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Le système Parisot
--> témoignage d'un salarié jetable

Nous avons tous entendu les propos choquants, diffusés dans les médias fin 2007, de Laurence Parisot, Présidente du Medef, qui affirmaient que « tout dans la vie est précaire ». Une chose dont je suis certain : cette femme ne repose pas sur une fortune précaire ! Originaire de Saint-Loup sur Semouse (70), elle est la fille de Jacques Parisot, entrepreneur menuisier local diplôme de l’école Boule, qui fonde sa première société en 1936. Quelques 7 décennies plus tard, le groupe Parisot est assis sur un capital colossal de plusieurs centaines de millions d’euros, est le fournisseur principal des enseignes « But » et « Conforama », et fait vivre plusieurs milliers de personnes en France comme à l’étranger. Laurence Parisot est à mille lieues de connaître la précarité. Pourtant, cette femme et ses associés savent organiser ce phénomène social !

En Haute-Saône, et dans les Vosges, sièges de quelques unes des usines Parisot, l’emploi est une problématique difficile, si bien que les populations sont souvent rattachées à ces entreprises. Comme il n’y a pas ou très peu de possibilité de travailler ailleurs, le groupe Parisot assoit son pouvoir économique en menant une politique de recrutement liée à la génétique. En effet, pour effectuer un stage chez Parisot ou obtenir un job d‘été, il faut que l’un de vos parents en soit salarié, car chez Parisot, on tient beaucoup au côté « entreprise familiale ». Toutes les discussions des habitants de la région, or contexte professionnel, abordent le travail à l’usine. Parisot en Haute-Saône, est une sorte de « Germinal » moderne ; on ne peut pas échapper à un destin que l’on ne maîtrise pas.

Le formatage Parisot commence avec les stages des lycéens ou étudiants. Au premier jour, on nous rappelle la « chance » qui nous est offerte avant de nous lancer dans des études d’optimisation des services ou de la production. J’ai effectué 3 stages d’un mois chacun aux services « logistique client » et « logistique industrielle ». J’avais à l’époque entre 18 et 20 ans et préparait un bac pro logistique. On m’a très vite demandé des résultats ; ma fraîcheur et mon regard extérieur étaient un atout pour optimiser la production de chacun des départements dans lesquels j‘avais été affecté. Mon premier stage concernait l’amélioration des flux de produits finis sortant des chaînes d’emballages vers le stockage de masse. Après 4 semaines d’observations et d‘analyses, orienté par un Ingénieur du département méthode, je rendais un rapport dont la conclusion m’horripile encore. « On pouvait, d’après des calculs théoriques, augmenter la cadence de stockage, en prenant deux palettes à la fois grâce à l’investissement dans de nouveaux chariots élévateurs. Cela permettrait de pouvoir réduire les équipes de caristes tout en maintenant la compétitivité du service ». De ce premier stage, j’ai appris qu’au sein du groupe Parisot, l’être humain ne compte pas. Pourtant, je n’en ai pas eu conscience de suite. J’étais trop jeune et malléable pour m’en apercevoir.

A l’issu de mon bac, j’ai intégré l’usine comme mon père m’y avait vivement poussé. Le département des ressources humaines me connaissait assez bien. J’étais un jeune homme ambitieux, qui avait bien compris le mécanisme de fonctionnement de l’entreprise. Il ne me restait plus qu’à occuper une fonction de travailleur. C’est alors que j’ai commencé à percevoir l’envers du décor. Pour premier poste, on m’avait proposé une mission d’intérim au service transport afin de participer à l’organisation des tournées de livraison. A la clé, je devais obtenir un CDI. Or, on ne m’avait pas dit que j’étais en concurrence permanente et directe avec d’autres personnes. La moitié du service était aussi intérimaire, parfois depuis plusieurs mois ! Pression constante des responsables, traîtrises entre les salariés du service, j’ai commencé à entrevoir toute la bassesse et le pathétisme du système Parisot. Les filles avec lesquelles je partageais le bureau n’ont rien fait pour me faciliter la tâche ; je n’ai pas été formé à mon poste, les coups bas appartenaient au quotidien car elles avaient choisi d’avoir pour collègue officielle la fille qui se crevait en intérim depuis 18mois. Je n’ai donc pas été embauché.

