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L'En Dehors


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Les sorcières : entre mythe et réalité
Lu sur Mytilène : "La majorité des procès de sorcellerie ont eu lieu entre 1580 et 1630, et le stéréotype de la « sorcière » se met en place vers le XVIe siècle.Norman Cohn l'a exposé, tel qu'il apparaît dès cette époque dans les écrits des chasseurs de sorcières. Il s’agit le plus souventt d'une femme (rares sont les « sorciers »), qui a pactisé avec Satan pour en devenir l'auxiliaire en échange de pouvoirs extraordinaires. Le diable lui apparaît sous la forme d'un être humain, élégamment vêtu, à une époque où elle a de graves problèmes personnels. Il lui marque le côté gauche du corps avec les ongles ou les griffes de sa main gauche du signe de Satan. Parfois, un accouplement a lieu. La contractante promet aide et obéissance et renonce à servir Dieu. Devenue « servante du diable », elle accède au rang de « sorcière ». En échange de son inféodation, elle possède les pouvoirs exceptionnels que lui confère son nouveau maître. Elle les voue à faire le mal, apporte partout la maladie des humains, des bêtes et des plantes, la destruction, la mort. On la craint dans les familles parce qu'elle pratique le cannibalisme sur les nourrissons, pour son propre plaisir pervers, d'abord, et parce que cet acte renforce son pouvoir, ensuite. Suivant un rythme régulier, elle doit fréquenter les réunions qui la mettent en présence de ses semblables : les sabbats. On distingue le petit sabbat, qui réunit les personnes d'une même ville ou d'un canton, et le grand sabbat, dit aussi sabbat oecuménique, qui rassemble les sorcières de plusieurs régions ou pays. Ces « sabbats » se tiennent la nuit, souvent le vendredi, dans un cimetière, au pied d'une potence ou à la croisée des chemins, ou encore, pour les cérémonies de grande envergure, sur une montagne ou un lieu réputé. Pour s'y rendre, les sorcières se sont enduites d'un « onguent magique » qui leur donne la faculté de se déplacer librement dans les airs. Le trajet s'effectue sur le dos d'un bouc ou sur le manche d'un balais. Le conjoint de la sorcière, pendant ce temps, continue à dormir paisiblement dans son lit, sans se douter de rien.

Les sabbats sont un culte rendu à Satan et dirigés par Satan. Celui-ci y trône superbement, sous la forme d'un être cornu et griffu, mi-homme mi-bouc, terrifiant. Ses serviteurs sont agenouillés à ses pieds, le baisent aux endroits intimes, le vénèrent comme un Dieu. Ceux qui ont commis des fautes se font fouetter.

Vient ensuite la parodie blasphématoire de la messe catholique. Durant « l'Eucharistie », le pain et le vin sont remplacés par des substances au goût nauséabond et de couleur noire. Les adorateurs du diable doivent les ingurgiter. Un repas suit le simulacre, au cours duquel sont consommés des aliments repoussants et putrides, par exemple des coeurs d'enfants morts. Le tout finit sur une danse frénétique, éclairée par une chandelle plantée dans l'anus d'une des sorcières. La danse se transforme en une orgie érotique. Tout est permis : relations incestueuses, perversions innombrables.

Les juges ecclésiastiques ou laïcs, chargés d'instruire les dossiers relatifs à la sorcellerie, tenaient cette description pour avérée. Ils ne doutaient pas de l'existence des sorcières, comme groupe humain spécifique, ni des sabbats, comme assemblée secrète des sorcières. Le peuple vivait dans un état d'esprit comparable, à l'affût de toute manifestation semblant accréditer la proximité d'adoratrices de Satan. De mauvaises récoltes, une mort tenue pour mystérieuse, des problèmes de santé, des animaux au comportement étrange, étaient interprétés comme les effets d'un maléfice jeté sur un individu ou une communauté villageoise. En quelques siècles, on brûla des dizaines de milliers de prétendues sorcières au nom d'une telle croyance.

Avec l'avènement des Lumières, on se mit à douter de leur existence. On se demanda si les sorcières n'étaient pas, après tout, un reflet des superstitions médiévales, des boucs émissaires de village. L'hypothèse se perdit vite et laissa place à une explication nouvelle, qui justifiait les peurs ancestrales : il aurait bel et bien existé une société secrète de sorcières qui se réunissaient au cours d'assemblées nocturnes, mais nul n'aurait compris la profondeur de ce culte ni le véritable objet de la dévotion des assistants. A partir du XIXe siècle, cette interprétation conquit les esprits. Aujourd'hui, c'est la plus diffusée dans le grand public.

