--> Entretien réalisé par la rédaction d'Umanita nova avec Yossi Bartel (gay et refuznik), du groupe Anarchistes contre le mur.
Dans le local de l'athénée libertaire de Milan, on a rencontré Yossi Bartel un anarsraélien, objecteur, qui fait partie du groupe Anarchistes contre le mur et du groupe Laverie noire.
Le premier groupe pratique surtout l'action directe, le second est un collectif de réflexion et d'intervention sur les thématiques gay, lesbienne, transsexuel et plus généralement sur les droits humains. Son but est de relier différentes luttes contre l'oppression, en regroupant la résistance contre l'occupation, l'homophobie, le chauvinisme, le capitalisme et le racisme. Le nom du groupe Laverie noire, en hébreu, renvoie à un jeu de mot intraduisible, puisque « laverie noire » et « mouton noir » se prononcent de la même façon. Ce nom fait allusion à ce qui est tenu caché parce que honteux et qu'au contraire le groupe a envie de montrer à tout le monde.
Umanita nova: Quelles sont les activités de Laverie noire ?
Yossi Bartel: On organise des manifs, des performances, de la contre-information. Par exemple, pour la venue en Israël d'Arnold Schwarzenegger, on a manifesté contre son homophobie, et contre son appui à l'occupation de la West Bank et de Gaza. Tous les ans, la manifestation la plus importante à laquelle nous participons est la Gay Pride qui a lieu à Tel Aviv et à Jérusalem. En effet, on fait une contre-manifestation car nous ne sommes pas invités à la manifestation officielle. Nous participons à la manifestation avec des slogans contre l'armée, contre l'occupation, contre la « famille gay », car nous soutenons qu'en Israël la famille est en général militariste et, ce qu'il faudrait, c'est une famille alternative, pas une famille gay copiée sur-le modèle hétérosexuel. Par provocation, parfois, nous avons manifesté avec des nouveaunés en uniforme.
Umanita nova: Tu nous as dit que dans le groupe, il y. a des Palestiniens de nationalité israélienne. Quels sont vos rapports avec les gays qui habitent en Cisjordanie?
Yossi Bartel : Nous avons des rapports personnels hors organisation, puisqu'il n'existe pas d'organisation gay en Palestine où règne un climat de lourde répression contre les gays. Dans les pays arabes, qui fait honte à la famille est souvent tué par ses propres parents. Quand le Shinbet, le service secret intérieur à Israël, découvre un gay palestinien, il essaye d'en faire un espion en menaçant de le dénoncer à sa famille. Souvent, les jeunes sont obligés de choisir entre être tués par leurs parents ou devenir informateur pour les services secrets. Parfois, également, quand on découvre un gay en Palestine, il est tué, car soupçonné de faire partie du Shinbet. Les gays palestiniens qui s'enfuient en Israël sont des immigrés clandestins, souvent obligés de se prostituer. Quand ils sont arrêtés par la police israélienne, ils sont rendus aux autorités palestiniennes avec le tampon « g ay et prostitué », en sachant bien qu'on les livre à la torture, à l'humiliation et à la mort. La construction du mur empire leur situation car il est encore plus difficile de traverser les frontières.
Umanita nova: On parle du mur. Tu peux nous raconter votre activité à ce propos?
Yossi Bartel: Quand on a commencé, on s'est concentrés sur l'action directe contre la clôture en tentant de couper les barbelés. Pendant une de ces actions, en décembre 2003, le compagnon Gil Naa'Mati a été blessé à une jambe. Nous avons fait ces actions symboliques, parce qu'on espérait qu'elles pouvaient être le détonateur pour pousser les villages touchés par la construction du mur à pratiquer l'action directe. On a atteint notre objectif et, dans les premiers mois de l'année, il y a eu, presque tous les jours, des manifestations contre le mur. Dans toutes les occasions, avec notre groupe et les internationalistes, il y a eu des habitants des villages palestiniens. Les actions ont été pacifiques du t côté palestinien; l'armée israélienne, elle, a été très violente. Elle a utilisé des lacrymogènes, des balles en caoutchouc et aussi de vraies armes, surtout en notre absence. Par trois fois, l'armée a tiré et elle a tué six Palestiniens.
Umanita nova: La fonction de protection exercée par votre présence est donc évidente?
Yossi Bartel: Dans. les faits, on est des boucliers humains. Notre présence diminue le niveau de violence. On a fait des actions pour démolir les « war block », les structures mises le long des routes, pour rendre plus difficile et humiliant le passage des gens. On fait aussi des manifestations à l'intérieur d'Israël avec des groupes de la gauche radicale israélienne. Il y a très souvent des manifestations contre le mur de la honte. Tous les jours, on résiste contre le mur avec les Palestiniens en essayant de bloquer les bulldozers.
