Microtechnologies,biotechnologies, nanotechnologiesCes technologies aux vocables quelque peu barbares sont loin de faire les unes des media, tant écrits qu'audiovisuels. Concepteurs, chercheurs et promoteurs préfèrent le calme des laboratoires à l'effervescence d'éventuels détracteurs ou contestataires, à la manière de ce qui se passe avec les OGM ou le nucléaire, ce qui fait de ces technologies un sujet quasiment tabou. Qualifiées de nouvelles, elles ne sont pourtant pas si récentes. Les nanotechnologies notamment (ou nanos pour raccourcir) ont vu le jour aux Etats-Unis. Elles n'ont pas laissé insensibles certaines sphères scientifiques françaises, et rapidement les ingénieurs du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) s'y sont intéressés. Dès 1990 le patron du CEA de Grenoble, Jean THERME, propulsait la ville sur les rails de ces technologies. C'est ainsi que naquit en 1998 le projet Minatec(l) avec, pour ses promoteurs - qui comptent aujourd'hui le soutien précieux du maire de Grenoble, Michel DESTOT, lui-même ex-ingénieur du CEA -l'ambition d'être à la pointe de l'innovation en Europe, Grenoble n'ayant au monde que deux concurrents: Los Angeles (USA) et Tsukuba (Japon).Mais d'abord qu'est-ce que les nanos ? Ce sont des technologies qui manipulent la matière à l'échelle du nanomètre, c'est-à-dire du milliardième de mètre. A ce niveau, les atomes peuvent être manipulés comme des légos, ce qui laisse entrevoir des perspectives difficilement imaginables en terme de miniaturisation de création de matériaux nouveaux, d'intervention sur le génie génétique. Bref une véritable révolution qui touche tous les domaines de la vie: environnement, humanité, mais aussi qui n'est pas sans attiser de forts appétits économiques comme politiques, et générer de sérieux risques, comme on le verra plus loin. Ces recherches sur l'infiniment petit sont à même de provoquer de nombreuses interrogations et des craintes bien légitimes. A quoi peut bien servir le tripatouillage d'atomes ou de molécules dans un monde dont on sait maintenant qu'il fait courir à l'humanité le risque de sa propre disparition ? Ces travaux high-tech sont-ils en mesure d'inverser la tendance ? Ne sont-ils pas au contraire de nature à favoriser encore une croissance qui profite surtout à une minorité ? Les nanos peuvent-elles être à l'origine de progrès sociaux ou au contraire déboucher sur des règles de vie, de comportement imposées insidieusement et, par là-même, faisant de l'homme un citoyen "abstrait", dépendant ?
Si l'on se réfère à d'autres technologies, tels les OGM, on sait bien que ce sont les grandes firmes agroalimentaires qui, après s'être approprié l'exclusivité de la brevetisation du vivant, bénéficient des retombées financières, et non les populations du Tiers-Monde comme l'ont toujours prétendu les grandes institutions internationales, tel le FMI. Quant aux soi-disant avantages du nucléaire il n'y a guère qu'EDF et les militaires pour en tirer grand profit alors que les habitants/citoyens, peu enclins à un renouvellement du parc des réacteurs, sont simplement sollicités par leur impôt à contribuer à l'investissement financier fort coûteux (l'EPR par ex :3 milliards d'euros) et n'ont guère en matière de retombées que les particules radioactives s'échappant des cheminées des centrales ou des centres de retraitement et de stockage.
II y a évidemment les inconditionnels de ces nanos, et pas seulement chez les scientifiques à l'affût de toute nouveauté. II y ales commanditaires de ces recherches: politiciens à tout niveau, Etat (militaires), grosses entreprises plus ou moins soutenues par ce dernier. L'argumentation ne varie pas:
1) On ne peut empêcher le génie humain dont le but est de créer, inventer. Le bien-être actuel (qu'en pensent les 3/ 4 de l'humanité?) résulte de ces découvertes.
2) Si les chercheurs français, européens ne développent pas ces technologies d'autres le feront : états-uniens et japonais sont déjà lancés dans la course. Nous laisserons- nous passer sous le nez des marchés juteux ?
3) Et puis la technologie, quelle qu'elle soit, est neutre. L'homme la maîtrise, qu'il agisse dans les applications en bien ou en mal. Mais s'est-on jamais posé la question de l'empreinte des objets issus de ces recherches sur lui ? La voiture, symbole de puissance et de réussite sociale n'induit-elle pas le comportement du conducteur ? Dès la plus tendre enfance, poussée par la publicité des media, notre personnalité est façonnée par une foule d'objets sans cesse renouvelés et de plus en plus sophistiqués dont tous, loin de là, n'apparaissent pas d'un intérêt certain.
