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Lu sur Samizdat.net : "Washington et New York, 18 septembre. Noam Chomsky a toujours critiqué les médias étasuniens qui « fabriquent l’assentiment » [1] du peuple sur l’agenda du pouvoir, mais dans un entretien avec La Jornada il a exprimé un surprenant optimisme en estimant que la presse institutionnelle est de plus en plus défiée par les nouveaux médias alternatifs, en particulier ceux que l’on trouve sur l’Internet.
« Le site de La Jornada est un bon exemple du type de média qui n’existait pas il y a 20 ans, ou même 10 », a t-il expliqué. « Cela a un effet indirect sur les autres médias, lesquels ont été contraints de répondre à l’ouverture de l’information qui est en train de se réaliser. »
Les voix alternatives, a t-il ajouté, qui ont été publiées par La Jornada et d’autres médias non seulement atteignent des publics nationaux, mais aussi internationaux, à un niveau si étendu que les médias institutionnels ne peuvent plus aujourd’hui rejeter ces interlocuteurs.
Au cours de cet entretien à l’occasion du 20e anniversaire de la Jornada, Chomsky, reconnu comme une des principales figures intellectuelles du XXe siècle, a estimé que l’usage de l’Internet, outre le fait de faciliter et d’accélérer la communication dans les mouvements sociaux et entre eux, permet de lancer un défi au contrôle des médias établis. Ce sont là deux des nouveaux facteurs les plus importants qui ont surgi au cours des 20 dernières années.
Néanmoins, il a insisté sur le fait qu’il croit encore que la majorité des médias continue à remplir la fonction de promotion et de légitimation des intérêts des dirigeants politiques et économiques. Il s’agit là d’un thème que Chomsky a largement développé dans ses livres et essais, ce qui, en partie, a entraîné la censure quasi-générale de sa voix dans les principaux médias sur papier et électroniques de ce pays durant des décennies.
Mais dans la dernière année, les médias étasuniens ont redécouvert Chomsky. Le New York Times l’a cette année, pour la première fois, présenté comme « le père de la linguistique moderne » et un des intellectuels les plus importants du siècle à l’échelle mondiale. Le Washington Post a également publié son portrait après que son livre 9/11 se soit vendu à des centaines de milliers d’exemplaires et ait figuré sur la liste des best-sellers. Le Times lui-même a publié cette année un article de Chomsky.
Toute cette attention n’a pas modéré les critiques de Chomsky. Les Etats-Unis aujourd’hui, affirme t-il, sont un bon exemple de ce qu’on peut appeler « un Etat qui a échoué », car « son système démocratique est formel ; de fait, une société assez libre, mais qui ne fonctionne pas, simplement. C’est là le résultat d’une énorme concentration de pouvoir dans une société administrée à un niveau inhabituel par une communauté patronale à haute conscience de classe. »
Et d’ajouter : « Aux EU la culture démocratique a été tellement érodée qu’une élection offre des choix à ce point réduits que c’est pratiquement une caricature. » Puis : « Le fondement d’une démocratie est une société civile qui fonctionne, et qui n’apparaît pas seulement une fois tous les quatre ans », mais ce type de société « n’existe presque pas aux EU. »
Dans ce contexte Chomsky analyse le rôle-clé des médias. « Ce qu’ils font avec le système éducatif est d’endormir l’intelligence de chacun, de réduire la confiance en soi, à tel point qu’il est impossible de penser », a t-il expliqué. « Parce que les qualités qui sont requises pour penser sont ce qu’ils (les médias et le système éducatif) arrachent de ta tête, aussi bien l’aptitude à penser que la conviction qu’il s’agit du droit de tous. »
Il ne s’agit pas d’un accident. Chomsky soutient qu’à la fin du XIXe siècle il existait bien une presse libre ici et en Angleterre. Les journaux décrivaient les horreurs des usines et fréquemment le travail salarié était caractérisé comme un nouveau type d’esclavage. La classe dirigeante britannique répondit d’abord en cherchant à censurer les médias, mais très vite l’establishment, que ce soit en Angleterre ou aux EU, se rendit compte que la meilleure façon de contrôler les médias était la concentration de la propriété et une plus grande dépendance à l’égard de la publicité pour faire le ménage dans la presse. Cela a provoqué une réduction en ce qui concerne les opinions, les voix et l’information présentes dans les médias de masse établis.
Chomsky prend l’exemple des élections d’il y a 20 ans au Nicaragua alors que La Jornada commençait à paraître à Mexico. « Jamais un scrutin n’a probablement été aussi contrôlé », expose t-il. Il ajoute que des associations académiques et des experts électoraux étasuniens, anglais, irlandais et autres observèrent les élections. Cela avait lieu au moment le plus agressif de la guerre que livrait la contra dirigée par l’ambassade des EU au Honduras, sous le gouvernement de Ronald Reagan qui faisait tout son possible pour miner le processus électoral.
« Malgré tout, les élections eurent lieu et furent jugées impartiales », remarque Chomsky. Mais les médias étasuniens ne rendirent pas compte que le processus avait été considéré comme libre. « Pour les médias étasuniens établis, ces élections n’eurent pas lieu ; Washington ne souhaitait pas ce qui était arrivé ; par conséquent elles n’eurent pas lieu. Ce qui est accepté aujourd’hui aux EU est que les premières élections au Nicaragua datent de 1990, et non de 1984 », complète t-il.
