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Nouvelles formes de débat démocratique
Lu sur Indymédia Grenoble : "Bonjour, ceci est la retranscription d'un entretien entre Les Renseignements Généreux, Hélène et Mani, de l'association Virus 36. Il s'agit du quatrième numéro d'une série d'interviews grenobloises.



INTERVIEW D'HÉLÈNE ET MANI DE L'ASSOCIATION VIRUS 36




- Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

- Bonjour, je m'appelle Hélène, je fais partie de l'association Virus 36, qui expérimente et transmet de nouvelles formes de débat démocratique.

- Bonjour, je m'appelle Mani, je suis grenoblois, et je fais également partie de l'association.

- Quelle est la démarche de l'association Virus 36 ?

- Hélène : Notre démarche est née d'une critique radicale, c’est à dire en profondeur, des formes classiques de débat telles que les conférences/débats, les table-rondes, les réunions publiques ou encore les forums citoyens. Nous critiquons avant tout les rapports de pouvoir qui s'y expriment. Prenons l'exemple des conférences/débat ou des tables-rondes. En général, la forme est toujours la même. Le temps de parole est monopolisé par des "spécialistes" du sujet, tandis que le public a juste quelques dizaines de minutes pour poser des questions. Cette hiérarchie du temps de parole se retrouve également dans l'aménagement de l'espace. La plupart du temps, les intervenant-e-s sont séparé-e-s du public, voire en hauteur par rapport à lui. Dans ces conditions, le débat est quasiment inexistant. Le public est simplement là pour écouter la bonne parole d’un-e invité-e vedette ou de plusieurs personnalités censées détenir une "vérité".

- Faut-il bannir les expert-e-s et les spécialistes des débats ?

- Hélène : Non, bien sûr. Certaines personnes ont davantage creusé certains sujets que d'autres. De ce fait, elles possèdent un savoir spécifique qu'il peut être important de transmettre. Mais ce qui nous dérange dans les formes classiques telles que les conférences/débat, c'est qu'elles nous maintiennent dans une situation de passivité et de consommation d’idées. Le fait d’être simple récepteur/trice n’aiguise pas notre esprit critique. Rien n'est fait pour que nous puissions nous réapproprier le savoir exposé par l'intervenant-e, c'est-à-dire faire le lien entre ce qu'il nous dit et notre propre vie, notre propre quotidien, là où nous en sommes dans nos idées et nos actes. Ce qui pourrait être un moment de construction collective se résume alors à une succession d’idées plus ou moins brillantes émises par quelques émetteurs/trices plus ou moins ennuyeux-ses. Le public, réduit au statut de spectateur passif, n'est pas véritablement traversé par ce qui se dit à la tribune. A la limite, c'est un spectacle comme un autre, qui ne change pas le cours de nos vies.

- Mani : Les conférences/débats et les tables-rondes ont également des effets politiques plus profonds. Ces formes de discussion hiérarchisée renforcent la logique de "délégation de pouvoir", cette idée omniprésente dans notre société selon laquelle les "expert-e-s", qu’ils ou qu'elles soient politicien-ne-s ou sociologues, seraient plus à même de prendre les décisions nous concernant, plus à même de débattre des sujets qui nous concernent tou-te-s. Cette situation nous renforce dans un statut de passivité politique.

- Que pensez-vous des débats où la distinction spécialistes/public est moins marquée, par exemple les débats citoyens comme les « café-philo », ou même de simples réunions associatives ?

- Hélène : Les mécanismes de domination y sont plus insidieux, mais très présents. Dans ce type de réunion, tout le monde peut théoriquement s'exprimer. Mais dans la pratique, ce n'est évidemment pas le cas. Tou-te-s les participant-e-s ne sont pas au même niveau de rapport à la parole, d'information et de confiance en soi pour intervenir... La plupart du temps, la parole est donc monopolisée par quelques personnes, souvent les expert-e-s du sujet, celles et ceux qui ont plus d'information que d'autres, celles et ceux qui ont plus d'aisance à parler en public, etc. De nombreux mécanismes de domination aboutissent à ce que seules quelques personnes osent et puissent s'exprimer. Il serait illusoir de penser qu’on peut complètement annuler ces rapports, car nous avons été construits de cette manière depuis notre plus tendre enfance, mais en avoir conscience, les analyser, permet de lutter plus efficacement contre afin de les minimiser.

