Lu sur
l'Humanité : "Menace d’imploser À Pôle emploi, les retards dans l’indemnisation des chômeurs s’accumulent et la souffrance au travail explose. Journée de grève nationale aujourd’hui, à l’appel de tous les syndicats. Reportage en Provence-Côte d’Azur.
Depuis le 5 janvier 2009, l’accueil des privés d’emploi à l’ANPE et la liquidation de leurs allocations chômage à l’Assedic ont été remplacés par des front-offices (bases avant) et des back-offices (bases arrière), où travaillent des agents polyvalents de Pôle emploi, cet hybride dont le statut juridique est des plus flous puisque né de la fusion d’un service public et d’une association de droit privé. L’idée gouvernementale de créer un guichet unique pour les chômeurs était approuvée par plusieurs syndicats. Dix mois après, les mêmes dressent, avec la CGT, un bilan catastrophique de cette fusion, autant pour les usagers que pour les employés de Pôle emploi, et sonnent le tocsin : plusieurs agents se sont suicidés, au travail ou à la maison, depuis le début de l’année.
LE SOMBRE TABLEAU DE LA FUSION
L’intersyndicale appelle aujourd’hui à une journée nationale de grève, pour exiger un accueil décent et efficace des chômeurs, sonner d’alarme sur la dégradation des conditions de travail et exiger de prendre le temps de négocier vraiment une nouvelle convention collective nationale. La fronde est partie du sud-est de la France. Les salariés dressent aujourd’hui un sombre tableau de la fusion. Parmi les principaux problèmes : la formation. Comme le souligne Georgette Gianola, de Marseille, « accueillir, conseiller et placer un chômeur, c’est un métier, constituer son dossier d’indemnisation, c’en est un autre et il faut dix-huit mois dont six de formation pour bien posséder l’un ou l’autre ». Les anciens des Assedic n’ont eu droit qu’à sept jours de formation (trois seulement pour les ex-ANPE) avant d’être « jetés dans l’arène », comme dit Marie, qui travaille à Nice : « En plus il y a cette année une montée du chômage, avec une poussée supplémentaire dans le tourisme depuis la fin de la saison estivale, et nous sommes complètement débordés. » Les renforts promis ne sont pas arrivés, les dossiers en retard s’accumulent. Danielle, une ancienne des Assedic, estime que, une fois de plus, « après l’effet d’annonce de Sarkozy, tout a été fait dans la précipitation. Le système a été désorganisé et menace maintenant d’imploser ». Au profit des boîtes privées de placement et formation ?
CARRÉMENT VIRÉE DE SON BUREAU
Autre problème, encore plus douloureux : le nomadisme. Marie-Jo, salariée de Pôle emploi à Hyères, était, hier matin, dans les cartons.
« En attendant que soient trouvés les 1 800 m2 nécessaires pour loger Pôle emploi, on déménage de force de l’ANPE pour le back-office et c’est l’enfer ! » raconte-t-elle. Marie-Jo, de Nice, a, quant à elle, été carrément virée de son bureau pour être affectée dans un local actuellement en travaux : « J’ai apporté une bougie pour protester contre les coupures de courant et c’est avec ma clé USB personnelle que j’ai sauvé in extremis mes fichiers ! » lâche-t-elle, les larmes aux yeux.
Quant à Françoise, de Grasse, elle passe ses journées à sillonner la ville d’un bureau à l’autre, assistant, impuissante à la « destruction de son équipe ». Pour certains, le choc psychologique est énorme. « On devient des machines qui ont face à eux, et pas plus d’une demi-heure chacun, non pas des gens mais des dossiers. » La crise d’identité est encore plus violente pour les agents du service employeurs qui, tel Anthony, de Nice, ne sait pas « ce que va devenir (son) métier » lorsque l’Urssaf (en 2012) récupérera les cotisations patronales. « Un de ces quatre, affirme son collègue Jean-Jacques, informaticien, on va en retrouver un pendu dans son bureau. »
PHILIPPE JÉRÔME