Umanita nova: On sait que la blessure de Gil a eu une forte résonance dans la société israélienne. Tu peux nous en parler?
Yossi Bartel: Certes, le choc a été très fort, parce que, pour la première fois, un Israélien hébreu était blessé (s'il avait été palestinien de nationalité israélienne, les réactions auraient sûrement été plus faibles: depuis le début de la deuxième Intifada, l'armée a tué treize Palestiniens de nationalité israélienne), et ça pendant que la guerre tué tous les jours des Palestiniens. Pour nous, ça a été un paradoxe. Peut-être comme celui que vous avez vécu après la mort de Carlo Giuliani. La globalisation tue des milliers de personnes, mais le scandale éclate quand tombe la première victime européenne anti-globalisation. Les blessures de Gil ont eu une fonction similaire. Tous les jours, l'armée tire et tue des civils palestiniens, mais le scandale arrive seulement parce qu'on blesse à la jambe un Hébreu.
Umanita nova: Tu es un refuznik?
Yossi Bartel: Oui.
Umanita nova: Peux-tu nous expliquer?
Yossi Bartel: Le service militaire est obligatoire à 18 ans pour tous les hommes et femmes israéliens. Il dure trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes. Les hommes sont en plus obligés de faire un mois de service militaire par an jusqu'à presque 50 ans. Il y a deux possibilités pour éviter le service militaire. La première est de déclarer publiquement la décision de ne pas se soumettre. Cette déclaration d'insoumission est condamnée à une peine qui varie de 4 mois à 2 ans d'emprisonnement. La deuxième possibilité est de se faire passer pour fou.
Umanita nova: Combien y a-t-il de refuzniks en prison?
Yossi Bartel: Depuis le début de la deuxième intifada ont été emprisonnés 300 objecteurs. Certains font partie des réservistes. Aujourd'hui, en Israël, 10 % des jeunes en âge de faire l'armée et des réservistes se font passer pour fous pour éviter l'armée. Tous les anarchistes refusent l'armée.
Umanita nova: Tu peux nous parler du mouvement anarchiste israélien?
Yossi Bartel: Dans les années 50, il y avait un petit groupe, le compagnon le plus connu était Thomas Shik. Ce groupe a été actif en Israël jusqu'aux années 90. Dans les années 60, après la scission du parti communiste, s'est formé un groupe anti-sioniste appelé Matzpen et, à l'intérieur de ce groupe, il y avait beaucoup d'anarchistes. Le groupe a été très actif jusqu'à la moitié des années 70. Il était composé d'anarcho-syndicalistes et de maoïstes. Après quinze années, chacun a repris sa propre route. À la fin des années 80 et au début des 7 années 90, il y a surtout des punks.
Pendant les années 90, il y eut des ~. dizaines de petits groupes antiglobalisation. Il n'étaient pas beaucoup impliqués dans la lutte contre l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza parce qu'il y avait le processus de paix. Il y a eu aussi beaucoup de publications anarchistes.
La deuxième intifada a été un moment de clarification. En 2001, est né le groupe One Struggle qui rassemble la lutte pour les droits humains et celle des antispécistes. Ce groupe fait surtout de la propagande. Nous, Anarchistes contre le mur, nous sommes devenus vraiment un groupe pendant le camp de Masch'a. À Masch'a, il y avait des anarchistes palestiniens, des internationalistes et, pour la première fois, Israéliens et Palestiniens étaient unis pour construire des relations, des projets. Nous, anarchistes, sommes arrivés à avoir des rapports suivis. Pour nous, le mur a été un élément catalyseur, même de notre conscience. Nous sommes contre tous les murs, toutes les frontières, tous les États. Beaucoup, qui ne se disent pas anarchistes, ont compris que ce mur devait être abattu. Le compagnon Levinsky avait l'habitude de dire: nous sommes ici unis pour combattre quelque chose qui est construit poux nous diviser.
Umanita nova: Tu veux dire autre chose?
Yossi Bartel: Pour nous, il est tris important d'avoir de la solidarité pour nous aider dans la lutte contre le gouvernement israélien (on est contre tous les gouvernements) et pour faire connaître ce qui se passe et faire savoir qu'en Israël il y a des gens qui résistent à la barbarie des États.
Le Monde libertaire #1378 du 2 au 8 décembre 2004