Les premiers auteurs qui répandent cette thèse sont les universitaires Karl Ernst Jarcke et Franz Joseph Mone. Ils ne croient pas à l'intégralité des faits rapportés, voyages dans les airs, présence de Satan et autres prodiges, qu'ils tiennent pour des déformations dues aux procès. Ils pensent malgré tout que les sorcières ont appartenu à une structure organisée et hiérarchisée, une secte anti-catholique, et ils admettent l'existence des assemblées nocturnes, comme on admet dans n'importe quelle religion la tenue d'un culte. Selon eux, ces pratiques résultaient d'anciens cultes païens, d'origine germanique, qui auraient survécu à travers les âges dans le monde paysan (le mot « paganisme » vient du latin paganus qui signifie « paysan »). Mone avance que le sabbat était la déformation d'un culte ésotérique rendu à Dionysos.

Or, pour séduisantes qu'elles soient, les hypothèses de Mone ou Jarcke ne sont soutenues par aucune preuve. On ne trouve pas trace de cette religion clandestine, qui, à les en croire, aurait eu des dizaines de milliers de pratiquants. Ces chercheurs n'expliquent pas qu'il ait fallu attendre le bas moyen âge pour que les autorités découvrissent son existence. Plus de mille ans de « clandestinité », c'est beaucoup !

Michelet, dans La Sorcière (1862), tente de donner une autre explication. Le sabbat aurait été, au début, une farce menée contre les autorités laïques et ecclésiastiques, par des serfs révoltés. Les paysans étaient dirigées par une grande-prêtresse, serve elle-même, qui lors des sabbats s'unissait à un mannequin représentant Satan, que Michelet nomme le Grand Serf Révolté. Au coeur de ces réunions, on aurait distribué de la belladone, breuvage d'illusion qui aurait porté les participantes à des hallucinations que les juges - et elles-mêmes - auraient pris pour argent comptant, sans comprendre ce que ces visions devaient à la drogue.

Suggestion piquante pour l'imagination, mais totalement gratuite. Michelet ne cite pas une seule source accréditant ses affirmations. Il se contente de « décrypter » les pièces juridiques avec, pour seul guide, sa licence romanesque : une démarche qui ressortit davantage de la fantaisie littéraire que de la rigueur requise par la discipline historique.

Comme les savants ont besoin de rationnel et de démonstrations rassurantes, il fallait trouver une autre explication. Margaret Murray s'y essaya dans The Witch-Cult in Western Europe (« Le culte de la sorcière en Europe de l'ouest »), écrit en 1921. C'est elle, sans aucun doute, qui développa l'hypothèse de la réalité des sorcières et de leurs assemblées avec le plus de succès. Son influence fut considérable dans le monde entier et se ressent aujourd'hui encore dans certains milieux universitaires. Ses théories furent tellement en vogue qu'elles stimulèrent la création de mouvements sorciers, comme la Witches’ International Craft Association.

Pour Margaret Murray, le sabbat est la célébration d'un culte ancien de la fertilité. Quand elle écrit son livre, on est dans la vague du Rameau d'Or du folkloriste écossais Sir James Frazer, qui explique les origines de nombre de religions à l'aide de ce concept. Le culte de la fertilité semble une hypothèse tellement convaincante qu'il est tentant d'en trouver un nouvel exemple derrière chaque croyance. Selon Murray, le diable aurait été l'un des aspects du « dieu cornu à deux faces », Janus, identifié au cycle des récoltes, mourant et ressuscitant comme elles. Les cornes du diable en auraient été une réminiscence.

Le culte aurait connu une diffusion impressionnante. Pour Murray, de grands personnages historiques, comme Jeanne d'Arc ou le roi d'Angleterre Guillaume II, en ont été les adeptes et leurs morts ne sont que des rituels destinés à accomplir la résurrection de leur dieu. Les campagnes étant le lieu naturel de la conservation de ces croyances, les sabbats y avaient évidemment leur place. On ne s'y rendait pas par la voie des airs mais, rationalisme oblige, à cheval. L'Inquisition et ceux qui ne participaient pas au culte de la fertilité ne comprirent pas le sens de ces pratiques étranges. Tentant d'expliquer l'inconnu en fonction de leurs propres normes, ils ont travesti la réalité : ainsi naquit le mythe du culte du diable.

