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Mais il faut insister sur l'origine résolument religieuse de la communauté. Son fondateur, J.H. Noyes, tout d'abord évangéliste, devient ensuite une sorte de prophète inspiré, revendiquant l'entière liberté des enfants de Dieu, en une sorte d'anarchisme mystique à la recherche de l'effusion du Libre Esprit divin. Le seul office proprement dit de règle pour les communautaires consistait en séances de « critique mutuelle », où à tour de rôle les participants, désignés par ordre alphabétique, devaient subir en silence l'exposé par les autres de ses fautes et déficiences : sorte de psychothérapie de groupe fort pénible, mais jugée très bénéfique par les témoignages ultérieurs rétrospectifs. Le «criticisme » , disait Noyes, doit être une combinaison de vérité et d'amour.
Rotation des partenaires
Mais l'originalité foncière d'Oneida était l'abolition du mariage, justifiée par une curieuse exégèse des textes bibliques ; ou plus exactement, l'institution du « mariage complexe » unissant tous les hommes et toutes les femmes de la communauté, le partage réciproque des personnes parachevant la mise en commun totale des biens. Toute espèce de grivoiserie était exclue ; les femmes étaient sobrement vêtues, très court, cheveux coupés, sans bijoux, et les enfants mis en garde par le prophète contre le péché et l'enfer. Une rotation des partenaires était requise, selon un rythme en gros hebdomadaire, ou de deux à quatre jours. Laissée au début à l'initiative de chacun, une intervention dans les choix s'avéra nécessaire pour égaliser les chances. Plutôt qu'un tirage au sort d'abord réclamé par certains, Noyes préféra confier la régulation aux bons et discrets offices de médiateurs et médiatrices choisis parmi ceux que désignaient leur âge, leur maturité, leur piété ; à eux revenait aussi la tâche de l'initiation amoureuse des jouvencelles et jouvenceaux. Il fallait en effet que ces derniers acquièrent au départ, entre les mains de femmes ménopausées, une parfaite maîtrise de l'acte sexuel.
Le devoir impératif de contraception était en effet une pierre angulaire de la communauté, par la technique dite « d'Oneida », à savoir l'étreinte réservée, déjà familière au vieux taoïsme (et sans doute à l'amour courtois médiéval). Noyes avait été dans sa vie conjugale pré-oneidienne douloureusement marqué par les grossesses à répétition de son épouse, dont au surplus les bébés étaient morts, sauf un. Plutôt que de prêcher l'abstinence comme tant d'autres réformateurs de l'époque, il avait donc découvert les bienfaits du coït prolongé sans éjaculation, libérant la femme de l'obsession d'être enceinte et lui conférant une entière disponibilité sexuelle.
Il semble qu'un réel bonheur, une grande santé mentale aient régné dans la communauté : c'est en tout cas ce que confirment la rareté des départs, le dynamisme de l'économie et l'afflux de nouveaux membres (un cérémonial était prévu pour libérer les couples arrivant mariés). Cette réussite, l'épanouissement apparent des enfants (élevés en commun dans une maison d'enfants, sauf visites chez leurs mères), affermissaient Noyes dans la certitude que la voie choisie était la bonne, voulue de Dieu et agréée par lui, quels que soient les jugements du dehors (les autres enfants traitaient ceux d'Oneida de « bâtards du Christ » et autres gentillesses, que connut aussi Summerhill). Le fondateur opposait la netteté de la vie sans hypocrisie des communautaires aux concupiscences, aux tromperies si fréquents dans l'état habituel du mariage.
« Parents sélectionnés »
Chose à noter, ce ne fut pas l'intervention du pouvoir civil qui mit fin à Oneida en tant que communauté sexuelle, mais bien plutôt le développement de tensions internes, liées tant au vieillissement du chef qu'à une résistance croissante à la hiérarchie de fait interne, même déguisée en « compagnonnage ascendant ». La disjonction radicale des fonctions amatives et reproductives livrait celle-ci à la directivité utopique et à ses abus. Féru d'eugénisme, lecteur de Darwin, Noyes entendit sur le tard réserver le droit de reproduction à des géniteurs et génitrices désignés à cette fin (encore que ce soit parmi des volontaires) : 58 enfants naquirent ainsi de « parents sélectionnés ». Oneida était de moins en moins religieux, de plus en plus « socialiste », de plus en plus entre les mains d'un leader vieilli entouré de ses dignitaires, et la communauté allait finir par se lézarder. Il semble que l'étincelle qui mit le feu aux poudres fut l'opposition croissante à la confiscation par Noyes surtout (et les anciens) du privilège d'initier les jeunes filles : d'où trop de frustrations chez les autres.
