Nicolas Sarkozy ne boit pas (il est légèrement éméché de naissance), mais il sait recevoir.
Je dégustais chez lui, l'autre jour, quelques rares rares scotch whiskies, et nous parlions justement de son frère, Guillaume, qui vient d'entrer au conseil de surveillance du Monde (car pour être bien surveillé, on ne pouvait mieux choisir).
-Au fait, t'as lu ma tribune dans le Monde?
Je faillis m'étrangler en avalant de travers un Cragganmore 60.1% de derrière les fagots (un pur délice).-Le truc sur la représentativité syndicale? Mais quelle mouche vous a donc piquée?
-C'est-à-dire?
-Vous n'ignorez pas que la faillite est aux portes?-C'est bien possible...
-L'Ump désespérée!-Qu'y puis-je?-Les réformes vomies!-Ce qui est trop génial est souvent incompris.-Le pays vous exècre!-Un jour, il m'aimera.
-Et tout ce que vous trouvez à faire, c'est écrire dans le Monde de Monsieur votre frère quelques propos badins sur le syndicalisme?
-Tu n'as pas aimé? C'est étrange...
-Tant d'insipidités (discussion, dialogue, compromis, négociation, accord, position commune) révolte, et permettez-moi de vous dire qu'en défenseur du syndicalisme (Les Français sont très attachés au syndicalisme. ... ils veulent des syndicats forts....le syndicalisme français est ... faible), vous n'êtes pas ce qui s'appelle crédible.
-Tu trouves?
-Je vous l'ai cent fois dit : trop de démagogie tue la démagogie.
-Mais il ne s'agit absolument pas de démagogie!
-Ah bon?-La réforme du syndicalisme est l'axe central de ma politique sociale.-Vous charriez...-Pas du tout. Tu crois que c'est facile de prendre le pognon dans la poche des pauvres pour le donner aux riches?-Il est de fait que parfois, ça se passe mal.-Les vieux, les gosses, les malades, je dis pas.
Mais les salariés, tu y as pensé aux salariés?
De vraies teignes.Des rancuniers.
Des âpres au gain.-Autrefois, on capturait les plus récalcitrants, et on les clouait aux portes des usines pour éloigner les mauvais esprits.
-C'était du bricolage. Pour contrer la sauvagerie des mouvements sociaux, et civiliser le prolétaire, rien ne vaut les syndicats.
-Les syndicats?
-Ils ne demandent que ça! Leur rêve, tu penses bien, n'est pas de tenir des piquets de grève en crevant de faim sous les intempéries, mais de s'assoir dûment mandatés aux tables patronales pour de subtiles négociations sans cesse renouvelées.
Ils y voient leur raison d'être et leur vraie vocation.-Comme on les comprend!
-C'est pourquoi je veux des syndicats forts, suffisemment forts pour expliquer aux salariés que tout n'est pas possible tout de suite.
-Et que rien ne le sera jamais?
-Exactement! Des syndicats forts, et donc peu nombreux.
J'ai décidé de n'en garder que trois.-FO, la CGT et la CFDT, je présume?
-Absolument pas : la CGT, la CFDT et le MEDEF, unis comme les trois doigts de la main (du menuisier), car les patrons heureux font les ouvriers contents.-Et vous êtes sûr que ça va marcher?-J'en sais rien.
En attendant, ça les occupe.
Pendant qu'ils penseront aux élections professionnelles (qui détermineront leur représentativité dans les différentes branches d'activité), ils ne viendront pas me faire suer.-Et ça va durer longtemps, cette période électorale?
-5 ans.
Pile.
Renouvelable tous les 5 ans.
Comme moi.
Et avec ça j'ai la paix.-Admirable! Ceci dit, il y a une paille.-Laquelle?
-Le jour même où vous vous félicitiez, dans le Monde, du projet de position commune, deux syndicats le rejetaient.
-Quelque chose a foiré à la CFTC.
On avait pourtant convaincu toute leur direction de faire sepuku (grace à l'affaire Gautier-Sauvagnac, son scandale et ses redressements fiscaux suspendus sur leurs têtes).-J'avais en effet remarqué les déclarations enthousiastes de leur négociatrice sur cette position commune (qui signifiait la mort de sa confédération).-La maiheureuse n'a pas inventé l'eau tiède : il y a des situations où la discrétion s'impose.-Un excès de perfectionnisme dans l'ignominie, peut-être?-Peut-être.
En tous cas, même elle, à la CFTC, a voté le rejet de la position commune.
-Stupéfiant retournement de situation!
-Jacques Voisin, leur dirigeant est sous la pression d'un ennemi acharné de la réforme, qui se présente contre lui à la présidence du syndicat, avec de bonnes chances de l'emporter.
-Le nom de cet antipathique?-Joseph Crespo.
-ça me dit quelque chose...-Rappelle-toi, l'affaire Duret, ce délégué syndical central de la CFTC chez Thomson (Thalès), qui y avait dénoncé la corruption des syndicats, et qui avait été viré de la boite, après avoir été viré de ses fonctions syndicales par son supérieur direct, Joseph Crespo.-On avait appris ça en pleine affaire Gautier-Sauvagnac.-Elle les aura bien occupés, pendant qu'on négociait le sort des syndicats, mais les meilleures choses ont une fin.L'Uimm relève la tête, et à sa suite, ses filiales s'enhardissent.
Au Medef, la Métallurgie s'accroche aux postes et s'organise en contre-pouvoir.A la Cftc Crespo, président de la Cftc-Métallurgie, devient l'homme fort de sa confédération et la Cgc, dirigée par Bernard Van Craeynest, ancien secrétaire de la Cgc-Métallurgie, a finalement voté contre la position commune.-Ne craignez-vous pas que ce front du refus fasse avorter votre réforme?-Trop tard! On eu ce qu'on voulait, l'acceptation de la position commune par leurs négociateurs.
On leur passera sur le corps, en expliquant qu'au fond d'eux-mêmes ils sont d'accord.
C'est à cela que servait cette tribune au Monde que tu trouvais à l'eau de rose : elle ne chantait la paix, l'amour et l'harmonie que pour couvrir les cris de ceux que l'on égorge.
-Maître, vous êtes un maître.-C'est bien normal, mon petit : sans cela, je ne serais pas arrivé où je suis.