’être cette transformation
possible qui semble parfois impossible, afin qu’elle puisse se
conjuguer avec le présent (voir H. Bey, op. cit., et sur un registre
différent mais qui me semble aller dans le même sens voir l’article de
Xavier Beckaert paru dans l’AL 217 de mai 99, L’anarchisme est-il une
idéologie ou une méthodologie ?).
(8) Comme le signale Jean Pouillon,
vivre "comme" eux me semble illusoire et illogique. L’adverbe "comme",
ajoute-t-il, qui paraît rapprocher, indique néanmoins une certaine
distance : faire comme si. Voir son livre le Cru et le su, coll. La
librairie du XXe siècle, Seuil, Paris, 1993, p.154.
(9) Mais il ne faut
pas toujours se considérer comme victimes de la presse. Par exemple, le
mercredi 18 décembre 1996 entre 19h et 20h, il y a eu sur la chaîne
Arte un reportage sur l’école libertaire Bonaventure de l’île d’Oléron.
Il m’a semblé assez objectif et, pour une fois, les journalistes
parlaient de cette expérience avec un certain respect. Puis, tout à
coup, à la question de savoir si on éduquait ces enfants pour devenir
des anarchistes, un animateur ou un parent a répondu que non, et
d’ailleurs cette école ne crée pas des terroristes, du moins, je le
pense, a-t-il conclu candidement.
(10) Voir son livre la Culture au
pluriel (1993), édition Essai Point, et particulièrement le chapitre
intitulé : Le langage et la violence, pp 73-82.
(11) Mais, on peut
aussi s’interroger avec Boris Cyrulnik qui dans Les Nourritures
affectives, intitule un de ses chapitres La violence qui détruit ne
serait-elle pas créatrice ?. Peut-être la réponse est-elle
dans un slogan peint sur les murs des pentes de la Croix-Rousse qui
dit : Détruisons constructivement.
(12) Par exemple, dans le livre
Galaxie du terrorisme, et en particulier le chapitre Les enfants de
Bakounine, terme repris par une journaliste du Nouvel observateur à
propos de Florence Rey et Audry Maupin. Mais des militants anarchistes
comme Barrué entretiennent aussi cette confusion et lient anarchisme et
terrorisme. En effet, dans son ouvrage L’Anarchisme aujourd’hui, dans
la postface à l’édition de 1976, il affirme, p.105 que les anarchistes
ne répudient pas a priori le terrorisme : il est un moyen d’action
parmi bien d’autres, même s’il ajoute par la suite qu’il ne doit pas
être utilisé sans discernement, il ne doit pas frapper des innocents,
il ne doit pas devenir un jeu sinistre et verser dans l’assassinat pur
et simple. En effet, il faudrait faire la distinction entre le
terrorisme et les diverses formes de lutte armée, ainsi que les
diverses formes de violence dont se servent certains groupes
politiques. Une distinction qu’a essayé de faire Alain Joxe dans le
numéro d’avril 1996 du Monde diplomatique. Voir aussi, à ce sujet, les
Œillets rouges nE2. À lire surtout la Rêverie anarchiste 1848-1918
d’Alain Pessin consacrée à l’étude de l’imaginaire mis en scène par des
anarchistes de la fin du siècle dernier, et notamment à l’époque de la
propagande par le fait.
(13) Continuons à travailler pour la
transformation sociale. C’est avec cette incitation que le nouveau
secrétaire de la CNT espagnole saluait les militants à la fin du
congrès de cette organisation en décembre 1995 (voir Solidaridad obrera
de février 1996.) Mais c’est aussi une expression qu’on retrouve
souvent dans la presse libertaire et anarchiste, tout du moins dans
celle que je connais et que je lis régulièrement (française, italienne,
espagnole, et anglaise en moindre mesure).
(14) Le Monde libertaire,
nE1027 de janvier 1996, et Alternative Libertaire (Belgique) de février
1996. À ce sujet voir aussi l’article de Ronald Creagh : Les mouvements
libertaires, utopies créatives, in L’Anarchisme, images et réalité.
(15) La révolution socialiste libertaire est la seule issue pour que
l’économie satisfasse les besoins sociaux d’individus pouvant librement
les déterminer et les gérer eux-mêmes, c’est ainsi que se termine, par
exemple un article de la commission de l’Union régionale Rhône-Alpes de
la FA paru dans Le Monde libertaire du 29 février 1996.
