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Pour mon plaisir : interview sur la masturbation

Lu sur Indymédia Lille : "Te souviens-tu de la première fois que tu t'es masturbée ?

Mon souvenir le plus précis est celui-ci. je devais avoir dix ans, et j'étais à table, avec des invités super-carrés, voir chiants. Ils me forçaient à manger, et moi je me disais "il faut que je me mette un truc dans le cul". C'était la seule issue pour oublier cet enfermement moral imposé. Après le repas, je me suis planquée dans ma chambre et j'ai réuni des crayons de couleurs autour d'un élastique. J'ai fait ça n'importe comment, je m'en souviens ça saignait, mais j'étais tellement énervée, c'est exactement ce qu'il me fallait...

Et ensuite ?

Ensuite, j'ai arrêté, parce qu'on m'a dit qu'il y avait une activité super importante, plaire aux garçons... Je crois que cette histoire de séduction tiens un rôle majeur dans la sexualité féminine, même épanouie, bien souvent c'est ainsi qu'elles expriment leur libido, dans ce petit jeu stupide, en somme elles oublient de se faire du bien pour faire celui des garçons ...

Ah... Et tu as donc arrêté de te masturber ?

Ouais, mais comme je l'ai dis, je crois que j'exprimais ma libido autrement. Par la séduction, mais pas seulement, l'auto-contact c'est déjà de la masturbation, j'ai eu par exemple une sorte de psoriasis qui me permettait de me gratter en permanence. C'est un peu l'idée d'énergie sexuelle de Reich, qu'on dispose tous d'un capital qu'on exprime de différentes manières, il y a aussi Marcuse qui dit que les ouvriers ont une libido détraquée à cause des machines, mais qu'elle s'exprime de toutes manières.

Et maintenant ?

Bof... Je ne sais pas trop. J'ai l'impression que tout se mélange. J'ai des périodes masturbatoires et libidinales assez intenses suivies d'autres où plus rien ne se passe, le vide total. Je ne vois plus de raison de prendre du plaisir, je ne cible plus du tout mes désirs et d'ailleurs, ils me paraissent vraiment vains... Ils le sont sûrement, car socialement construits mais bon... C'est pas une raison pour être ascète à ce point, j'ai passé des mois sans regarder ni toucher mon corps. Celui des autres non plus d'ailleurs.

Ça a un rapport à la féminité, tu crois ?

Ouais.

On n'apprends pas aux filles à se toucher, et ça rejoint ce que tu dis sur le fait qu'on nous apprenne à plaire ?

Plus qu'à prendre son "pied", c'est sur. Mais en ce moment, ce qui me dérange le plus, c'est le rapport au corps. Je peux être très excitée mais ne pas pouvoir mettre en place mes désirs, et j'ai bien souvent le sentiment que c'est la pression sociale qui me l'empêche. Comment arriver à se toucher, à se laisser toucher après être allée dans la rue, dans la réalité en somme, froide et cloisonnée ? Il me faut des heures pour me détendre.

Ouais, raccrocher ta tête de ton corps, quoi, comme si ton corps prenait toute la pression sociale, obéissait et qu'il fallait lui rappeler qu'il existait. Mais ces "pressions", elles s'exercent sous quelles formes ?

Ben dans tous les rapports. C'est coercitif, ça s'ancre dans tous nos codes. Il y a des brèches, heureusement mais souvent je fait un constat assez noir de la situation. On prends les corps pour des objets. Pas seulement les femmes, même si bien sur, c'est le fétiche ultime, avec une grosse bagnole, mais les garçons doivent obéir à des codes très épurés, finalement beaucoup moins "fantaisistes", c'est la norme rigide et froide. La guerre. Le cadre ne porte que deux couleurs. Une sombre, une claire. Il se tiens droit, bande droit, pisse aussi sûrement et baise à droite. Je ne baise pas à gauche, mais bon... Et sur la manière dont on impose aux hommes de se masturber, aussi. Il y a une légende qui n'en n'est pas vraiment une qui veut que plusieurs ados réunis autour d'un film x se branlent en rond, sur des biscottes. Le dernier les mangent toutes. C'est horriblement excluant.

C'est assez rigide, certes mais eux au moins, ils ont le droit de le faire !

Ouais mais c'est toujours pareil, ça c'est un bon conditionnement pour ta sexualité après, tu dois être le mec qui assure, qui prends tout en main, et il y a cette histoire du temps défini au sexe, à la masturbation. Le fait que ce soit interdit t'incite à ne pas le faire, ou a le faire rapidement. Je connais plein de garçons qui ont des soucis et éjaculent très rapidement, souvent ils pensent que leur parents, ou les institutions les ont vraiment brimés à les forcer à faire ça dans les chiottes, entre deux cours ou deux courses...

Et comment tu crois que les filles vivent la masturbation ?

Et ben... Je crois c'est souvent conditionné par ce rapport à la séduction. Plein de fois j'ai eu besoin de me désirer moi pour pratiquer l' onanisme, de me servir de miroirs et de choses qui me rappelaient que j'étais un "objet de désir". Je prends du plaisir à la situation de masturbation, plus qu'à la masturbation en elle-même. La salle de bains est pour ça un endroit que j'apprécie beaucoup. On a le droit d'y être nue, de se "chouchouter", (comme si la masturbation n'était pas un "chouchoutement", mais bon) et c'est "propre". Aussi, je crois que les filles connaissent moins leurs désirs que les hommes, les garçons prennent du plaisir à imaginer une situation sexuelle, ils ont le plus souvent dans la tête quelque chose d'assez réaliste, même si c'est aléatoire et désordonné. Il me semble que de leur côté, les filles ont plus de mal à cibler leurs désirs, ce qui se ressent dans leurs 'fantasmes' et ce qu'elles imaginent. Alors, lorsqu'elles se masturbent, elles aiment le processus masturbatoire, imaginent plus des couleurs par exemple que des situations sexuelles réelles ou qui pourraient l'être.

C'est tellement opposé, souvent je me dis que l'on ne peut vraiment pas se comprendre, entre genres. Nos désirs sont tellement construits de manière opposée, que les rapports ne peuvent (mais ça de manière globale, bien sûr) qu'être viciés. C'est trop pourri le jeu de la séduction, et tout ça, même le fétichisme ça m'énerve, finalement. J'en viens à détester plein de formes de sexualité.

Mais t'en trouves d'autres, non ?

C'est difficile, mais ouais, la branlette, c'est bon, plus de problème d'image ! Malheureusement si, mais on s'en fout, ce sont les nôtres.

C'est celles des autres le problème ?

Ouais, surtout lorsqu'elles sont érigées en institutions, et à deux c'est déjà une institution.

Eh ! Et bien, heureusement que tu es schizophrène ; pour t'interwiever toute seule, c'est mieux.

jeanne

Ecrit par libertad, à 19:08 dans la rubrique "Le privé est politique".



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