- Peux-tu détailler ces mécanismes de domination ?

- Hélène : Bien sûr. D'ailleurs, pour bien observer les mécanismes de pouvoir que je vais décrire, je conseille l'expérience de participer aux réunions avec un bloc-note. En premier lieu, on peut noter des rapports de pouvoir dans les manières d'intervenir des gens. Par exemple, le fait de couper la parole. Cet acte peut paraître accidentel. Mais il révèle le peu d’attention que l'on accorde aux autres. La volonté d’imposer ses idées peut également se manifester par le fait d'intervenir systématiquement après d’autres interventions. C'est une manière d’avoir le "mot de la fin", de ramener les choses à soi. Autre mécanisme de pouvoir : le ton des prises de parole, notamment le volume sonore. Les personnes qui ont confiance en elles parlent en général très fort, afin d'être entendues par tout le monde, de capter l’attention des autres, voire de s’imposer par la force. A l'opposé, les personnes plus timides parlent avec une toute petite voix. Du coup, elles se font souvent blâmer d'un lapidaire « on n'entend rien ! » qui dévalorise leurs propos. La volonté de domination peut également s'exprimer par le fait d'adopter un ton très affirmatif. Les idées énoncées apparaissent alors comme des vérités, ce qui laisse peu de place à la remise en question.

- Mani : Il faut aussi être attentif aux postures physiques. La manière dont on occupe l’espace n’est pas anodine. Par exemple, se mettre physiquement en avant est une manière de montrer sa confiance en soi, de renforcer ses propos, parfois de s’imposer. Citons également les effets rhétoriques. Le vocabulaire utilisé peut avoir un impact très fort auprès d'un auditoire. L'utilisation de termes érudits ou scientifiques joue souvent le rôle d'argument autoritaire, surtout si le reste de l'auditoire maîtrise mal le sujet du débat. Comme nous ne sommes pas égaux dans notre manière d'argumenter, dans notre capacité à récupérer les arguments de l'autre pour les incorporer dans nos pensées, ce sont souvent les plus "savants" qui dominent la discussion. Face aux personnes qui maitrisent inconsciemment ou non toutes ces techniques de domination verbales, le reste du public peut être très intimidé. Il est alors plus facile de ne rien dire plutôt que d’oser s’exprimer devant des personnes qui ont l’air tellement "intelligentes".

- Hélène : Pour terminer ce bref tour d'horizon des mécanismes de domination, il faut mentionner les rapports de genre. En règle générale, dans un débat rassemblant des personnes de sexe masculin et féminin, les hommes interviennent plus souvent, plus longtemps, coupent davantage la parole que les femmes, et leurs propositions sont souvent les plus écoutées. Cette description peut paraître caricaturale. Mais ce sont des faits étudiés et observés. Je ne pointe pas cette réalité pour dire que les femmes sont par nature moins motivées par la réflexion, par la discussion collective, plus timides ou moins concernées par la politique. C'est une question de construction sociale. Dès leur plus jeune âge, les hommes sont éduqués à se battre pour leurs idées, à s'affirmer, à se "dépasser", à se confronter aux autres, tandis que les petites filles sont éduquées à être compréhensives, à l'écoute, sage[1]. Ces comportements genrés émergent lors des débats, de manière plus ou moins explicite. Des études comme celle de Corinne Monnet sur les rôles genrés dans les discussions[2], décrivent par exemple que dans des débats mixtes, la quasi totalité des interruptions de parole sont effectuées par des hommes, et que ce sont le plus majoritairement les thèmes proposés par les hommes qui sont retenus au détriment de ceux proposés par les femmes.

- Toutes les critiques développées jusqu'à présent pourraient également s'appliquer aux repas de famille...