Les conséquences de ne pas informer sur les événements du Nicaragua sont visibles jusqu’à aujourd’hui. Chomsky fait remarquer que quand le récent ambassadeur étasunien nommé en Irak, John Negroponte, a été proposé, on n’a pratiquement pas mentionné ses antécédents comme ambassadeur au Honduras dans la guerre de la contra. « En ce temps-là (...) les EU dirigeaient les opérations de la contra, faisant circuler leurs instructions sur qui il fallait tuer et quand. »
Dans l’information donnée sur la nomination de Negroponte, son rôle au Honduras a été seulement brièvement évoqué dans les médias - quand il l’a été - affirme Chomsky. Il n’y a que le Wall Street Journal qui publia quelque chose de plus ample sur le rôle de Negroponte comme « proconsul » au Honduras. C’est un exemple de la manière dont les médias fabriquent l’acceptation des dirigeants par la population.
Mais la différence aujourd’hui est la prolifération des sources alternatives d’information, « particulièrement l’Internet, qui permet la distribution massive de matériaux qui échappent au contrôle des médias établis. » Il y a 20 ans, les médias de masse pouvaient généralement ignorer ou déformer des faits tels que les élections, mais cela n’est plus aussi facile, assure t-il.
Le constat du passé étant fait, prenons la bataille du printemps dernier dans la zone de Fallujah en Irak, où des centaines de civils sont morts assiégés et bombardés par les forces étasuniennes en réponse à la mort de quatre entrepreneurs civils. Mais finalement les marines durent suspendre le siège et cette ville demeure hors du contrôle des forces occupantes et de ses alliés.
« Que se serait-il passé à Fallujah il y a 40 ans ? Il l’aurait bombardée avec les B-52. Cette fois, il ont dû faire marche arrière. Il y avait trop de sources d’information », explique t-il. Avec les images de la ville attaquée transmises par la télévision arabe et sur l’Internet, la population étasunienne a été témoin des pertes civiles, ce qui, en partie, a obligé au repli des troupes. Chomsky, comme d’autres, signale aussi que l’appui mondial à l’Armée Zapatiste de Libération Nationale n’aurait pas été si grand il y a encore une vingtaine d’années, quand il n’y avait pas internet.
Ou du moins, bien qu’il y avait des médias alternatifs il y a 20 ans - par exemple La Jornada et d’autres couvrirent les premières élections au Nicaragua - la diffusion des données et des perspectives n’étaient pas aussi répandue faute d’un accès global.
Mais Chomsky constate que bien qu’il y ait de l’information disponible pour qui veut bien faire l’effort de la rechercher dans les médias alternatifs, la majorité de la population aux EU continue d’être dépendante des médias conventionnels patronaux. Le résultat peut aisément s’observer en analysant l’actuelle conjoncture électorale. « Pour les prochaines élections, regardez qui est autour de la table. Il y a deux candidats, l’un et l’autre d’une richesse impressionnante, de familles puissantes, formés à la même université », commente t-il. « Les deux peuvent concourir parce qu’ils sont financés par les mêmes intérêts patronaux. »
Pour l’élection de novembre, pour la première fois depuis des décennies, Chomsky trouve tellement inquiétant le gouvernement de G. W. Bush, qu’il décrit comme un « nationaliste radical » qui se consacre à la « violence impériale », qu’il apporte une forme très tiède d’appui à son adversaire, John Kerry, en disant de lui : « c’est une fraction meilleure » que Bush.
Il ajoute néanmoins que les différences entre les deux candidats sont peu substantielles et même difficiles à détecter. Cela, certainement, n’est pas accidentel, depuis que les élections aux EU tournent autour des « qualités » des candidats, et non sur leurs propositions ou leurs idées. Ainsi, ce n’est pas un hasard si les mots « caractère », « leadership » ou « personnalité » sont ceux employés pour décrire les candidats, au lieu d’approfondir leurs positions sur des questions politiques.
Les candidats sont entraînés pour être peu clairs sur les grands thèmes parce que les dirigeants savent qu’aucun des deux partis officiels n’offre de solutions aux problèmes que la majorité du pays souhaite résoudre. Par exemple, il y a une réclamation pour qu’on trouve une solution à la crise du système de santé, mais aucun des candidats ne se risque à proposer des solutions sérieuses sur ce sujet, pas plus qu’en matière d’éducation, d’emploi ou sur la guerre.
« La politique aux Etats Unis est très maigre et indigente ; les thèmes essentiels ne sont pas discutés. »
Mais en même temps, souligne t-il, « le plus encourageant, très nouveau et excitant, est que pour la première fois dans l’histoire il y a d’énormes mouvements populaires internationaux, avec une vaste solidarité dans le monde. Ils se sont plus développés au Sud, en Inde, au Brésil, mais ils sont maintenant étendus au Nord. Ils se préoccupent d’aborder les problèmes fondamentaux de l’injustice, de l’oppression et de la violence, et agissent pour les résoudre. » En cela, souligne t-il, les médias progressistes, avec leur nouvelle envergure internationale via l’Internet, jouent un rôle-clé.
[1] En anglais, Chomsky parle de « Manufacturing Consent » qu’on trouve traduit aussi en français par « Fabrication du Consensus » - N.d.t.