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Mais à y regarder de plus près, l’observateur attentif constate que la dynamique entre manifestants et policiers est beaucoup plus complexe, et que la violence de ces derniers ne vient pas toujours répondre à celle des manifestants. En d’autres mots, les policiers n’ont pas besoin de Black Blocs pour se déchaîner contre des manifestants et ils n’hésitent pas à bousculer, blesser et arrêter des manifestants qui, objectivement, ne représentent aucune menace. A Seattle, par exemple, les images prises par les militants et par la police indiquent clairement que les frappes menées par le Black Bloc contre des commerces et des banques ont commencé environ deux heures après que les policiers aient utilisé la force pour disperser les militants non violents qui bloquaient les rues et des entrées de centres de conférences [1]. A Gênes, des policiers ont brutalisé à coups de bottes et de matraque de très nombreux manifestants non-violents, comme le confirment des témoignages aussi bien que des images télévisées [2]. A Montréal, le 26 avril 2002, une manifestation d’environ 500 personnes contre une réunion préparatoire des ministres du travail du G8 n’a tout simplement pas eu lieu, parce que les policiers ont encerclé le rassemblement avant même le départ de la marche et ils ont arrêté tout le monde, aussi bien des militants que de simples passants. Lors de la Convention du Parti républicain à New York, à la fin de l’été 2004, la police se félicitait d’avoir arrêté 1821 manifestants, alors que ces derniers n’avaient mené aucune action violente [3].
La psychologie policière peut expliquer cette répression et cette violence, mais il ne faut pas reprocher aux policiers ce que d’autres reprochent aux Black Blocs, soit d’être violents par simple plaisir sadique et irrationnel : la violence des policiers s’explique aussi en termes sociaux et politiques. Les policiers, surtout en Amérique du Nord, procèdent à des arrestations de masse "préventives" pour préserver leur image publique : ils craignent que la "casse" entraîne de la part de l’opinion publique de vives critiques à leur égard, et préfèrent donc prévenir que guérir... Des études universitaires en sociologie et en "sciences" politiques ont montré que les policiers seront plus facilement violents s’ils ont conscience d’être face à des groupes politiques considérés comme "déviants" et "marginaux" par les représentats de l’Etat et par les acteurs politiques que celui-ci juge respectables [4]. C’est ici, évidemment, que les condamnations maintes fois répétées des porte-parole réformistes qui cherchent à tout prix à se dissocier des "casseurs" et à leur nier toute pertinence politique créent autour de ces "jeunes vandales" un vide politique. Les policiers savent dès lors qu’ils ont affaire à des "déviants" qui empoisonnent le monde. Les policiers comprennent qu’ils ont le champ libre d’agir à leur guise, mais ils se laissent trop souvent emporter par leur enthousiasme répressif et ne s’en prennent qu’à des Black Blocs, brutalisant au passage quantité de manifestants pacifiques.
La réplique des policiers lors des divers sommets et contre-sommets a souvent été d’une violence disproportionnée par rapport aux actions des Black Blocs, les policiers sachant que ceux-ci représentent une menace marginale, qu’ils défendent des idées politiques considérées comme "déviantes" et qu’ils n’ont pas d’alliés au sein des forces politiques "respectables". Résultat : les Black Blocs et leurs alliés, ainsi que des manifestants non-violents, ont dû faire face à de véritables "émeutes policières", pour reprendre l’expression utilisée en 1972 aux Etats-Unis par la Commission nationale présidentielle d’étude sur les causes et la prévention de la violence, qui désignait ainsi plusieurs assauts de policiers déchaînés à la fin des années 1960 [5]. Si l’expression semblera à certains trop polémique, sans doute peut-on s’entendre sur la quincaillerie et la nécrologie.
Quincaillerie, d’abord : ces milliers de policiers mobilisés à chaque grande manifestation sont entraînés et bien équipes de casques, de boucliers, d’uniformes rembourrés et ignifugés, de fusils à balles de caoutchouc, de gaz fumigène et lacrymogène, d’armes à feu, de chiens, de chevaux, de véhicules blindés, de canons à eau, d’hélicoptères, de prisons, etc. Ils sont également appuyés par des agents des services secrets et par des unités militaires. Par ailleurs, les policiers n’hésitent pas à tromper l’opinion publique en grossissant artificiellement l’ampleur de l’ "arsenal" des Black Blocs et de leurs alliés. Il s’agit là d’une pratique policière très courante à l’égard des groupes politiques radicaux. Suite à des manifestations lors desquelles les policiers ont procédé à des arrestations, les porte-parole des corps policiers organisent un dévoilement des "prises de guerre" et les médias sont invités à croquer l’image d’une table sur laquelle est disposé un impressionnant arsenal militant. En y regardant de près, toutefois, le spectateur attentif découvre une série d’objets anodins - brocheuses et ciseaux (pour l’affichage), crécelles, casseroles, bidons et baguettes (pour la musique), manches de pancartes et de drapeaux, porte-voix et même bouteilles d’eau.
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Nécrologie, ensuite : ce sont les policiers qui ont tué des manifestants et non l’inverse. A Göteborg, les policiers ont tiré à balles réelles et on blessé gravement plusieurs manifestants ; à Gênes, Carlo Giuliani - qui n’était pas vêtu de noir - brandissait un extincteur vers un véhicule de la police, qui qui lui valut d’être abattu par un policier de deux balles dans la tête tirée à bout portant. La Jeep des policiers a ensuite roulé par deux fois sur le corps inerte. Ironie du sort : le lendemain, les chefs d’Ett du G8 prenaient la parole our dénoncer la "violence aveugle" des... manifestants ; et les réformistes non-violents, si prompts généralement à se démarquer des "casseurs", s’appropriaient sans malaise apparent la mémoire de Carlo Giuliani et l’intronisaient martyr de la cause commune. PEu de temps aupravant, trois étudiants avaient été tués par les policiers alors qu’ils manifestaient contre la Banque mondiale en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Francis Dupuis-Déri
[1] Patrick F. Gilham et Gary T. Marx, "Complexity & irony in policing and protesting : the World Trade Organization in Seattle", Social Justice, vol. 27 n.2, 2000, p. 212-236.
[2] Voir le film Berlusconi’s Mouse Trap.
[3] E. Dupuis-Déri, "La violence invisible", Le Monde libertaire, n° 1367, 16-22 septembre 2004, p. 4.
[4] J. A.Frank, "La dynamique des manifestations violentes", Revue canadienne de science politique, vol. 17, n° 2, juin 1984, p. 325-349.
[5] Cité dans John D. McCarthy et Clark mcPhail, "L’institutionnalisation de la contestation aux Etats-Unis", Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 27, 1er trimestre 1997, p. 16.