- Hélène : Absolument. On retrouve ces mécanismes de domination dans tout type de réunion. Ce qui est frappant, c'est de constater le peu d'imagination pour tenter de les enrayer, comme si une sorte de pensée unique les recouvrait. Rares sont les réflexions sur les moyens d'aider les personnes timides à s'exprimer, sur les moyens de lutter contre le sexisme dans un débat, sur les manières d'améliorer le taux d'écoute. C'est d'ailleurs fou de constater combien les gens s'écoutent très peu dans les débats. En général, chacun-e est davantage préoccupé-e par préparer son intervention que vraiment écouter ce qui se dit autour. Au final, dans la plupart des discussions, plein de petits avis morcelés se juxtaposent, sans réellement construire une pensée collective. Chacun-e arrive avec une idée préétablie, puis repart avec. La discussion collective ne nous transforme pas, elle est vide. En l'absence de réelles interactions entre les gens, les "grandes gueules" viennent pour briller, les autres pour apprendre des choses parce qu'ils pensent ne pas savoir, en tout cas pas au point d'émettre des idées, et s'abreuvent de pensées sans outils pour se la réapproprier. La plupart des participant-e-s ingurgitent ainsi une suite de "vérités", pour les ressortir dans de futures discussions.

- Ces critiques sont d'autant plus incisives que la « démocratie participative » est un thème à la mode. Les Autorités organisent de plus en plus des « débats citoyens », des « consultations publiques », des « forums participatifs »...

- Mani : Ce sont généralement des parodies de démocratie. Les formes de débat proposées ne prennent pas en compte les mécanismes que nous venons de décrire. Elles reproduisent les schémas de domination les plus courants : le pouvoir de l'expert-e, l'absence de pouvoir du non-initié, le sexisme, le monopole des "grandes gueules", la passivité du plus grand nombre. Qui plus est, les débats « participatifs » proposés par l'Etat ou les collectivités locales sont généralement sans enjeu. Les décisions sont déjà prises, le public est surtout là pour les écouter et les valider, sans pouvoir réellement agir. On nous dit « Nous sommes en démocratie : voyez tous les débats que nous organisons ! ». Mais en réalité, la population n'a quasiment aucun pouvoir.

- Hélène : Avec ces discours médiatiques sur la démocratie participative, on nous prend vraiment pour des idiot-e-s ! La participation est une manière de faire parler les gens sans réellement les écouter, d'empêcher toute critique. Si tu critiques, tu es en effet le « fasciste » qui refuse de participer au « débat »... Alors qu'il n'y a pas de réel débat puisque les décisions sont déjà prises par les experts et les politiciens, et que les séances de « participation citoyenne » n'y changeront rien ou presque ! Ce que nous voulons, ce n'est pas une démocratie participative, mais une démocratie directe.

- Concrètement, quelles nouvelles formes de débat proposez-vous ?

- Mani : Nous essayons de proposer et d'expérimenter de nouvelles règles de discussion. Ces règles peuvent être toutes simples. Par exemple, pour éviter que les personnes se coupent la parole, nous proposons qu'un-e des participant-e-s prennent les tours de parole. Concrètement, cette personne note sur une liste les demandes de parole. Celles-ci se font en levant la main, un acte simple et peu engageant physiquement. Cette petite règle a beaucoup d'implications. Elle évite que les débats se transforment en une sorte de "ping pong" entre plusieurs personnes, celles qui parlent le plus fort et le plus rapidement. Elle permet à chaque personne qui le souhaite de pouvoir s'exprimer sans avoir besoin de couper la parole à une autre, et sans que son intervention soit coupée. Certes, la discussion est alors plus décousue, parce qu'il est impossible de réagir "à chaud" à ce qu'une autre personne vient de dire. Il faudra attendre patiemment notre tour de parole. Mais, du coup, le fait de ne pas être dans la "réaction instantanée" permet de prendre du recul, de prendre davantage le temps de réfléchir, de prendre en compte tout ce qui est en train de se dire. De ce fait, les interventions sont en général plus sereines, plus posées, plus argumentées. C'est une petite technique toute simple. Elle se pratique de plus en plus dans les milieux politiques et associatifs de Grenoble. Un autre exemple tout simple : introduire un "bâton de parole" dans un débat. Seule la personne qui tient le bâton (un objet choisi par le groupe) est autorisée à parler, et il faut faire un signe pour le demander. Du coup, il est impossible de se couper la parole. De plus, pendant que le bâton de parole change de mains, cela crée un temps de silence qui apaise la discussion. Encore une autre technique : les « banques de question ». Chaque participant-e à un débat écrit une question sur un petit bout de papier. Toutes ces questions sont ensuite mises dans un chapeau. Puis chaque participant-e pioche chacun-e son tour une question, la lit à voix haute, puis explique ce que cette question lui évoque. On passe alors à un-e autre participant-e. Cette règle génère un haut niveau d'écoute et une participation de toutes les personnes présentes. Je pourrais décrire bien d'autres outils que nous expérimentons, mais cela risque d'être fastidieux...