Les technologies, loin d'être neutres, exercent un poids énorme sur l'individu. Elles sont en mesure d'orienter ses attitudes, ses penchants, et, selon le pouvoir dont il dispose, ses décisions. Il peut alors les exploiter dans un but qui tourne carrément le dos à celui initialement conçu. II répond généralement à des aspirations qui ne sont pas nécessairement d'ordre personnel, mais qui, puisqu'il est un élément d'un groupe social, répondent plutôt à un projet de société.
Les dangers des nanotechnologiesLe libéralisme contemporain prétend régir tous les secteurs de la vie, sans se soucier des dégâts tant humains qu'environnementaux qu'il génère, pour tenter de redorer le blason d'un capitalisme confronté aux affres des incertitudes des conditions de sa reproduction: baisse du taux de profit, crises économiques, krachs boursiers... II exige alors toute latitude pour mener à bien ses objectifs d'élargissement et de consolidation, conditions de la perpétuation du système.
Pour en rester à ce quia cours dans l'hexagone où le patronat tente de dicter sa loi au pouvoir politique, plutôt conciliant, et au corps social, afin de trouver des débouchés à ses produits ici ou ailleurs, il est établi que la "paix sociale" et la "cohésion sociale" passant par le "dialogue social" sont d'une nécessité impérieuse. Tour de force pas facile à réaliser puisque les débouchés ne peuvent être assurés qu'à au moins deux conditions: une consommation accrue, près des citoyens solvables surtout, et des coûts de production le plus bas possible. D'où mécontentement et luttes chez les travailleurs, marginalisation, misère et violence chez les exclus qui comptent nombre déjeunes.
C'est ainsi qu'on constate depuis une bonne dizaine d'années un durcissement croissant de la part du pouvoir à l'encontre des réactions populaires. Les droits des citoyens, des travailleurs, s'en trouvent progressivement réduits, en même temps que la violence répressive policière et judiciaire, à l'inverse, a pris des dimensions extensives. C'est particulièrement frappant pour ce qui concerne la surveillance. Sans nous arrêter aux nombreux fichiers où sont consignées de plus en plus d'informations personnelles qui peuvent se retrouvées centralisées au ministère de l'intérieur, notons tout de même que ces technologies peuvent contribuer à leur alimentation.
Affaire de pucesMais le fin du fin reste à venir avec les opportunités offertes par les nanos. Ainsi l'Etat pense avoir trouvé, enfin ? le moyen irrépressible de surveiller, contrôler, suivre, tout individu quel qu'il soit, à tout moment et en tout lieu, et non plus seulement un éventuel suspect. Ce moyen c'est la carte d'identité électronique interrogeable à distance. Cette carte serait imposée à chaque citoyen qui devrait l'avoir avec lui. Y serait intégrée une puce RFID (Identification par fréquence radio) qui intégrerait des données biométriques et des informations sur l'identité du porteur. Ce procédé RFID existe déjà pour identifier à distance des objets, des animaux au travers du carton, du plastiques, des murs. Pourquoi pas alors des humains 1 Cette technique d'identification humaine s'effectuerait donc via la carte d'identité, à distance et sans que la personne le sache. On devine aisément les possibles dérives: erreurs, abus qui en résulteraient. Le simple fait de rendre obligatoire le port d'un telle carte à puce, éthiquement, constitue un déni au principe de libre circulation dans la sphère publique. Une personne se retrouverait ainsi en situation irrégulière si elle ne pouvait présenter une telle carte. Ce type de dispositif fondamentalement policier est en général le fait des Etats totalitaires. La principale différence existant entre ce procédé liberticide et ceux déployés depuis la fin des Trente Glorieuses réside dans la forme rendue anodine, invisible parla technologie de l'inftniment petit, de la surveillance. On peut par ailleurs considérer, sans grand risque d'erreur, que la gratuité de la carte actuelle pourrait servir de justification à l'obligation du port de cette pièce électronique. Le fait que celle-ci sera consultable à distance et à l'insu de son détenteur constitue une véritable atteinte à la dignité et à l'intimité de ce dernier. Et quand on pense qu'un tel procédé concernerait la totalité de la population, on est conduit à considérer que celle-ci ne serait plus perçue que comme "un cheptel humain qu'il faut gérer de la manière industrielle la plus efficace" (Silence, n°333, mars 06, "Vers un contrôle social policier sans faille'. Et ce n'est pas tout: à l'identification rendue possible par la puce RFID pourrait âtre associé le contrôle du positionnement géographique permis par le système UAID (Identification unique des adresses), lequel permet de mettre sous code barre les villages, les villes, les rues, les usines et autres lieux économiques. Les deux types d'informations peuvent aisément remonter aux archives électroniques du ministère de l'Intérieur. Et, grâce aux balises de relais qui ont été installées dans les grandes villes du territoire, à la manière des relais de téléphones portables, les forces de police pourraient facilement suivre automatiquement et en continu les déplacements et agissements de certaines personnes. Qu'un quidam circule dans des zones réputées sensible: quartier de banlieue, champ d'OGM, ou participe à des manifs, des grèves, il pourrait voir ses déplacements suivis, mémorisés et transmis sur le serveur du ministère de l'Intérieur et donc accessibles aux forces de police, non seulement de l'hexagone, mais plus largement de l'espace Schengen. Qu'une personne recherchée passe à proximité d'un agent de la force publique, le portable de ce dernier se mettra à vibrer sur un rythme donné et le visage de cette personne apparaîtra sur l'écran du portable. Un flicage partait et incognito
Qu'en sera-t-il alors du droit reconnu à manifester, à se déplacer où l'on veut, à s'exprimer dans l'action ? On entre dans une ère à la "1984" où la société sera hyper centralisée, autoritaire, policière. Et que dire de ces adeptes de l'implantation sous-cutanée d'une telle puce nano, à la manière, mais en plus performant, dont on se sert pour suivre la trace d'animaux sauvages répertoriés et sensés âtre protégés ou même comme c'est déjà le cas avec la puce "Verichip" pour surveiller des personnes en liberté conditionnelle.
