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Lu sur l'Humanité : "Sans-papiers . Selon des documents dont l’Humanité a eu copie, la chaîne de restauration savait pertinemment qu’elle embauchait des salariés en situation irrégulière.
Assis au fond de la petite salle d’audience, derrière les avocats, ils sourient, secouent la tête, n’en croient pas leurs oreilles. Maître Jean-Michel Bargiarelli est en pleine plaidoirie : « On a fait tout ce qu’on a pu pour qu’ils soient régularisés, alors qu’on ne nous prenne pas en otage. C’est malheureux, mais ce n’est pas mon problème, c’est celui de la préfecture. » Depuis un mois que dure le conflit opposant une soixantaine de salariés sans papiers et leur employeur, la chaîne de restauration Buffalo Grill, la direction parle de « calomnie », « d’abus de confiance » et répète à l’envi qu’elle ne savait pas que les papiers présentés étaient falsifiés. Faux, répondent en choeur les salariés mobilisés devant le restaurant de Viry-Châtillon (Essonne) depuis le 29 mai (lire ci-dessous) et les syndicalistes CGT.
Une mise à pied conservatoire
Hier, lors de l’audience au tribunal de grande d’instance d’Évry (Essonne), saisi par la direction de Buffalo Grill pour demander l’expulsion des salariés du parking du restaurant, Christian Saïd, l’avocat des sans-papiers, a, lui, parlé d’une « politique totalement délibérée ». « Parce que les salariés en situation précaire acceptent tout et n’importe quoi, travaillent deux fois dans la même journée, peuvent être licenciés ou contraints à la démission quand on veut. » « Les grands groupes savent qu’il y a des centaines de milliers de sans-papiers en France, avance Raymond Chauveau (CGT). Et ils puisent dans ce réservoir de main-d’oeuvre avec la complicité, même indirecte, des institutions. Ils paient des impôts, ils cotisent à la Sécu mais ne sont jamais malades, ils cotisent aux Assedic, mais ne s’inscrivent pas au chômage ! » « Fantasmes de journalistes qu’on a bien renseignés ! », rétorque, agacée, la défense de Buffalo Grill.
Des documents, émanant pour certains de la chaîne elle-même, et dont l’Humanité a eu copie, semblent confirmer la version du syndicaliste. Ainsi Madi Diebakate, jeune homme timide, discret, présent hier au tribunal. Embauché comme « homme toutes mains » à temps complet en 2004, il est contrôlé par les services de police le 11 juillet suivant dans le restaurant de Saint-Cyr-l’École (Yvelines). Il a des fiches de paie en bonne et due forme, un contrat de travail, un certificat d’hébergement dans un studio prêté par Buffalo Grill, il cotise à la Sécurité sociale. Mais il n’a pas de titre de séjour. Conséquence, une mise à pied conservatoire manuscrite et signée du directeur régional le jour même, avant « un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement ». Mais Madi Diebakate signe un nouveau CDI chez Buffalo le 25 juillet, cette fois dans le restaurant de Lormont (Gironde), près de Bordeaux. Or, selon les termes choisis par la direction départementale du travail, la gestion des ressources humaines est « centralisée » dans les établissements de la chaîne. « J’ai travaillé trois semaines, après ils m’ont dit de partir », explique Madi Diabakate qui affirme ne pas avoir démissionné ni avoir été licencié.
Réembauché sous son vrai nom
Autre exemple, Tapa Konaté, embauché le 13 février 2001 dans l’établissement de Ris-Orangis (Essonne) sous une autre identité. Sa fiche de paie de février 2003 est ainsi établie au nom de Bimboulou Souki. Or, le virement correspondant est effectué par Buffalo le 28 février sur le livret A ouvert à La Poste au nom de Tapa Konaté. Quant à Seydou Diakite, il est embauché sous le nom de Harouna Degoga en 2004 et 2005 et ses décomptes de retraite complémentaire sont dressés tantôt au nom de Diakite, tantôt au nom de Degoga, mais sont toujours envoyés à la même adresse de Grigny (Essonne). « On a aussi l’exemple de Mabo et Adama Sissoko, deux frères embauchés dans le même restaurant de Ris-Orangis, le premier sous le nom de son frère, le second sous le nom de Sidibé Tidiani, ajoute Christian Saïd, leur avocat. Mais quand Mabo démissionne, le manager demande à Adama de reprendre son identité. » Et le juriste de présenter le dernier bulletin de paie établi au nom de Sidibé Tidiani en mai 2003 avant qu’il ne « démissionne » le 20. « Adama est réembauché sous son vrai nom dès le 21 ! Il sera démissionné le 13 mai 2007. »
Ses collègues acquiescent. Chacun a son anecdote. Plus ou moins précise, plus ou moins récente. Ainsi, hier, à la sortie du tribunal, un salarié du restaurant de Viry racontait : « Au début de la grève, mon manager m’a demandé de rester, j’ai fait tous les postes dans le restaurant, je maîtrise. Le directeur régional m’a même appelé pour me dire qu’il pouvait ne pas envoyer mon dossier à la préfecture et qu’en échange, je restais travailler sans rien dire à personne. Il m’a aussi proposé de me licencier mais de me faire travailler au noir. » « Évidemment, Buffalo a besoin de nous, on est ses meilleurs salariés, sourit un autre. On pouvait faire cinquante heures payées trente-neuf, on ne se plaignait jamais. C’était devenu une question d’habitude ! On faisait bien notre boulot, on rigolait, on s’entendait bien. De toute façon, quand tu es sans papiers, et que tu as un boulot, tu fais tout pour ne pas le perdre. Mais on ne peut pas accepter qu’on vienne nous menotter pendant le service... »
Lénaïg Bredoux