- C'est pourquoi nous allons présenter ces outils en annexe de cet entretien.

- Hélène : Attention, ces outils ne sont pas des solutions « clés en main ». La première question à se poser quand on souhaite organiser un temps de discussion, ce sont les objectifs que l'on cherche à atteindre : transmettre des informations ? Aboutir à une décision collective ? Recueillir des témoignages ? De la réponse à ces questions découlent non seulement les outils de débat possibles, mais également tout le contexte de la rencontre : le choix du lieu, l'aménagement de l'espace, la préparation en amont et en aval du débat. Ça ne marche pas de rassembler trente personnes dans une même salle et de dire « allez, maintenant tout le monde s'exprime ! ». Même avec des outils de discussion très participatifs, il faut au préalable créer un contexte pour que chaque personne ose prendre la parole, apprenne à prendre confiance, ressente une atmosphère de bienveillance. Par exemple, pour que les personnes timides se sentent moins "oppressées" dans un débat, nous proposons de faire d'abord des discussions en petit groupe. Si on souhaite aborder un sujet complexe, nous conseillons de transmettre un maximum d'informations accessibles aux personnes invitées, et ce avant le débat. Si l'on souhaite que le débat soit égalitaire, que tout le monde soit physiquement au même niveau, nous conseillons de ne pas choisir un amphithéâtre pour discuter. Enfin, et surtout, il est important de veiller au plaisir du débat, que ce moment ne soit pas vécu comme rébarbatif. La décoration du lieu, la présence de nourriture et de musique peuvent contribuer autant que la qualité des outils à ce qu'une discussion soit vécue comme un moment de partage fort et beau.

- Quelles types de dispositions avez-vous envie de faire émerger chez les participant-e-s lors d'une discussion collective ?

- Mani : Je vais plutôt dire ce que je souhaite pour moi. Quand je participe à un débat, je souhaite ne pas être le mâle dominant, être à l'écoute, être capable de faire des propositions constructives, être capable de me remettre en question, être sur un pied d'égalité avec les autres... et ne pas être le seul dans cette démarche !

- Hélène : De mon côté, la principale chose que je recherche, c'est que les personnes qui participent à un débat se sentent réellement concernées par ce qui se passe, qu'elles sentent que leur parole a de l'importance. Quels que soit le niveau d'information et d'expertise de chacun-e sur un sujet donné, si on veut vraiment réussir à construire des projets collectifs, il faut que la parole de chacun-e aie du sens et soit prise en compte. Je suis ravie quand, à la fin d'un débat, des personnes viennent nous voir en disant « J'ai parlé alors que d'habitude je ne dis rien ». Reconnaître l'importance de la parole de chacun-e dans un groupe, c'est l'objectif fondamental de notre démarche.

- Les outils que vous avez développé sont-ils fondamentalement subversifs ou sont-ils récupérables par le Pouvoir économique et politique ?

- Hélène : Ces outils pourraient parfaitement être récupérés, notamment par les entreprises, toujours à la recherche de nouvelles formes de management pour améliorer la productivité des employé-e-s. Ce qui différencie notre démarche, c'est que nous mettons l'accent sur la recherche de démocratie directe. En aucun cas nous ne voulons dissocier cet objectif des moyens que nous utilisons : la recherche de discussions collectives égalitaires, horizontales, sans rapport de domination.

- Peut-on débattre dans de bonnes conditions à plus de cent personnes ? Sans sexisme, sans le monopole du charisme, avec un haut niveau d'écoute ?