(16) Ce
printemps 1999, et face à la Guerre du Kosovo, beaucoup d’entre nous
(les libertaires à Lyon) ne savaient pas vraiment comment réagir. Ainsi
si lors de la Guerre du Golfe nous fûmes parmi les plus actifs dans
cette ville à la dénoncer, cette fois-ci, nous n’avons (collectivement)
joué aucun rôle ou presque (j’écris ces lignes le 19 mai 1999. Pourtant
nous en avons discuté, mais avec des sentiments contrastés...
(17) Voir
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, Paris, édition de
1978, p. 14.
(18) Georges Palante (op. cit.), p.129 écrit Pour
l’individualiste, le problème qui se pose est celui-ci : Comment faire
pour vivre dans une société regardée comme un mal nécessaire ? La
solution radicale que comporte le pessimisme social serait, ce semble,
le suicide ou la retraite dans les bois. Ce qui nous amène à nous poser
la question du pessimisme social individualiste... celui-ci couve dans
chaque anarchiste ?
(19) Louis Mercier-Vega, l’Increvable anarchisme
10/18, Paris, 1970.
(20) Voir Libertad, le Culte de la charogne,
édition Galilée, Paris, 1976, p.63.
(21) Ibidem, p.64.
(22) Avocat et
militant anarchiste italien appelé Le Chevalier de l’anarchie. Voir le
livre publié par les éditions BSF de Pisa, en 1995. J’ai gardé sur moi
pendant des années une image de Pietro Gori où d’un côté il y a son
portrait et de l’autre l’hymne au 1er mai.
(23) Alain Thévenet, s’est
souvenu en lisant ce passage des quelques lignes suivantes qu’Ernest
Cœurderoy écrivait au milieu du XIXe siècle : Dans ce monde d’iniquité,
je ne puis rien aimer comme je m’en sens la force ; je suis contraint à
haïr, hélas ! Et ma haine, c’est de l’amour encore ; l’amour de l’homme
juste qui désespère, l’amour de l’homme libre forcé de vivre au milieu
d’esclaves ; un amour non satisfait, immense, indéfini, généreux et
général. C Amour qui brûle, amour qui tue ! Je suis l’amant de l’Avenir
qui maudit le présent. Cœurderoy Ernest, Hurrah ! ! ! ou la révolution
par les cosaques, collection Table rase, Plasma, Paris, 1977.
(24) Voir
les Propos subversifs de Sébastien Faure, éd. des Amis de Sébastien
Faure, Le Pré-Saint-Gervais, p.357.
(25) Ibidem, p.358.
(26) Tandis que
la grande masse des ouvriers, quant à eux, qui appelaient volontiers
leur femme "ma bourgeoise", rêvaient surtout d’une épouse libérée de
l’usine et vouée aux soins du foyer. C’est, ce qu’écrit le Nouvel Obs
dans un dossier sur l’union libre de février 1996.
(27) Voir à ce sujet
Peter Heinz, Anarchisme positif, anarchisme négatif, ACL, 1997.
(28)
Dans la Sagesse et le Désordre, France 1980 (bibliothèque des Sciences
humaines, NRF, Paris, 1980), Henri Mendras fait le point sur la France
des années 80 et affirme entre autres : Plus personne ne veut être
autoritaire, tout le monde se veut démocratique, et cependant les
relations concrètes avec les subordonnés n’ont pas tellement changé...
Certes, le constat de Mendras et celui qu’on pourrait faire encore à la
fin de ce XXe siècle, c’est que la domination de certaines couches de
la population sur d’autres, ainsi que de certains individus sur
d’autres individus reste à l’ordre du jour. Mais que d’avancées ! On a
pu assister à des transformations dans les règles et dans les liens
sociaux depuis les années 50 à aujourd’hui, que ce soit à l’école, sur
les lieux de travail, ou dans les familles. Peut-être que ces
anti-autoritaires que sont les libertaires ont joué un rôle dans
l’imaginaire social qui est toujours mobile.
(29) On peut ajouter
encore d’autres formes de résistance et de présence positive des idées
libertaires dans la société contemporaine. Hakim Bey (op. cit., pp.44
et suivantes) indique quant à lui le refus de l’école et de
l’apprentissage domestique ; les networking qui ont une pratique
politique alternative, ACT-up, Earth First et diverses associations qui
ont un fonctionnement non hiérarchique et qui ont obtenu une certaine
popularité même en dehors du mouvement anarchiste parce qu’elles
fonctionnent ; la participation à des activités productives déclarées
ou non déclarées, la vie de famille qui prend des formes autres que
monoparentale, le mariage de groupe, les groupes d’affinité érotique ;
et pour finir ajoute H. Bey, en citant A. K. Coomaraswamy, que même
dans l’art il est possible d’entrevoir cette transformation puisque
l’artiste n’est plus un type de personne spéciale, mais chaque personne
est un type spécial d’artiste.
