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Il s’agit d’un évènement tout à fait exceptionnel dans la Russie contemporaine. Tout d’abord parce que le nouveau Code du travail rend la grève pratiquement illégale (il faut que la décision soit prise par le collectif des salariés et non par le syndicat, que 50% des salariés participent à cette conférence et que 50% des salariés présents votent en faveur de la grève). Ensuite parce que la grève éclate dans une entreprise transnationale faisant d’importants profits et porte moins sur le salaire que sur les conditions de travail. Grève d’un nouvel âge pour le mouvement syndical russe.
A l’usine Ford, 1300 personnes ont participé aux trois réunions d’après-poste
(dans la rue, à - 15 degrés, la direction de l’entreprise refusant de mettre
à cette fin un local à disposition), soit 70% du total des salariés.
Résultat du vote : cinq abstentions et unanimité pour démarrer la grève, qui
se déroulera donc en toute conformité avec les exigences draconiennes du
droit du travail russe.
Les principales revendications sont, d’une part la régulation des normes de travail et, d’autre part, l’appui des propositions du syndicat lors des négociations sur l’accord collectif d’entreprise, toutes rejetées par la direction. Il s’agit notamment de la transparence sur les normes de travail, du respect des mesures de sécurité, de la mise en place de garanties sociales, de la limitation des externalisations de travaux (outsourcing).
Cet acte fort est à mettre au compte du nouveau syndicat fondé il y a moins
de deux ans, avec à sa tête de jeunes ouvriers très dynamiques qui se sont
attelés tout ce temps à solidariser le collectif et à transformer
radicalement le rapport des ouvriers à l’action syndicale.
Comme le dit
Alexeï Etmanov, le président du nouveau syndicat, « avec mes copains du
comité syndical, nous leur avons appris à s’approprier le syndicat comme une
arme de lutte, à dire ’nous’ quand ils parlent du syndicat ». A l’étroit
dans la Fédération syndicale traditionnelle, la Fédération des syndicats
indépendants de Russie (FNPR), hostile à toute forme de lutte, le syndicat
de l’usine Ford a quitté très vite la FNPR, pour créer un syndicat libre et
de lutte. Avec d’autres nouveaux syndicats émergents dans la branche
(notamment celui de General Motors à Toliatti), ils ont même formé, en
juillet dernier lors du Forum social de Russie, un nouveau syndicat des
travailleurs de l’automobile.
La position de la direction, pourtant étrangère et habituée aux négociations, étonne par sa dureté. Malgré des négociatins qui ont duré trois mois, aucun des points proposés par le syndicat n’a été intégré dans le projet d’accord d’entreprise, qui se borne à reproduire le Code du travail russe. Selon Alexeï Etmanov, la direction a tout simplement pris goût aux méthodes de management classiques en Russie. "Ils croient que, comme dans la plupart des entreprises du pays, ils peuvent imposer leur loi aux ouvriers et ne pensent pas que nous sommes capables de défendre nos droits", déclare-t-il à ce sujet. "Mais, pour le coup, ils se trompent complètement", rajoute-t-il.
Pour donner une idée des conditions de travail dans cette usine, pourtant
hautement rentable et à technologie de pointe, voici quelques éléments.
Salaire mensuel moyen de 19000 roubles (540 euros), postes sans attestation
(les ouvriers passant de l’un à l’autre), refus systématique de respecter
les congés déposées, flexibilité maximale, accumulation d’heures
supplémentaires, nombreuses tâches dangeureuses et néfastes pour la santé. A
rajouter, bien sûr, une disproportion énorme entre les salaires ouvriers et
ceux de la direction...
Rappelons que ce n’est pas la première action collective menée par les
salariés de l’usine. L’été 2005, après une grève du zèle de plusieurs
semaines, ils avaient déjà obligé la direction a augmenté les salaires de
14,2%.
Ebranlée par la fermeté des ouvriers, la direction de l’usine Ford a déclaré
à la presse, le 9 février, à 5 jours de la grève, qu’elle concédait à une
augmentation de salaire de 14 à 20%, selon les catégories.
"Ils veulent nous
calmer en nous donnant l’aumône", c’est ainsi qu’a commenté ce geste Alexeï
Etmanov. Le leader syndical a assuré que la grève aurait lieu de toute
façon, n’ayant pas pour objet principal le salaire mais les conditions de
travail dans leur ensemble. La décision finale sera prise par le collectif
des travailleurs, appelé par le syndicat à se prononcer le 13 février, la
veille de la grève annoncée.
Carine Clément, Institut de l’Action Collective, Moscou (www.ikd.ru)
Pour les messages de protestation ou de soutien :
Directeur général de l’usine "Ford Motor Company", Theo Streit, Fax : (+7812)
346-7112, srecept1@ford.ru
Président du syndicat, Alexeï Etmanov : etman@yandex.ru