Usé par l'âge, par la surdité, face à des attaques extérieures sans cesse plus virulentes et à la désunion interne, Noyes prit un beau jour le large, en recommandant d'abolir le mariage complexe, clef de voûte du système : Oneida avait vécu, et se transforma en une simple coopérative avec parts et actions. Le rêve du paradis insulaire s'évanouit avec son créateur.
François ELLENBERGER•
(D'après « La Société festive », par Henri Desroche, Le Seuil, 1975)
Sexpol #15 20 juin 1977
Photos © This work is the property of the Syracuse University Library. It may be used freely by individuals for research, teaching and personal use as long as this statement of availability is included in the text.
Commentaires :
myelnitsa |
ça fait froid dans le dos..."La question est plutôt de savoir comment une colonie religieuse est
allée plus loin en matière de communisme sexuel que les communautés
anarchistes et dans la remise en cause du couple alors que pratiquement
aucune communauté anar n'a jamais vraiment réussi à le faire malgré les
intentions."
Je pense, Libertad, que tu as ici la réponse à ta question. Le "comment" est décrit ici de manière claire, et les pratiques de cette communauté n'ont absolument rien à voir avec l'anarchisme : la rotation des partenaires est requise, une intervention dans les choix s'avère nécessaire, confiés à des médiateurs, initiation par les plus anciens, puis réservée au seul leader, parents sélectionnés, etc. Tout cela fait partie de l'arsenal classique d'un certain nombre de sectes, aujourd'hui encore. Ajoutons les séances d'autocritique et "la mise en commun intégrale non de la seule propriété, mais aussi de la vie affective et sexuelle", cela ressemble pour moi à un cauchemar totalitaire... Il me semble d'ailleurs historiquement que certains régimes dans une histoire très récente ont approché ce genre de mise en pratique de "l'utopie". Sincèrement, j'aimerais pouvoir rire de trouver un texte pareil sur un site dont l'en-tête affirme qu'il est un "quotidien anarchiste"... Je n'y arrive pas... Répondre à ce commentaire
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libertad 24-01-08
à 23:32 |
Re: ça fait froid dans le dos...
"Sincèrement, j'aimerais pouvoir rire de trouver un texte pareil sur un
site dont l'en-tête affirme qu'il est un "quotidien anarchiste"... Je
n'y arrive pas..."
Tu oublies certainement que ce quotidien se nomme l'En Dehors et qu'il a existé avant guerre l'En Dehors d'Armand. Si tu te reportes à la lecture de la brochure rédigée par Armand "Milieux libres de vie en commun et colonies", tu trouveras dans la liste Oneida, comme colonie Perfectionniste. A moins de considérer qu'Armand n'était pas anarchiste ! Le texte ci-dessus indique clairement qu'Oneida est une secte d'origine protestante. Armand venait du protestantisme lui aussi, rien d'étonnant à ce qu'il s'intéresse aux colonies d'origine religieuses, son premier journal l'Ere nouvelle était chrétien au départ. Sur l'origine des idées d'amour libre aux USA dans le milieu socialiste utopique et parmi les perfectionnistes, lire le texte suivant ( traducteur automatique, texte d'origien en anglais ) : Free love Effectivement cette communauté était autoritaire, c'est sans doute de cette façon que les tabous sexuels ont été surmontés par des personnes influencées par le puritanisme religieux, cela n'explique pas pourquoi des communautés anarchistes non influencées par ce puritanisme n'ont pas été aussi loin dans la remise en cause du couple, bien que théoriquement elles le condamnaient ( voir la presse anarchiste de l'époque, les brochures sur l'amour libre et le mariage comme prostitution ). Quant aux intermédiaires; voici ce que dite le texte : "Laissée au début à l'initiative de chacun, une intervention dans les choix s'avéra nécessaire pour égaliser les chances. Plutôt qu'un tirage au sort d'abord réclamé par certains, Noyes préféra confier la régulation aux bons et discrets offices de médiateurs et médiatrices ". En fait comme le choix des partenaires était libre, il s'agissait d'éviter les froissements entre membres de la communauté et les offres sexuelles se faisaient par intermédiaires. Pour l'initiation par les anciens et anciennes, elle permit aux femmes plus agées d'expliquer aux hommes comment contrôler leur éjaculation, je ne pense pas qu'on puisse considérer ça comme une mauvaise idée, vu que tout le monde s'en portait bien. Répondre à ce commentaire
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à 18:51