Commentaires :
Anonyme |
un sondage sur les anarchistes n'importe quoi. fait pour quoi , par qui et dans quelle interet?? bizare.....
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Dracula 20-12-06
à 11:40 |
trop fumé la moquettece charabia nombriliste illustre assez bien, à l'insu de son gré, ce que l'anarchisme peut aussi produire de pire...
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Para todos la luz 20-12-06
à 15:10 |
Se bouger le culPlutôt que de délirer , faudrait peut être se bouger le cul.
Par exemple , dans deux jours , le 22 des tas d'actions sont prévues dans différentes villes d'Europe, pour soutenir les peuples d'Oaxaca en lutte.Y a pas plus concret comme projet. C'est une juste cause . L'économie est mondialisée , c'est un fait . La lutte sociale par contre reste très localisée. Régionale, parfois nationale ... Il est temps que les peuples commencent à comprendre cette évidence! Il faut tous s'unir pour venir à bout du capitalisme internationnal opresseur. ! Los pueblos unidos jamas seran vencidos ! A lors le 22 décembre , soutenez l'Oaxaca à Paris , Bruxelles , Madrid , Barcelone , Berlin , Lille, Lyon..... En ce qui me concerne je serais à Bruxelles à partir de 15h00 devant l'ambassade du Mexique. http://liege.indymedia.org/news/2006/12/13843.php La balle est dans votre camps les gars. Répondre à ce commentaire
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Felip 20-12-06
à 16:05 |
Re: Se bouger le culS'intéresser à la composition sociologique du mouvement anarchiste ne me semble absolument pas incompatible avec la participation aux luttes.
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Anonyme 20-12-06
à 16:27 |
Re: Re: Se bouger le culune projection sociologique qui laisse plus qu'a desirer et qui est loin de la realitee du mouvement anarchiste dans toute sa globalite.
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Allah pouet pouet 20-12-06
à 21:29 |
Re: Re: Re: Se bouger le culAu risque de déplaire à certains, j'ai trouvé ce texte plutôt intéressant, même s'il n'est pas complet sur tout les aspects... il ne répond pas vraiment à la question "Qui sont les anarchistes aujourd'hui" mais me donne quand même quelques élements de réponse car je me pose souvent la question.
Je trouve par exemple particulièrement intéressant les questions du type "Par où devient-on anarchiste ou s'intéresse-t-on à l'existence du mouvement libertaire?". Pour beaucoup d'entre vous cela peut sembler acquis, mais moi j'ai par exemple jamais eu de cours d'histoire sur la CNT-FAI en Espagne et j'ai pas de bons souvenirs de mes cours sur la Commune. Et puis vous savez quand même que l'accès à l'information militante n'est pas forcément aisée (enfin si, une fois qu'on sait qu'elle existe...) quand on vient de certains milieux fermés. Comment voulez-vous qu'on impose nos idées dans une société où elles ne font pas partie du fond de culture commun, si on ne prend pas le temps de s'interroger sur nous mêmes? En tout cas, je ne sais pas si associer sociologie=mettre des incasables dans des cases="branlette intellectuelle"=perte de temps=contre-revolution est une réaction à avoir automatiquement. Répondre à ce commentaire
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Simplet 21-12-06
à 11:17 |
Re: Re: Re: Re: Se bouger le culeh bien moi, au risque de déplaire à Allah pouet pouet, j'ai trouvé ce texte complètement chiant. et je précise bien que j'ai fait l'effort de le lire jusqu'au bout
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Anonyme 21-12-06
à 11:51 |
Re: Re: Re: Re: Re: Se bouger le culmoi ce que j'ai retenu de cet article est qu'il y a des anarchistes le lundi : il y en a le mardi et le mercredi. Il y en a aussi, le jeudi (etc. etc.). Il y en a à pied, à cheval et en voiture. Il y en a au printemps, en été (etc. etc.). Oui mais : fallait-il vraiment en faire tout un article ?
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Allah pouet pouet 21-12-06
à 13:51 |
Re: Re: Re: Re: Re: Re: Se bouger le culDisons que cet article n'est pas d'une importance capitale, mais ce n'est pas du "n'importe quoi" non plus, selon moi.
Sur ce... pouet pouet... allons nous intéresser aux choses plus importantes Répondre à ce commentaire
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à 08:19