Lu sur
Jura libertaire : "Un immeuble anonyme, dans les rues escarpées du quartier de la Croix Rousse, dans le premier arrondissement de Lyon. Hormis les trois lettres, CNT, inscrites sur la façade, rien n’indique qu’ici se trouve le local de la
Confédération Nationale du Travail, le syndicat autogestionnaire…
Brigitte Gueugnon, membre depuis fin 2001, présente l’endroit. Une
petite pièce, remplie de tracts et d’affiches syndicales ; des tables,
sur lesquelles s’entassent des revendications ; et au fond, un
chauffage, qui tente de combattre le froid glacial. Et n’y parvient
guère.
Petites lunettes, coupe à la garçonne, yeux perçants, Brigitte Gueugnon
est née voilà 50 ans en Isère. Une famille ouvrière, avec très peu de
moyens. Et déjà, très jeune, «l’impression d’avoir des parents
exploités, ce qui m’a très vite donné l’envie de me battre». Une
enfance passée à la pension, chez les curés, avec «un sentiment
d’oppression imprimée par l’Église». À la majorité, un CAP de coiffure
en poche, Brigitte Gueugnon enchaîne les boulots : coiffeuse bien sûr,
mais aussi des gardes d’enfants, des petits ménages, «de quoi
survivre». Puis elle se retrouve au chômage. Elle parvient alors à se
faire embaucher comme factrice à La Poste. Au départ, un CDD à 80%,
puis très vite, un CDI de contractuelle (non fonctionnaire). Pour un
salaire inférieur de 300 euros à celui des employés de la fonction
publique. Mais un même travail. Nous sommes en septembre 2000.
Des ennuis avec la direction conduisent Brigitte Gueugnon vers les
syndicats. Accusée de manquement aux obligations de travail, elle est
alors soutenue dans sa lutte par la CNT,
après s’être d’abord tournée vers tous les autres syndicats : «Seule la
CNT, bien que je n’en fasse pas partie, m’a accompagnée dans mon combat
contre la direction. Mes revendications, comme le respect de mon
planning de travail ou des heures de vacation entre mes différents
services, ont alors avancé.» Tant et si bien que fin 2001, comme une
évidence, Brigitte Gueugnon rejoint l’organe autogestionnaire.
Une adhésion «réfléchie, pour un syndicat répondant à mes
questionnements et faisant son boulot de syndicat». La factrice
apprécie le fait que, selon elle, «la CNT soit totalement indépendante
vis-à-vis de la direction». Une indépendance garantie par son refus de
se présenter aux élections professionnelles, «des élections faites pour
redistribuer une manne, des subventions et des postes de permanents,
ajoute-t-elle. En niant ces élections et cette manne, la CNT
s’affranchit des pressions patronales et des concessions de toutes
sortes sur les droits des salariés. Nous, on ne peut pas nous acheter.»
Brigitte Gueugnon ne tient pas en grande estime les syndicats
majoritaires, comme la CGT, «qui jouent sur les deux tableaux à la fois
: on conteste les décisions de la direction et on signe des accords
pour ne pas perdre notre beau local dans le centre-ville».
La CNT est, comme l’immense majorité des syndicats, opposée à «la
privatisation» de La Poste. Comme elle était opposée, en 1991, à
l’embauche de contractuels de droit privé. Brigitte Gueugnon s’insurge,
elle, contre les nouveaux projets gouvernementaux, qui rajouteraient
«des charges de travail supplémentaires sans être payée davantage».
Alors, la Lyonnaise participe aux cortèges. Le 23 septembre dernier, au
lendemain d’une manifestation, le courrier à distribuer étant le double
de celui d’une journée normale, Brigitte Gueugnon en laisse une partie
sur son lieu de travail. «Comme je suis à la CNT, la direction a
contrôlé seulement quatre postes de travail, dont le mien, et s’est
aperçue que je n’avais pas distribué tout mon courrier.» Résultat : le
3 décembre, Brigitte Gueugnon reçoit un blâme avec inscription au dossier, «malgré le soutien de mes collègues et de la
CNT». Un blâme, le palier préalable à un licenciement.
«Des
événements comme celui-ci, ça me donne la haine. La haine de travailler
dans ces conditions. Quand j’ai commencé à travailler, toute jeune, je
me suis dit que je pourrais m’en sortir. Mais non, j’ai l’impression
que l’on est en pleine régression sociale, on ne peut même plus vivre
simplement.» Brigitte Gueugnon ne voit plus aucun motif d’espoir et
rêve parfois, d’un embrasement social «comme en Grèce». Bien qu’elle ne
légitime pas la violence, Brigitte Gueugnon comprend «que des gens
excédés puissent y avoir recours. La violence initiale est la violence
sociale.»
À 60 ans, Brigitte Gueugnon touchera alors 1200 euros mensuels et
pourra partir à la retraite. Elle n’aura pas assez cotisé pour «avoir
une pension décente». Elle vivra alors chichement, comme ses parents
avant elle. «Tout ça me donne encore plus envie de militer.»
Godefroi Bouzid - LibéLyon,
17 janvier 2009.