Fantasmes, allégations saugrenues? II faut savoir que le pouvoir, dans son obsession paranoïaque à "surveiller et punir", a depuis des années préparé le terrain tant sur le plan technique que judiciaire et médiatique. II dispose de réseaux de fichiers, de matériels spécifiques, intercommunicables par le biais de la télécommunication et de (informatique. II n'a pas hésité, dans l'été 2004, à modifier la loi Informatique et Liberté pour autoriser les organismes chargés de la responsabilité du fichage des gens à agir quasiment selon leur gré. II n'y a guère eu que la CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) pour protester, et encore plutôt mollement. Tout cet arsenal d'outils tarentulesques destinés à la surveillance, au contrôle, au suivi des citoyens limite et réduit très sérieusement les libertés et droits constitutionnels de ces mêmes citoyens. A titre d'exemple, le refus d'un prélèvement d'ADN est actuellement sanctionné par une amende.
D'ici peu il pourrait être intégré dans le fichier FNAEG (Fichier national des empreintes génétiques). De même refuser un contrôle d'identité pourrait l'être dans le fichier STIC (Système de traitement des infractions caractérisées). Soyons bien conscient que tout cet appareillage s'inscrit parfaitement dans la lignée de l'obsession sarkozyenne avec son projet de loi sur la prévention de la délinquance, en débat actuellement qui, entre autres perversions, veut transformer les maires en super-shérifs. Ces éléments, apparemment séparés, constituent en fait un tout avec un but unique: la "policiarisation" de la société au service du capital.
Le risque sanitaire.Un autre risque inhérent aux nanos touche au domaine sanitaire. Au printemps dernier en Allemagne, 97 personnes se sont trouvées en grande difficulté respiratoire suite à l'utilisation d'un prétendu produit miracle: le nettoyant ménager pour salle de bain "Magie Nano" qui, selon la pub, devait révolutionner la vie des gens en projetant au sol un film invisible devant chasser la saleté et les bactéries. Plusieurs d'entre elles ont dû être hospitalisées pour oedème pulmonaire. Et cela en trois jours après la mise en vente. Très vite le produit a été retiré des magasins. Le BFR (Institut fédéral de l'évaluation des risques) saisi du problème a sans surprise conclu que le nettoyant mis en cause n'était pas responsable de ces troubles parce qu'il ne contiendrait pas de nanoparticules. Depuis les causes ne sont toujours pas déterminées. Et ce non-événement fait le bonheur des produits anti-rides et autres écrans solaires conçus à base de nanoparticules et vendus en France et ailleurs.
C'est bien connu, une des vertus françaises est de ne pas tenir compte du principe de précaution, ou au mieux, si on le retient, c'est pour le contourner. Comme c'est le cas avec les OGM(2). Un rapport commandé par le ministère de l'Ecologie au Comité de Prévention et de Protection, publié en juin, est sans ambiguïté: les incertitudes sur les comportements à terme des nanoparticules dans l'environnement,leur écotoxicité et leur toxicité chez l'homme sont très grandes". Alors va-t-on arrêter le développement de ces, nanoparticules ? Il n'en est bien évidemment pas question !
