Il est de bon ton dans les médias à large surface, où l’on raffole des anniversaires et autres dates symboliques, de se demander ces jours-ci « où va l’Europe » un an après la victoire du non*.
L’Europe serait
« en panne », ce qui ne manquera pas de faire sourire ceux qui dépassent
en ce moment sur les autoroutes dont le réseau se densifie quotidiennement une
file quasi ininterrompue de poids-lourds immatriculés un peu partout et se
rendant ou revenant d’un peu partout ou bien les employés des services qu’une
« directive Bolkestein » édulcorée de son libéralisme le plus voyant**
met à présent en concurrence ou encore les dizaines de milliers de Britanniques
et de Néerlandais qui investissent dans la pierre au Sud, ou enfin toutes les
bienheureuses entreprises brasseuses de dividendes à huit ou neuf chiffres qui
profitent des placements avantageux que leur propose la société Clearstream et
ses consoeurs moins fameuses mais bien contentes pour le coup de leur
sous-exposition médiatique.
Et l’on rappellera
sans pudeur la liste des pays qui ne désespèrent pas de monter sur cette fusée
pourtant prétendument clouée au sol, sachant que leur nombre comme leurs poids
suffira politiquement à l’y maintenir : la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie,
maintenant la Croatie et le Monténégro, demain la Macédoine puis le Kosovo en
attendant la suite, l’Ukraine, l’Arménie, la Géorgie.
Certes, tout cela
est bien vulgaire, purement économique pour ne pas dire marchand, et nous entraîne
très loin de cette Europe politique, évidemment unie dans l’harmonie sociale***,
dont rêvaient les partisans du oui, une Europe dirigée par un Parlement
aussi puissant que généreux, pas du tout libéral droitiste comme la vilaine
Commission européenne enfin réduite à un troupeau de fonctionnaires obéissants,
une Europe fraternelle soutenant comme un seul homme son ministre des Affaires
étrangères, un nain costaud capable de faire trembler, sans déconner,
hein ! aussi bien les géants Américains et Chinois que le Quasimodo russe.
Ah ! il s’en
faudra de longtemps, toujours peut-être, avant que ne se réalise le miracle
d’une Europe intégrée, avec sa langue unique, son unique président, son unique
gouvernement, son unique armée, son strict bipartisme, une Europe aussi libérale,
inégalitaire et nationaliste que l’Amérique de Bush, aussi polluante et
productiviste que la Chine de Hu Jintao.
De cette
pseudo-panne faut-il vraiment se désoler ?
*implicitement
désastreuse pour tous ces éditorialistes qui militaient férocement en faveur du
oui l’an passé et cette année pour Sarkosouy.
**les prestataires
de services doivent appliquer la législation sociale du pays où ils
interviennent et non plus celle de leur pays d’origine.
*** cet atroce « économie sociale de
marché » qui était un oxymoron trompe-couillon (au moins dans sa
traduction française) dès sa création dans l’Allemagne de l’après-guerre.
Mathias Delfe