- Mani : Oui, je l'ai déjà vécu. Si les personnes sont éduquées en ce sens, si elles ont conscience des enjeux d'un débat sans domination, tout est possible. J'ai par exemple vécu une réunion à 500 personnes qui ont pris, en seulement deux heures de débat, une décision importante par consensus. C'était en 2003, au VAAAG[3] d'Annemasse, lors du sommet contre le G8. Mais ces 500 personnes avaient déjà passé plusieurs jours ensemble, en fonctionnant de manière autogérée. Attention, si j'ai souligné que la décision avait été prise ce jour-là en deux heures, ce n'est pas pour renforcer le mythe de l'efficacité. Au contraire, en démocratie, l'efficacité, c'est plutôt quand le maximum de personnes ont pris le temps de discuter ensemble d'un décision importante, quand toutes les personnes concernées par un problème ont pu s'exprimer.

- Où puisez-vous votre inspiration critique ?

- Hélène : Nos idées politiques ne viennent jamais de nulle part. Ce sont des processus, des évolutions. Le féminisme a été pour moi une grande prise de conscience des rapports de domination insidieux et omniprésents dans notre quotidien. Notre travail sur les formes de discussion vient également de rencontres dans les milieux libertaires, notamment lors de réunions nationales et internationales. Lors de ces rencontres, nous étions très attentif/ves à ce que chacun-e soit acteur/rice des processus de décision et de réflexion. Du coup, nous nous questionnions sur les moyens d'y parvenir. Nous nous sommes alors mis à imaginer et expérimenter plein de formes différentes : bâtons de parole, banques de questions, médiation, discussions en petit groupe, débats en étoile, etc. Je me suis également nourrie d'une rencontre avec François Deck[4], professeur à l'école des Beaux-Arts de Grenoble. Celui-ci travaille sur les formes de rencontres permettant de rendre les participant-e-s plus acteurs/rices, mais également de trouver du plaisir dans la rencontre, que ces moments soit beaux.

- Mani : J'ai également découvert ces nouvelles formes de débat par le côté artistique, grâce à François Deck, mais également grâce à des rencontres dans le milieu libertaire. En tant que mec, je me rendais compte que je prenais beaucoup de place quand il y avait un enjeu dans une discussion, que je devais apprendre à me taire, qu'on me dise de me taire. Il fallait que je trouve les formes de discussion qui me permettent de me remettre en question. Je suis également membre de l'association « les passeurs », un collectif qui tente de récupérer des logements grenoblois abandonnés pour y vivre. La direction de cette association est collégiale, les décisions doivent être prises à l'unanimité. Du coup, nous sommes bien obligés de trouver des formes adaptées de discussion, sinon l'association ne fonctionne pas ! Petit à petit, on expérimente donc de nouvelles formes, pour que tout le monde soit acteur.

- Votre démarche de réflexion et d'expérimentation sur les débats a-t-elle modifié votre manière d'être et de penser ?

- Mani : Cette démarche a influencé tous les aspects de ma vie, autant mes rapports familiaux, que politiques et affectifs. Cela me permet de prendre du recul, pour tenter de répondre à cette question fondamentale : comment discuter avec des gens avec qui tu n'es radicalement pas d'accord,sans rompre le lien ? La critique théorique des rapports de domination, de ségrégation et de sexisme est assez facile. Mais traduire ces critiques en actes, notamment dans nos modes de discussion, c'est beaucoup plus difficile. C'est important de prendre conscience de comment on se parle en famille, au travail, dans la rue : quelle écoute, quel temps de parole, quelle capacité de remise en question, quel plaisir ?

- Hélène : Cette démarche a aiguisé ma perception des rapports de pouvoir. Quand je suis en famille, dans un débat public ou dans un bus, je suis de plus en plus attentive aux manières dont les gens se parlent entre eux. Du coup, c'est assez épuisant. Prendre conscience des rapports de domination est douloureux, mais c'est la première étape pour pouvoir changer les choses. Et quand on arrive à mieux discuter collectivement, c'est extrêmement agréable. C'est formidable et tellement apaisant de ressentir de l'écoute dans une discussion, une écoute active, c'est-à-dire où non seulement on ne se coupe pas ou peu la parole, mais où en plus on aide la personne en train de parler à approfondir sa pensée et aller plus loin. J'espère également que les outils que nous développons permettront de retrouver le plaisir de réfléchir et de décider ensemble, en évitant au maximum les rapports de domination.

- Une dernière question : pourquoi le nom « Virus 36 » ?

- Mani : « 36 », par référence à la révolution de 1936 en Espagne, où des millions de personnes ont tenté de vivre, parler et décider collectivement d'une manière radicalement différente. « Virus », parce que nous aimerions que les idées et pratiques que nous contribuons à développer se propagent par contagion...