Bénéficiant de l’appui de mon père (avant qu‘il ne quitte l‘entreprise), et des contacts que j’avais tissés par mes stages, j’ai pu enchaîner avec une autre mission d’intérim, cette fois-ci au sein de l’entrepôt principal. J’étais Responsable de la zone de picking, au sein des équipes logistiques qui fonctionnaient en 3X8. Le travail était loin d’être désagréable à l’exception des horaires, qui m’ont longtemps déphasé. J’avais à peine 20ans et j’organisais le fonctionnement d’une équipe composée de 6 à 12 caristes. L’avenir me semblait prometteur, et contrairement au service transport, j’entretenais de bons rapports avec les autres salariés. La plupart des caristes que j’encadrais étaient plus âgés que moi et connaissaient parfaitement leur travail, je n’avais pas besoin d’entrer dans un discours autoritaire pour me faire respecter. Ce qui était le cas aussi de ma Chef d’équipe. Nous atteignions régulièrement nos objectifs sans heurts, contrairement aux autres groupes de travail. Là encore, on m’a promis une embauche qui aurait du se faire théoriquement le 1er janvier 2000. J’ai décidé de m’installer en Haute Saône définitivement en louant mon premier appartement, rien ne laissait présager la suite des évènements. Un matin, en faisant un état des lieux des stocks, j’ai commis une erreur. Encore fatigué de ma nuit courte (je prenais mon poste à 4heures du matin), je me suis trompé dans la saisie d’une commande ; j’ai demandé le rapatriement d’un stock extérieur d’une référence dont le taux de rotation était quasi-nul. J’ai eu droit à un savon virulent dans le bureau du Responsable « Logistique client ». Je pensais que ça s’arrêterait là. Non, chez Parisot, il faut être en forme 24h sur 24 et à la demande. Lorsqu’une semaine plus tard, frappé par une grippe foudroyante, je n’ai pas pu me rendre au travail, j’ai appris que ma mission d’intérim était stoppée sur le champ. Personne n’y comprenait rien. J’ai harcelé les gens d’Adia (société d’intérim vitrine GRH) de Parisot Meubles afin d’obtenir plus d’explication. Selon le groupe Parisot, il n’avait jamais été question d’une embauche. J’avais été missionné pour des raisons économiques dues à une augmentation temporaire de l’activité de l’usine. La semaine suivante, ce fût au tour de ma responsable d’être licenciée avant la fin de sa période d’essaie. Officiellement, elle a eu droit à la même version des faits que moi. Or, nous avons été les seuls à être remerciés. Je dois aussi ajouter à cela que nous avions refusé un protocole imposé un mois plus tôt par le département méthode car il mettait en péril notre productivité.

Entre mes stages, mes périodes d’emploi et ma vie en Haute-Saône, le groupe Parisot a bouffé 3ans de ma vie. Lorsque j’étais stagiaire, je louais une chambre au foyer Parisot à Saint Loup sur Semouse (mon père était commercial, donc nous ne vivions pas dans la région). Ce foyer, créée dans les années 60 accueillait la main d’œuvre migrante qui avait été nécessaire à l’époque. Or, ce lieu était des plus glauques. Les murs suintaient la moisissure, les cafards circulaient partout. On ne se serait pas cru en France à l’aube de l’an 2000 tant le confort était rudimentaire. Il y avait une cuisine collective par étage, mais c’était aux gens de se débrouiller pour avoir leur matériel. Pas de frigo, deux douches par étage et un chauffage défaillant l’hiver… Quand j’ai cru que j’allais être vraiment embauché, j’ai pris un appartement. Ce fût là une lamentable erreur. Je me suis enterré à Parisot Land, sans famille, sans amis, sans permis et sans moyen de locomotion. J’ai passé une année entière à déprimer avant d‘aller m‘installer en région parisienne.

Quelques années plus tard, j’ai fait mon retour dans une autre filiale du groupe Parisot, médiatiquement plus connue : l’IFOP ! J’ai découvert que les méthodes de gestion des ressources humaines à Maisons-Alfort n’étaient guère différentes de Saint-Loup sur Semouse. A l’exception d’être missionné en Intérim, l’IFOP proposait en 2004 des contrats vacataires, c’est-à-dire des contrats en fonction des sondages. A l’IFOP, seuls les chefs d’équipes et les cadres étaient en CDI, les autres n’étaient que des salariés jetables. Alors, lorsque j’entends aujourd’hui les propos de Laurence Parisot, je suis indigné au plus haut point. Je me sens méprisé dans ma condition d’être humain dont le fragile destin repose entre les mains de gens abjectes.

Paradoxalement, le groupe Parisot avait adopté la semaine de 35 heures avant sa mise en application légale ; aujourd’hui, Laurence Parisot œuvre au démantèlement de cette avancée sociale. Je hais les idées que véhicule cette femme dont finalement le seul enjeu est d’entretenir ses titres, peu importe si elle froisse ou détruit les sujets qui assurent le bon fonctionnement de son empire économique.

thomaslut

Ecrit par thomaslut, à 23:35 dans la rubrique "Economie".



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