MAI 68 a été transformé en cliché. Son lieu serait unique, ses acteurs toujours les mêmes, ses formes identiques. Sur le cliché, on y voit les mêmes gestes : jetés de pavés et barricades, joutes oratoires et conflit de générations, jeunes qui s’embrassent dans le quartier Latin…
Il est pourtant, comme tout mouvement, complexe et traversé de courants
opposés. Dans ce paysage, les comités d’actions, les organisations
politiques, le mouvement paysan sont portés disparus. Mai 68 devient
l’affaire de vedettes, du ministre Kouchner à l’éditorialiste July. On
préfère les historiettes où l’on se met en scène plutôt que de
s’intéresser au comité d’action Citroën, à la stratégie des trotskistes
ou des anarchistes…
Quel fut le rôle des syndicats ? L’impact des comités de base ?
Pourquoi Mai 68 n’a pas réussi à renverser le capitalisme gaulliste ?
Autant de questions si importantes à l’époque qui ne souffrent d’aucune
analyse aujourd’hui. Des interrogations jugées désuètes. Car l’analyse
de 68 n’existe qu’à travers les enjeux actuels. L’idée farfelue que
l’on puisse changer le monde, faire la révolution est alors battue en
brèche : un coup, on nous explique que « le contexte a changé, on était
jeunes et fous », une autre fois que « l’échec de Mai 68 est de ne pas
s’être transformé en conquête électorale » ou encore « qu’à l’époque,
on ne se rendait pas compte que les vrais problèmes étaient dans le
tiers-monde ». Autant de remarques qui balaient d’un coup les velléités
révolutionnaires actuelles, la dénonciation en 68 de la sortie
électorale proposée par De Gaulle (et avalisée par le PCF) et pour
finir les luttes anti-impérialistes si intenses avant le joli mois de
Mai.
Personne non plus pour souligner la place importante de la critique de
la hiérarchie – du petit chef d’atelier aux enseignants en passant par
les « pères-la-morale » – qui exprime tant le refus d’être un pion
soumis aux desiderata du capitalisme. « Contrairement aux “révolutions”
précédentes, ce n’est pas la superstructure politique qui a vacillé le
plus, mais le fondement même de l’ordre social, l’autorité » explique
Jean-Pierre Duteuil (Mai 68, un mouvement politique, Acratie, 2008).
En lisant ce qu’on nous conte sur 68, on ne sait pas non plus pourquoi
des millions de personnes se sont mises en grève. L’article de
Viansson-Ponté dans Le Monde du 15 mars 1968 « La France s’ennuie » (
!) semble encore servir de base à la réflexion actuelle. Opportunément,
on oublie de préciser que ce fut « l’unique insurrection “générale”
qu’aient connu les pays occidentaux surdéveloppés depuis la Seconde
Guerre mondiale » (Mai 68 et ses vies ultérieures, Kristin Ross,
Complexe, 2005, p. 10). Personne –ou presque – pour parler des
occupations d’usine de la Rodhiaceta à Besançon, des jacqueries à Caen
qui secouent la France avant Mai. Quant à la « libération sexuelle »,
elle est réduite à une volonté de libertinage, en oubliant la critique
de la famille triangulaire. En vidant Mai 68 de sa portée
révolutionnaire, on ne parle plus d’opposition à la société capitaliste
mais d’un événement conduisant la France vers la modernité, allant dans
le sens de l’Histoire. Ainsi, on a habilement divisé le culturel du
politique comme on sépare le bon grain de l’ivraie. Dans ce méli-mélo,
on fait la part belle aux aspects culturels et festifs de 68 (tout en
les vidant de leurs contenus subversifs). On interprète, on glose sur
ses conséquences supposées sans en connaître les faits. On mélange tout
: les luttes écologistes, la minijupe, l’antipsychiatrie… Tout est 68,
et finalement 68 n’est plus rien.
Il était donc bien nécessaire que Courant Alternatif et Offensive
s’associent pour éditer un numéro commun sur Mai 68 en s’emparant de
toutes ces questions. Mai 68 nous intéresse parce que nous sommes
militants, comme les révoltés du printemps 68, nous pensons qu’il est
plus que jamais nécessaire d’en finir avec cette société capitaliste.
Nous avons donc voulu, sans chercher des parallèles impossibles avec
aujourd’hui, comprendre un événement de l’histoire révolutionnaire afin
d’être mieux armés pour les luttes à venir.
OCL/OLS, avril 2008
Offensive - n°18 - Trimestriel d’offensive libertaire et sociale Courant Alternatif - Hors-Série N°13 – Mensuel édité par l’Organisation Communiste Libertaire
Spécial 68 – Mai encore !
52 pages – 23 x 31 cm – Mai 2008 – 5 euros
Parution : 30 avril 2008
Sommaire
Sous les pavés
* 4-7 Une lutte internationale (Etats-unis, Allemagne, Italie, Pays-bas, Espagne, Japon)
* 8-9 Mexico 68, on ne méconnaît pas que le nombre de cadavres
* 10-11 Tout allait bien ? La France avant 68
* 12-14 Des luttes ouvrières annonciatrices
Mai 68
* 15-18 Ce n’est qu’un début… Du 2 au 13 mai, les luttes étudiantes
* 19-22 Grève générale ! Du 14 au 24 mai
* 23-25 Résistance à la reprise, du 25 mai à fin juin
L’imagination prend le pouvoir
* 26-28 La terre à ceux qui la travaillent autour du mouvement paysan en 68 (interview de deux paysans nantais)
* 29-31 Le comité d’action Citroën
* 32-34 Mai à Saclay, à propos de l’autogestion
Continuons le débat
* 35-37 Mai 68 et ses vies ultérieures (interview Kristin Ross)
* 38-39 Des mythes à détruire
* 40-42 68-86 un mouvement étudiant peut en cacher un autre !
* 43-45 Mai 68 en héritage
* 46-47 De l’optimisme aveuglant
* 48-51 Contre la commémoration