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Contact Virus 36 : 06 74 83 44 69

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NOTES

[1] Lire à ce sujet L'ennemi principal, Christine Delphy, éditions syllepse, 1998 ; Sexe, cerveau et pouvoir, Catherine Vidal, Dorothée Benoit-Browaeys, Belin, 2005 ; Sexe, race et pratique du pouvoir, Colette Guillaumin, éditions Côté Femmes, 1992.

[2] Lire La répartition des tâches entre hommes et femmes dans le travail de la conversation, Corinne Monnet, 1998, brochure disponible sur http://infokiosques.net/

[3] VAAAG : village alternatif, anti-capitaliste et anti-guerres créé en juin 2003 à Annemasse, à l'occasion du contre-sommet du G8. Il rassemblait plusieurs milliers de personnes venues de toute la France et fonctionnait de manière autogérée (cf. Le VAAAG - Expériences libertaires, Editions du Monde Libertaire, 2005).

[4] Voir notamment le site internet de « L'université tangente », http://ut.yt.t0.or.at/site/

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ANNEXE

Quelques techniques de débat développées
ou utilisées par l'association Virus 36


1. Bâton de parole

La parole est symbolisée par un bâton, ou n'importe quel autre objet. Celle ou celui qui détient le bâton est le/la seul-e à pouvoir s'exprimer, les autres ne doivent pas l'interrompre. Quand elle/il a fini, elle/il transmet le bâton de parole à qui le demande, et ainsi de suite. Cette forme permet de visualiser la circulation de la parole, et les éventuelles monopolisations.

2. Tour de parole

Une personne de l'assemblée note les tours de parole. Qui désire la parole doit le signifier en levant la main. La personne qui note les tours de parole rajoute alors la personne qui a levé la main sur la liste des personnes qui ont demandé la parole. Chacun-e attend son tour pour parler. Cette forme permet d'éviter les dialogues ; permet que chacun-e prenne le temps de bien réfléchir son intervention ; d'éviter de répéter ce qui a déjà été dit ; de construire une réflexion collective en fonction de là où chacun-e en est au moment où elle/il intervient.

3.Ticket de parole

Chaque participant-e détient un nombre déterminé de tickets (par exemple trois). A chaque fois que l'on intervient, même brièvement, on doit donner un ticket. Quand on n'a plus de ticket, on n'a plus droit à la parole. On peut également décider d'une durée maximum dintervention (par exemple 5 minutes).

4. Tour de table

Chaque participant-e s'exprime le temps qu'elle/il veut sur le sujet du débat, à tour de rôle, jusqu'à ce que tout-e-s les participant-e-s aient pris la parole.

5. Etoile
(pour 12 à 50 personnes)

On forme quatre petits groupes (il peut y avoir davantage de petits groupes) qui discutent chacun dans un coin d'une pièce de la même problématique, pendant 30mn. Avant de débattre, chaque groupe a désigné une personne « interface » qui représentera le groupe dans la phase suivante. « L'interface » synthétise les propositions du petit groupe. Dans la phase suivante, les quatre « interfaces » se retrouvent au centre de la pièce, expriment la synthèse de leur groupe et essaient de trouver un consensus. Pendant ce temps toutes les autres personnes écoutent attentivement, prennent des notes et ne réagissent pas (durée 20mn). Ensuite chaque « interface » retourne dans son petit groupe. Ce dernier désigne une nouvelle « interface » et rediscute pour faire d'autres propositions en prenant en compte ce qui vient de se dire (durée 15mn). Les quatre nouvelles « interfaces » se retrouvent au centre et essaient de trouver un consensus avec ces nouvelles propositions (15mn). Elles retournent dans leurs groupes respectifs qui désignent une nouvelle « interface » (15mn). Les dernières « interfaces » finalisent au centre la proposition (15mn). C'est une forme qui permet la prise de décision. Il est important que tou-te-s les participant-e-s soient dans une démarche de consensus.