La vraie religion du moyen âge, la religion d'une grande partie du monde rural et de quelques hommes et femmes de pouvoir, n'aurait donc pas été la religion catholique, mais celle du dieu de la fertilité Janus. S'il a fallu attendre les XVe et XVIe siècles pour que l'Église se lance dans la « grande chasse aux sorcières », c'est parce le catholicisme n'avait pas, auparavant, assez d'emprise sur la société.

Voilà, en quelques mots, résumée la thèse de Margaret Murray, qui pendant quarante ans fut également celle de la prestigieuse Encyclopedia Britannica.

Pour la plupart des spécialistes de ce sujet, la dissertation murrayenne n'est cependant qu'une amusante construction de l'esprit, sans lien avec la réalité.

La méthode utilisée par Murray aurait d'ailleurs dû la discréditer dès le début aux yeux de la communauté historienne (dont elle ne faisait pas partie), si les professionnels avaient vérifié ses assertions. Estimant que certains passages des sources qu'elle utilisait n'allaient pas dans un sens « réaliste » - c'est-à-dire tous les passages jugés par elle fantastiques - Margaret Murray choisissait simplement de les passer sous silence, afin de rendre le témoignage de la sorcière digne de confiance ! Tronquant ses textes sans en informer ses lecteurs, elle retombait toujours sur ses pieds en faisant croire qu'il existait des récits de sabbats raisonnables et crédibles. C'était de la sollicitation de document, procédé interdit en histoire pour les raisons que l'on imagine.

Ci-dessous la confession in extenso d'Isobel Gowdie, d'Auldear, dans le comté de Nairn, faite en 1662 à son procès, telle que citée par Margaret Murray :


Nous allions dans plusieurs maisons pendant la nuit. A la dernière Chandeleur nous fûmes à Grandehill où nous eûmes assez à manger et à boire. Le Diable était assis au bout de table, et
tout le coven l'entourait. Cette nuit-là, il désira qu'Alexander Elder, d'Earlseat, dise la prière avant le repas, ce qu'il fit ; et la voici : "Nous mangeons de cette nourriture au nom de Diable" (etc.). Et alors nous nous mîmes à manger. Et quand nous eûmes fini de manger, nous regardâmes fixement le Diable et, nous inclinant devant lui, nous dîmes au Diable : Nous te remercions,

notre Seigneur, de cela. - Nous tuâmes un boeuf à Burgie vers la naissance du jour et nous emportâmes le boeuf chez nous, à Aulderne, et nous en régalâmes.


On dirait un rapport circonstancié, sobre, clair, convaincant. La sorcière ne donne pas l'impression d'inventer, elle semble relater, avec des mots simples, ce qu'elle a réellement vécu. La présence du diable fait sourire, mais peut se comprendre : il s'agit peut-être d'un homme ayant revêtu un accoutrement méphistophélique.

Margaret Murray a coupé son récit par un etc. Apparemment inoffensive, cette césure camoufle en réalité des détails essentiels pour la critique de texte. Voici le passage manquant :


Tout le coven volait sous la forme de chats, choucas, lièvres et corneilles, etc., mais Barbara Ronald, de Brightmaney, et moi, montions toujours un cheval, que nous faisions d'un fétu de

paille ou d'une tige de fève. Besnie Wilson était toujours sous l'apparence d'une corneille (...) (Le Diable) était comme une génisse, un taureau, un cerf, un chevreuil, etc., et avait des rapports avec nous; et il levait sa queue tandis que nous baisions son cul.


L'atmosphère est à présent transformée et le genre du récit change avec elle. Nous sommes maintenant baignés en plein fantastique, dans une irréalité totale ! Grâce à une coupure anodine, Murray a caché ce qui discrédite le témoignage qu'elle brandit : « l'aveu » par la sorcière de son envol sur un fétu de paille !

Lorsque l'on enlève le surnaturel, il est vain de croire qu'il ne reste que le naturel... Norman Cohn a le mot juste : « On ne doit pas admettre comme preuves d'événements réels des histoires qui contiennent des éléments d'une impossibilité manifeste ». Face à une telle description la moindre des choses est de commencer par douter de la véracité des événements contenus dans le récit tout entier, puisqu'on ne peut se permettre de préjuger de l'état de santé mentale du supposé témoin, ni des pressions qu'il a subi, ni de ses propres fantasmes. Une fois cette étape accomplie, il faut chercher en-dehors du récit des éléments concrets qui vont d'infirmer ou de confirmer telle ou telle partie, voire le récit entier.

