ECONOMISTES ET STATISTICIENS bavassent sans cesse sur la croissance, estimant que celle-ci poussive. Pourtant il est un moyen infaillible de doper le PIB, il consiste à intégrer dans ce pot pourri de la production des biens et des services, les résultats vertigineux de l'industrie du mensonge.
Dire que la plupart des médias sont des machines à lobotomiser et à fabriquer du consentement est un truisme. Leurs masques sont différents, pas leurs visages et encore moins la logorrhée qui dégouline de leur groin. Dans les périodes où les conflits sociaux sont de basse intensité, la vulgate des dominants qu'ils servent et représentent arrive à rester contenue dans les formes d'un discours policé. Par contre, lorsque la mobilisation sociale, ou des événements particuliers (ex: la campagne sur le Traité constitutionnel en 2005) s'invitent sur le devant de la scène, la morgue, le mépris, le fiel, se déversent de leur gueule et peinent à se dissimuler. Novembre 2007, de ce point de vue, restera comme une archétype de ce que nous venons d'affirmer. Dés les préliminaires du conflit social portant sur les régimes spéciaux de retraite, leurs hurlements sont venus crever nos tympans. D'emblée, la meute déchaînée a couvert d'opprobre les « nantis » des services publics et les a désignés à la vindicte publique. Les étudiants ont servi de seconde cible. Ben oui, les jeunes ont éventé les charmes vénéneux - pour ne pas dire franchement corrompus de la loi Pécresse, de quoi mériter les verges non?
Les procédés qui régissent le traitement médiatique des mobilisations sociales sont quasiment invariables. À l'ouverture du bal, on invite les prima donna du gouvernement et les < experts » aussi omnipotents qu'omniprésents (ex: Jacques Marseille, Dominique Reynié, Daniel Cohen, etc.) Tous ceux-là bombent le torse et postillonnent à qui mieux mieux, car l'efficacité de leur « pédagogie » pour éduquer le peuple (lire: lui faire gober l'antienne des réformes indispensables et inéluctables) se mesure, selon eux, à la répétition de leurs glaviots.
La rue est sourdingue à leurs injonctions et, bien pis, fait entendre sa propre musique? Alors, les PPDA, Pernaut, Lucet, Pujadas, se transforment en pères fouettard et, la bave aux lèvres, admonestent les « gueux » sur le thème: les grévistes ont muté en khmers rouges et prennent les usagers en otage.
Mensonges, approximations, le tout doublé d'un ignorance crasse, voilà le dénominateur commun des éditorialistes, chroniqueurs, présentateurs de la plupart des médias.
Encore un petit effort, et certains d'entre eux seront dignes de Jean-Hérold Paquis ou Philippe Henriot, tant le mot collaboration leur va comme un gant.
Enfin, pour tenter de préserver un vernis d'objectivité, ces marionnettes dopées au carburant de la haine des réfractaires à l'ordre établi, se piquent de pluralisme. Ainsi Christine Ockrent avec son émission « Duel sur la 3 » du 18 novembre. Ce jour là, Christian Mahieux, porte-parole de SUD Rail fut confronté à Jacques Marseille. Sauf que le gélatineux éditorialiste au Point était largement secondé par des intervenants aussi neutres que peuvent l'être: Patrick Devedjian, Manuel Valls, Philippe Lemoine (PDG de Laser), Bernard Brunhes (vice-président de BPI) ou Jean-Louis Thieriot (biographe de Margaret Thatcher). Résultat des courses, Christian Mahieux fut sommé de s'expliquer devant ce tribunal, étant entendu que la Cour n'eut de cesse de traquer ses arguments. Le prévenu eut droit à 13 minutes et 58 secondes, les porteurs d'hermine et la greffière en chef s'étant réservés 79 % du temps que dura l'audience (source ACRIMED)
Ceci est affligeant? Oui bien entendu. Mais, plutôt que geindre, nous préférons nous livrer délibérément et uniquement, à l'exercice de la lucidité.
Les noces du capital et de l'État sont dans l'ordre des choses. Des copulations de ce couple monstrueux sont nées des créatures conçues et biberonnées pour être à leur entière dévotion. Ces êtres protéiformes et gueulards se nomment médias.
Bien entendu, nous devons opérer un distinguo entre l'organe et ses servants. À ce titre, notons qu'un petit nombre de journalistes ruent dans les brancards et s'efforcent d'exercer leur métier aussi dignement qu'ils le peuvent. Nous aimons les hirondelles, aussi ne sommes nous pas indifférents au sort de cette espèce en nette diminution, surtout quand ses représentants essaient de se frayer un petit chemin entre les serres des rapaces qui veulent les occire.
Mais l'essentiel n'est pas là. L'opposition entre le capital et le travail a toujours été irréductible. Les oripeaux formels de la démocratie peuvent travestir ou occulter un temps la réalité. À ce titre, les médias sont des acteurs essentiels pour maintenir le statu quo social... ou bien le bouleverser au profit de ceux qui en possèdent la maîtrise!
Les exploiteurs se sont toujours résolument opposés au partage des richesses. Pareillement la simple énonciation de cette idée déclenche en eux un réflexe de rage quasi pavlovien. La crispation des dominants sur la seule défense de leurs intérêts ira croissant. Nécessairement cette posture s'accompagnera ici d'un volet répressif sans cesse plus étendu, et là, de la volonté sans faille de s'assurer de la domestication des esprits par une mainmise encore plus complète sur tous les instruments susceptibles de diffuser leur idéologie.
Il s'ensuit que la bataille des idées exige impérativement le renforcement et l'élaboration de nouveaux outils, de nouvelles pratiques, pour étendre un espace médiatique conçu et animé exclusivement par et pour tous ceux et celles qui se battent au quotidien pour l'avènement d'une société juste et fraternelle.
Devons-nous quémander, le dos courbé; un strapontin pour nous asseoir à un coin de table? Que nenni, la renverser sera infiniment plus jouissif!
Sami Chemin
Le Monde libertaire #1498 du 13 décembre 2007