DANS LEUR VOLONTÉ d'égalitarisme forcené, transcendantal, les féministes radicales, tenantes de l'anti-naturalisme, sont en contradiction avec elles-mêmes en ce qu'elles veulent de toute force, et par toutes sortes d'arguments spécieux et irrationnels, prouver, que les femmes et les hommes sont strictement égaux de naissance, et que seule la culture et l'éducation déterminent le genre. En cela, ells retombent dans un déterminisme de nature.
Leurs efforts sont pathétiques et vains car pour invalider leur dogme, il suffit d'un seul fait qui le contredise. En effet, pour prouver qu'une hypothèse est fausse, il suffit d'un contre-exemple. Et ceux-ci sont nombreux. Mais elles ne s'embarrassent pas de logique, pétries qu'elles sont d'idéologie, voulant conformer la réalité à leur catéchisme. Elles nuisent en cela au concept même de genre qui, s'il est compris comme une discrimination sociale superposée à une différence de nature, est une explication pertinente de l'oppression des femmes et un moyen de forger des instruments de lutte.
Une autre faute de logique est de confondre différence et hiérarchie. Deux objets différents n'impliquent pas forcément l'infériorité de l'un par rapport à l'autre. C'est le même genre de raisonnement qui justifie le racisme ou l'homophobie.
Elles commettent de plus une faute politique en plaçant l'égalité sur le terrain psychologique, alors que l'égalité est une conquête sociale promulguée (déclarée) grâce à notre liberté, et une condition de cette liberté. C'est une volonté politique découlant de notre quête de justice sociale. L'égalité n'est pas innée, nous la voulons et nous la défendons, sociale et économique, parce qu'elle est l'aboutissement de notre besoin de justice et de la bonne compréhension de nos intérêts sociaux.
Mais le fond du débat est la conception même que nous avons de l'humain. Car cette conception détermine les luttes d'émancipation. D'un côté, celui des féministes radicales, on tient pour la théorie de la page blanche. Nous serions uniquement le produit de notre éducation, et tels les chiens de Pavlov, nous réagirions en fonction de notre conditionnement social. C'est faire l'impasse sur l'anthropologie et les millions d'années d'évolution qui nous ont faits, superposant au cerveau reptilien qui gère nos instincts et nos émotions le cortex et le néocortex. C'est faire fi des instincts et réflexes qui se sont développés au cours de notre évolution et qui assurent encore aujouid'hui notre survie. C'est nier la différentiation sexuée qui est apparue dans les règnes végétal et animal bien avant l'apparition des mammifères. C'est surtout penser que l'enfant est une pâte malléable que l'on pourrait façonner à sa guise. Les savants soviétiques avec Lyssenko avaient théorisé la transmissibilité des caractères acquis et prôné la création d'un homme nouveau, l'homo sovieticus. Ces théories comportementalistes (behaviourisme) ont été invalidées. Voudrait-on aujourd'hui inventer l'homo anarchicus ?
La théorie de la page blanche fait l'impasse sur la réalité bio-psychologique et historique. L'homme est social depuis sa préhumanité. La grégarité lui a été transmise par les primates ses ancêtres. On peut parler chez l'homme d'instinct social, en ce que cette socialité, antérieure même à l'évolution, a laissé stratifiés en nous des restes d'animalité que l'on retrouve dans nos comportements contemporains; par exemple les réactions de peur, de fuite ou les modes de séduction. Cette animalité est parfois vitale pour la sauvegarde de notre intégrité. Il est dangereux et angélique de nier cette part animale qui est notre fondement, car cela nous conduit individuellement a des névroses, collectivement à des moralismes inquisiteurs et rédempteurs, à un angélisme pour le coup essentialiste. On ne se débarrasse pas d'un coup de théorie de quatre millions d'années d'évolution. Je crois plus judicieux de comprendre et d'accepter cette animalité qui est inscrite dans le fond de notre inconscient pour pouvoir la gérer, l'intégrer à un fonctionnement social épanouissant pour l'individu. Tout refoulement conduit à des névroses. Tout renoncement conduit à des psychoses autoritaires, moralistes ou éducationnelles. Il ne s'agit pas de changer l'être humain, mais de créer une société où il s'épanouisse dans la liberté, l'égalité et la fraternité. Il est donc primordial de le connaître le plus objectivement possible et de ne pas tomber dans le travers d'un humain que l'on voudrait, d'un archétype construit d'après nos aspirations idéalistes. Car alors, à l'instar des religions, nous construirions un enfer « castrateur », pavé de bonnes intentions.
Notre conception de l'être humain conditionne la forme de société que nous souhaitons et, par-là, nos choix politiques et la définition de nos luttes. Tout l'effort de civilisation consiste à socialiser nos pulsions.
Les femmes et les hommes ne sont pas égaux par principe, mais parce que nous le décidons, le déclarons (Déclaration des droits de l'homme). C'est une volonté politique affamant l'égalité comme facteur essentiel de l'épanouissement de l'individu et de la société. La formulation: « Les hommes naissent libres et égaux » prête à confusion. Nous devrions dire: « La société décide et garantit qu'à leur naissance les hommes et les femmes sont libres et égaux. » Car, comme dit le Karamazov de Dostoïevski, « tout est permis », la condition humaine ne répond à aucune transcendance, et aucun principe supérieur ne s'oppose à une société inégalitaire, totalitaire ou esclavagiste que notre choix politique.
Si le concept de genre est une bonne description de la réalité, qui permet de définir des axes d'action pertinents, il est très mal défendu par certaines et certains féministes qui tiennent un discours non rationnel, et parfois antiscientifique (les scientifiques sont des suppôts du patriarcat et leurs méthodes sont biaisées par leurs préjugés sexistes). Par exemple, prendre pour référence les enfants sauvages pour définir la nature humaine est une imbécillité sinon une idiotie. Et ce pour deux raisons. La première étant qu'ils ne sauraient constituer un échantillon représentatif par leur rareté. La deuxième est que l'homme étant un animal social « par nature » (par la sélection naturelle de la sociabilité), ces enfants sauvages souffrent de carences psychiques et émotionnelles qui font qu'ils ne sont pas et ne deviennent pas .des hommes malgré toutes les tentatives d'éducation. C'est comme si on prenait l'exemple d'un gâteau brûlé pour affirmer que tous les gâteaux ont goût de charbon.
Les affirmations de certaines féministes radicales ont un côté théologique, car elles cherchent à prouver que Dieu a créé hommes et femmes égaux. Mais l'égalité n'existe pas dans la nature. C'est un concept politique. La rechercher à la naissance est de l'essentialisme. Les êtres humains ne naissent ni égaux ni inégaux.
Pour finir, je vous laisse méditer sur ces citations qui mettent en exergue l'opposition entre les conclusions bourgeoises de Freud (sous la pression de son milieu) et celles libertaires de Reich.
« La culture doit son existence au refoulement de l'instinct et au renoncement à l'instinct. » S. Freud
« La répression crée la base psychologique collective d'une certaine culture, à savoir la culture patriarcale. » W Reich
Daniel T
Note: La différentiation n'est pas homme/femme, pas binaire, tranchée, mais graduelle, suivant une courbe gaussienne. Plus on s'éloigne de la moyenne, plus le nombre d'individus est restreint.
Le Monde libertaire #1403 du 16 au 22 juin 2005