6. L'écoute active
(pour les discussions à deux)

Les deux personnes sont face à face : l'une exprime une position, un ressenti (exemple : « je pense que... » ), de la manière la plus claire et la plus concise possible. L'autre écoute attentivement, ne réagit pas et se contente de reformuler ce qu'elle a compris (exemple : « tu penses que... ») une fois que la première personne a terminé. Celle-ci ne réagit pas à la reformulation et se contente de préciser sa pensée lorsque son/sa partenaire a fini (ex : « non, ce que je veux dire, c'est plutôt que...). Quand elle a reprécisé, la deuxième personne reformule ce qu'elle a de nouveau compris (exemple : « ah, en fait tu veux dire que tu penses que... »). Ainsi de suite, jusqu'à ce que la personne qui a énoncé l'idée dise à son partenaire : « c'est bon, tu m'as bien compris-e ». Ensuite on inverse les rôles. C'est au tour de la deuxième personne d'énoncer une idée, et une seule, de la manière la plus claire et la plus concise possible. Et le dialogue se construit ainsi progressivement. Outre le fait d'être vraiment dans une pratique d'écoute et de s'y entraîner, cet outil peut être intéressant à développer lorsqu'il y a conflit dans un groupe et qu'on reste sur des incompréhensions, tant au niveau de la réflexion que du ressenti.

7. Banque de question
(pour 6 à 20 personnes)

Une problématique ou un sujet est proposé à l'assemblée. Chaque participant-e prend 5 minutes seul-e pour écrire une question qui le travaelle/il en rapport avec le sujet. Ensuite les participant-e-s se retrouvent en grand groupe et toutes les questions sont déposées dans un chapeau. Chaque participant-e tire au sort une des questions (si c'est la sienne, il/elle en prend une autre). Une personne commence par lire la question qu'elle a piochée. Le but du jeu n'est pas d'y répondre mais d'essayer d'exprimer comment on comprend la question, les problématiques que cela nous évoque. Les autres écoutent. Si un-e participant-e trouve que ce qui vient d'être exprimé rejoint la question qu'elle/il a pioché, elle/il prend la parole et à son tour exprime comment elle/il comprend sa question. Et ainsi de suite jusqu'à épuisement des questions. Cette forme permet de déblayer une problématique, de l'approfondir, d'en formuler d'autres plus pertinentes pour le groupe en fonction de ce qu'il a exprimé.

8. Le grand AXE
(pour 10 à 100 personnes)

Un repère orthonormé est dessiné sur le sol avec des propositions au bout de ses axes (par exemple : « légitime/pas légitime » ; « je participe/ je ne participe pas »). L'animateur/trice exprime une action (par exemple : manifester contre la guerre). Chaque participant-e va se positionner dans l'espace en fonction de ce qu'elle/il pense. L'animateur/trice demande à certaines personnes d'exprimer pourquoi elles se sont positionnées à l'endroit où elles sont. En fonction de ce qu'exprime la personne, les autres participant-e-s ont la possibilité de se repositionner. Il n'y a pas de débats, ce sont des points de vue différents qui s'expriment. Par contre si quelqu'un-e veut absolument exprimer sa position, elle/il peut demander la parole. Ensuite l'animateur /trice exprime une autre action et les participant-e-s se placent de nouveau. Cet outil permet de visualiser la position du groupe par rapport à certains sujets. Il est important de formuler les propositions liées aux axes sans jugement de valeur pour ne pas considérer que ce soit bien ou mal quand on se positionne à un endroit.

9. Le petit AXE
(pour 6 personnes)

Sur une feuille au milieu de la table, un repère est dessiné avec des propositions à chaque bout (exemple : « j'ai l'impression d'être entendu » / « je n'ai pas l'impression d'être entendu » ; « je me sens proche des institutions » / « je me sens loin des institutions ») de la même manière que pour la technique du grand axe. Chaque participant-e colle une gommette la/le représentant à l'endroit où elle/il se positionnerait par rapport aux axes du repère. Chacun-e à son tour explique au reste du groupe pourquoi elle s'est mise à cet endroit (par exemple : « je me sens proche de l'institution parce que je suis élu-e mais je n'ai pas l'impression d'être entendu-e parce que je fais partie dun groupe politique très minoritaire). Cet outil permet d'impliquer les participant-e-s en les faisant rentrer dans le vif du sujet par un positionnement personnel. Il permet donc de faire connaissance en lien avec la problématique du débat (par exemple : comment se faire entendre de l'institution ?)