Il est déconcertant de constater que la thèse de Murray ait semblé crédible aussi longtemps et qu'elle ait bénéficié du soutien d'une grande partie de la communauté historienne.

En ce qui concerne le domaine de la sorcellerie et de la matérialité du sabbat, un grand scepticisme est aujourd'hui de mise. Aucun de ceux qui ont suivi les traces de Margaret Murray (Elliot Rose, Montague Summers, Jeffrey Russel) n'a réussi à fournir une preuve de l'existence des sorciers, des sorcières, ni des sabbats - étant entendu que nous n'évoquons pas les guérisseuses des campagnes, ni les pratiques hérétiques marginales, mais bien d'un groupe constitué se réunissant à dates régulières, dans le cadre d'une croyance satanique définie.

On a fait grand cas des livres de Carlo Ginzburg, Les batailles nocturnes ou Le sabbat des sorcières. Le savant italien y décrit le résultat de ses recherches, au cours desquelles il a mis au jour l'existence, dans le Frioul du XVIe siècle, d'un groupe d'individus, les benandanti, qui prétendaient accomplir des chevauchées nocturnes à l'assaut des sorciers pour sauvegarder leurs récoltes. Ils furent eux-mêmes considérés comme sorciers.

Mais l'auteur de cette découverte admet lui-même, contre l'avis de J. Russel qui voyait dans ses travaux « la preuve la mieux établie qui ait jamais été fournie de l'existence de la sorcellerie », que les benandanti ne réalisaient leurs expériences « qu'en rêve ». Leur combat, purement spirituel, n'implique donc pas la réalité d'un groupe constitué de sorciers, et moins encore la tenue de sabbats. Au mieux, l'onirisme de ce groupe peut témoigner qu'à une certaine époque, pour quelques esprits, le terrain était préparé pour la formation d'une secte diabolique. L'était-il dans tous les esprits de l'Europe occidentale des XVIe et XVIIIe siècles ? Le Frioul ne représente pas l'ensemble du continent, comme l'a noté Jean-Michel Sallmann.

L'historien de la sorcellerie doit convenir qu'il n'existe aucune trace positive du sujet étudié.




*




Les documents relatifs au sabbat et aux sorcières sont nombreux. Les images anciennes, les textes des démonologues, les traditions recueillies ci et là ne manquent pas. Mais en fait de sources véritables, c'est-à-dire de documents de première main, nous ne possédons que les procédures judiciaires de l'époque. Ce sont elles qui collent le plus près à l'histoire. Or personne ne peut prendre le risque de leur accorder crédit : tout d'abord, parce que le statut de la preuve telle qu'il était compris par les juristes d'alors se résumait aux récits de l'accusée et des éventuels témoins. Il suffisait d'un aveu pour assurer la véracité d'un fait : en guise de preuve, c'est un peu mince !

Jamais personne n'a été pris en flagrant délit d'assister aux sabbats et aucun observateur extérieur à la prétendue secte démoniaque, magistrat ou gendarme, n'en fut spectateur. D'autant plus étrange que les lieux de réunions étaient connus des juges, puisque avoués par les soi-disant participants. Il aurait suffi de les surveiller et de s'y rendre avec une escouade le moment venu.

A défaut de preuves matérielles, les inquisiteurs se sont contentés des dénonciations, des propos malveillants, des « aveux » qui, certes, ne manquaient pas.

Mais les histoires d'enfants mangés ou de crimes effroyables ne reposent eux non plus sur aucune preuve, comme les nombreuses transcriptions de procédures qui nous sont parvenues le laissent entendre. Rares étaient d'ailleurs les accusations d'anthropophagie satanique. La plus célèbre d'entre elles fut faite à l'encontre des Fraticelli, à Fabriano et à Rome. Il est maintenant prouvé qu'il ne s'agissait que d'un effet de la rumeur publique, alimentée par des ouvrages polémiques et monastiques antérieurs.

Il en va de même pour les orgies et les accusations d'inceste. Les Cathares avaient été calomniés de la sorte et, bien avant eux, les bruits portant sur les rapports sexuels immoraux de sectes présumées et d'ennemis de la Chrétienté couraient dans le monde occidental. En France, dès le XIe siècle, les hérétiques étaient ordinairement soupçonnés de se livrer avec concupiscence à des activités perverses. Dans les écrits catholiques, ces mises en cause dénigrantes remontent au IIe siècle ! Il a été établi qu'au XVe siècle on s'en servait encore.