Le risque militaireEn troisième lieu il faut soulever la présence des militaires dans les recherches sur les nanos. Le projet Minatec, dont il a été question en début d'article, a été présenté comme un centre de recherches civil. Mais en mars de cette année, Mme ALLIOT-MARIE, la ministre de la Défense, en visite sur le chantier a clairement laissé entendre que ces technologies pointues intéressaient fortement l'armée. 'la Défense est un acteur majeur dans la recherche, elle appuie les recherches civiles et milliaires qui sont de plus en plus imbriquées" (souligné parla rédaction) a-t-elle déclaré. Pareille collusion n'est nullement surprenante: on en a déjà un bel échantillon avec le nucléaire civil et militaire. D'ailleurs n'est-ce pas le CEA (Commissariat à l'Energie Atomique) qui a lui-même inauguré Minatec ? Cette déclaration fait suite à une explication de l'intérêt porté par les militaires pour les nanos, donnée par un haut responsable de la Direction Générale de l'Armement (DGA) en 2001), lors d'une conférence à Grenoble, pour qui les universités, les laboratoires de la ville constituaient "une source inépuisable d'innovation dans laquelle la DGA pioche régulièrement". En somme la déclaration récente d'ALLIOT-MARIE officialise une pratique qui a cours depuis plusieurs années. Laquelle permettra aux militaires de fabriquer les armes de demain, de plus en plus sophistiquées et performantes: micro-drones, obus "intelligents", vêtements camoufleurs...
Quelle opposition?D'abord une réaction d'opposition est-elle possible ? Concernant certaines applications rappelées plus haut, oui. Et nécessaire. La prise de conscience se développe. Pour preuve la manifestation organisée par le comité OGN (Opposition Grenobloise aux Nécrotechnologies) créé en janvier 2006, lors de (inauguration de Minatec le ter juin dernier.
Ce comité a impulsé trois jours d'événements pour manifester une opposition déterminée à l'industrialisation de ces "nécrotechnologies". Cesjournées ponctuaient de nombreuses enquêtes menées antérieurement par des citoyens lambda qui tes traduisirent dans des textes très documentés dénonçant les nanos et leur lobby et débouchant sur de multiples actions: documents dénonciateurs dans les boîtes aux lettres, perturbation de conférences, occupation d'une grue du chantier de Minatec, sortie en 2004 d'un faux "Métroscope" (mensuel de la Métro, communauté de communes) qui eut un fort impact sur la population, etc.
Ces actions ont fait pas mal de bruit et commencé à inquiéter les milieux scientifiques et décisionnels, et à semer le doute au niveau institutionnel où on a fait part de l'intention d'organiser des débats publics sur les nanos. C'est ainsi que François LOOS. le ministre délégué à l'Industrie a annoncé, lors de l'inauguration de Minatec, un débat national sur la question. Voilà un effet d'annonce peu crédible car une telle réflexion menée selon la conception gouvernementale ne diffèrera en rien de celle qui a eu lieu sur le nucléaire et qui ne fut qu'une parodie de débat. L'objectif, non avoué, de ces concertations et "conférences citoyen nes"impulsées par l'association "Entreprises pour l'Environnement" (EPE) dont font partie AREVA, BASF, BMW, EDF, Michelin, Suez, Total... est d'annihiler toute forme contestataire y compris en faisant vibrer la fibre de la "démocratie participative".
Les analyses développées par les opposants sur le site internet www.piecesetmaindoeuvre.com ont été relayées plus ou moins fidèlement par les media locaux ou nationaux (le Monde, le Dauphiné Libéré, Libération, Politis, te Canard Enchaîné). II en a résulté le sentiment d'une certaine victoire, surtout morale, puisque le souhait des apprentis sorciers de ne pas voir se renouveler sur les nanos un scénario du type OGM (à savoir pas de contestation) n'a pu se réaliser: la contestation a bel et bien eu lieu, l'information à la population bel et bien été assurée.
II est clair cependant que cela ne suffit pas à empêcher la réalisation de projets particulièrement liberticides ou dangereux pour la santé et l'environnement. C'est ce sentiment qui a été à l'origine de la création du comité OGN qui souhaite étendre la problématique au développement de la société industrielle dans son ensemble englobant notamment le nucléaire et les OGM, d'où, entre parenthèses, le terme de "nécrotechnologies". Car ce que prépare ces dernières, c'est tout simplement une société totalitaire ou toute contestation deviendra impossible et les liberté et droits de l'homme un souvenir.
J.F., le 1-12-06
(1) A Minatec il faut ajouter d'autres pôles de recherches et de production dans l'agglomération grenobloise Crolles 2, Nanotech 300, Nanobio...
(2) Monsanto était le 20 sept. dernier sur le banc des accusés à Carcassonne, deux dirigeants de l'entreprise Asgrow (filiale de Monsanto) étant poursuivis pour avoir vendu des semences contaminées présentées comme conventionnelles.
A Contre courant syndical et politique #180 décembre 2006
à 01:45