10. Rivière
(pour 20 à 100 personnes)

Un trait est dessiné au sol. L'animateur/trice demande aux participant-e-s de se positionner de chaque coté en fonction d'une problématique. (Par exemple : faut-il faut interdire de fumer dans tous les lieux publics ? ). Elle/il demande à un-e participant-e d'exprimer pourquoi elle/il a choisit ce coté. La personne argumente en essayant de convaincre les personnes qui sont de l'autre coté du trait. Ensuite l'animatrice/teur propose à une personne de l'autre côté de s'exprimer. Cette personne va aussi essayer de convaincre l'autre bord. A chaque fois les participant-e-s peuvent changer de coté en fonction des arguments avancés et l'animatrice/teur peut leur demander ce qui les a fait changer d'avis. On peut se donner comme objectif de trouver une proposition qui convienne à tout le monde en fonction de ce qui est exprimé (par ex : on peut fumer dans des endroits publics s'il y a un lieu réservé aux fumeurs avec extracteur de fumée, comme ça on respecte tout le monde). Cette forme permet à l'ensemble des participant-e-s d'intégrer progresivement de nouveaux points de vue pour arriver à un consensus sur une proposition simple.

11. Philip 6 x 6
(Philip était un chercheur sur la dynamique des groupes)
(pour 18 à 36 personnes)

Des groupes de 6 personnes dont un-e rapporteur-e débattent pendant 6 mn (ou 15mn). Au bout des six minutes tou-te-s les rapporteur-e-s changent de groupe dans le sens des aiguelle/ils d'une montre. Chaque personne arrivant d'un autre groupe va synthétiser ce qui vient de se dire dans son précédent groupe pour faire rebondir la discussion. Tous les groupes désignent un nouveau rapporteur-e et débattent pendant 6 mn. Puis les nouveaux rapporteur-e-s changent de groupe et ainsi de suite jusqu'à ce que toutes les personnes de tous les groupes aient changé de table une fois. Cette forme permet, avant une prise de décision par exemple, d'avoir un aperçu de tous les arguments développés par l'ensemble du groupe.

Autre version : entre chaque phase de débat chaque rapporteur exprime la synthèse de son groupe, un-e animateur/trice synthétise le tout sous la forme d'une nouvelle problématique qui est débattue dans les nouveaux petits groupes après changement des rapporteur-e-s. Et ainsi de suite.

12. Boule de neige (ou flocon de neige)
(pour 16 à 48 personnes)

L'assemblée se divise en petits groupes de deux personnes qui débattent de la même problématique (durée : 10mn). Chaque couple rejoint un autre couple et il y a débat à quatre personnes du sujet (durée : 15mn). Chaque groupe de quatre en rejoint un autre et débattent à huit (durée : 20mn). Chaque groupe de huit fait une retransmission de son débat au reste de l'assemblée.

Pour le flocon de neige, on commence par prendre un temps seul, puis à deux, quatre, huit. Ceci est une méthode de maturation progressive. Cette forme peut servir à l'élaboration d'une charte de vie collective par exemple. Après la restitution collective, il peut s'en suivre une discussion sur les points de désaccord.

13. Brainstorming
(pour une dizaine de personnes)

Il s'agit d'une « tempête de cerveau ». Tou-te-s les participant-e-s disent tout ce qui leur passe par la tête sur une question ou un thème donné. Une personne inscrit sur une affiche tout ce qui est dit sans distinction. Dans une deuxième phase, les participant-e-s peuvent regrouper les propositions en créant des « familles ». Ceci permet d'exprimer les idées les plus farfelues et d'envisager le problème sous des angles complètement inattendus.

14. Théâtre-forum
(pour 20 à 50 personnes)

Devant une assemblée, des personnes interprètent une saynète représentant une situation conflictuelle. Les personnes constituant le public peuvent prendre la place d'un-e des comédien-ne-s pour proposer d'autres réactions, d'autres arguments pour faire évoluer la situation. Cette forme est complexe car elle fait appel aux ressorts du spectacle. Il faut un-e animatrice/teur se sentant de diriger ce moment de sorte de ne mettre personne en difficulté. Nous ne le mentionnons qu'à titre d'information.
Ecrit par libertad, à 23:09 dans la rubrique "Pour comprendre".



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