Rappelons également que personne n'a réussi à démontrer l'existence d'une doctrine luciférienne cohérente - hormis à notre époque, bien sûr, où les sectes satanistes prolifèrent, mais c'est une autre affaire…

Devant l'absence de preuves, le chef d'accusation s'effondre donc.

Plutôt que de nous étonner de la pléthore des « confessions de sorcières », il convient de rappeler que :

- La torture était utilisée comme moyen d'extorquer l'aveu de satanisme. La loi selon laquelle la torture était interdite lorsque le crime n'était pas prouvé, souffrait en effet d'une seule mais notable exception : celle, justement, des « crimes occultes ». De la même façon, on empêchait normalement la répétition des séances de torture, sauf dans le cas des procès de sorcellerie !

- Le juge, par des techniques d'interrogation particulières, incitait la « sorcière » à abonder dans le sens de ses propres schémas mentaux. Son discours était une tautologie qui reposait sur « l'évidence » de l'existence du diable. Pour l'accusée, nier le sabbat revenait à nier l'existence des sorcières (la supposée participation à l'assemblée diabolique constituait la preuve de la culpabilité consentante de l'accusée) et nier l'existence des sorcières revenait à nier celle du Malin, donc celle de Dieu qui l'avait créé dans une intention précise. La défense avait peu de choix.

- Les inculpées elles-mêmes partageaient la peur du diable et de ses adorateurs. Une dynamique externe (rumeurs, veillées) les conduisait à culpabiliser et à devenir une proie idéale pour leurs accusateurs. Sans compter que l'écrasante majorité des sorcières avaient plus de cinquante ans, grand âge pour l'époque, entraînant un comportement sénile qui pouvait provoquer, outre des accusations sur leur mode de vie étrange, des confessions inopinées. Les authentiques malades mentaux étaient une cible toute désignée.

Robert Muchembled a synthétisé la subtilité de la spirale procédurière qui s'attachait à extorquer les aveux des sorcières :


L'aveu, but ultime de la procédure était parfois obtenu sans usage de la torture, voire sans menace à ce sujet. Certains cédaient au désespoir, à la peur, aux tourments de la détention, sachant leur sort scellé. D'autres espéraient obtenir quelque adoucissement par leur attitude docile, sous la

forme d'un retentum, c'est-à-dire d'un étranglement préalable évitant d'être brûlé vif sur le bûcher. D'autres encore tentaient de sauver un être cher. Afin que l'on épargne son fils accusé de complicité avec elle, une sorcière de Domjevin avoua ainsi 1603 des crimes qu'elle finit plus tard dire imaginaires. Maints accusés subissaient de toute évidence un processus de profonde culpabilisation personnelle, par honte d'être livrés à la justice. Découvrant alors que les juges ne pouvaient avoir entièrement tort, ils devaient sans doute parfois craindre d'être sorciers sans le savoir (...). Un sentiment de repentir animait certains, du moins en présence des magistrats, dans

le but de les apitoyer, sans doute parfois également pour soulager leur conscience ou pour crier un sentiment de culpabilité sincère. Une femme de Neuville-sous-Châtenois avoua sous la torture, en 1586, se rétracta ensuite, puis finit par confesser de nouveau ses crimes "par le conseil du curé" de son village. Tous les moyens pouvaient en effet être utilisés pour aboutir à ce résultat, promesses mensongères, visites dans la cellule, témoignage d'enfants, etc.

(...) Certains avouèrent avec réticence, ou en donnant le nom de défunts et de gens déjà exécutés pour sorcellerie. D'autres parlèrent d'abondance, citant de nombreux individus, jusque 19 dans un cas en 1597 (...). L'un des phénomènes les plus étonnants fut la profusion des

dénonciations familiales.




Bref, sectes de sorcières et sabbats ne sont attestés par rien qui, après un processus critique élémentaire, apparaisse comme objectif. On nage dans le fantasme, la paranoïa, le délire effréné.

Moins assuré est le mode de formation du concept médiéval de sorcellerie. Comment est-il apparu, comment s'est-il précisé ? Les débats se poursuivent.

Pour mieux comprendre la formation d'un tel concept, peut-être serait-il bon de jeter un oeil attentif sur l'histoire contemporaine, où des « chasses aux sorcières » n'ont pas manqué de se produire, dans des conditions certes différentes, mais en suscitant les mêmes réflexes et en se fondant sur le même état d'esprit qu'auparavant. Nos ancêtres du moyen âge n'avaient pas le monopole de la superstition ni du fanatisme ! ".
Ecrit par libertad, à 23:14 dans la rubrique "Pour comprendre".



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