Lorsque dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le TITANIC a coulé, ce n’est pas qu’un navire qui a sombré dans l’Atlantique Nord, mais une conception des rapports de l’homme à la nature, une conception de ce que peut et/ou ne peut pas la science, une croyance en un pouvoir absolu de l’esprit humain dans la maîtrise des forces de la Nature.
Quelle leçon l’homme a tiré de cette tragédie? En fait bien peu de
choses ou du moins rien que du très superficiel, essentiellement qu’il
«aurait fallu autant de canots de sauvetage que de passagers». La foi
en la science, en l’absolue puissance de l’esprit humain, en la
certitude que «de toute manière on trouvera bien une solution», si elle
a été un instant ébranlée n’en a pas moins retrouvé toute sa place…
l’histoire du 20e siècle et celle du début de ce 21e est là pour le
confirmer.
ET SI LA TERRE ETAIT UN TITANIC…
Certes, la Terre, comme le Titanic n’est pas une production humaine
encore que l’attitude de l’Homme à l’égard de sa planète laisse
subsister le doute sur la manière dont il l’a considère.
L’insubmersibilité déclarée du Titanic ressemble à si méprendre à
l’assurance affichée «officiellement» dans les capacités supposées
illimitées de la Terre à fournir de l’énergie et, jusqu’à une période
récente, à recycler indéfiniment les dégâts collatéraux de la
croissance.
La Terre est un espace limité accaparé par l’homme qui l’exploite comme
bon lui semble sans avoir de compte à rendre à quiconque,… sinon
peut-être un jour à lui-même, mais alors il sera trop tard et puis,
celles et ceux qui auront tout saccagé seront morts («Après nous le
déluges?»)
Tant que les capacités de production, et donc de destruction, humaines,
ont été peu développées, les activités humaines ont été compatibles
avec ce que l’environnement pouvait fournir et supporter, ou du moins
n’ont pas posées de problèmes majeurs.
La révolution industrielle au 19e siècle a inauguré une nouvelle ère,
celle du prélèvement massif et illimité des ressources naturelles
renouvelables et non renouvelables ainsi que celle de la production
illimitée, en quantité et en durée, de nuisances. Le processus qui
s’est enclenché, en toute inconscience s’est fondé, du moins
officiellement, sur les meilleures raisons du monde: officiellement la
science et le bonheur. Qui pouvait souscrire contre cela? Mais surtout
qui pouvait mettre en doute le bien fondé d’un système qui promettait
l’abondance pour tous et pour l’éternité, et cela «grâce à la science
qui faisait reculer l’obscurantisme»?
Cette vision de l’absolu, cette vision de l’invincibilité de la raison,
cette certitude de la maîtrise a placé l’homme non pas en utilisateur
de la nature mais en exploitant de celle-ci. (voir l’article «
L’HOMME
APPARTIENT-T-IL A LA NATURE?»). La soumission, la crainte, la communion
de et avec la nature à laissé la place à la domination. La nature n’a
plus de limites puisque l’intelligence humaine n’en a pas (???). Les
désirs sont devenus «la» réalité. La réalité pouvant subvenir à tous
les désirs.
La manière dont fonctionne la société humaine est «correcte»
puisqu’elle convient à l’«homme»… ou du moins à
l’«homme-occidental-habitant-dans-un-pays-développé»…autrement dit «ce
que l’on fait de mieux en matière de rationalité, d’intelligence, de
valeur morale, bref de civilisation». Que peut refuser la Nature à un
tel être? Sa science, sa connaissance, n’a-t-elle pas prouvé qu’il
«savait» et «pouvait». Le fait qu’il courre un risque en «faisant» est
bien entendu inconcevable… «il y a toujours une solution»…
C’est à peu prés le raisonnement que devaient se tenir quelques
rescapés, dans l’eau glaciale de l’Atlantique Nord, accrochés à des
débris flottants…avant de couler.
LE FAUX ARGUMENT DU BIEN ETRE
Le «bien être», comme le «bonheur», est une notion toute relative et
éminemment subjective. Qui peut affirmer que l’homme primitif était
«moins heureux» que l’homme moderne? Quels sont les critères à utiliser
en la circonstance? Personne n’a évidemment la réponse. Pourtant le
système marchand lui, répond à cette question: la consommation. Ne
mesure-t-on pas, en économie, le «bien être», voire la «psychologie»
des ménages par un indice de consommation? Ne dit-on pas qu’il y a
«morosité des ménages» quand la consommation baisse?
Le lien qui est fait entre consommation et production n’est ni
technique, ni neutre contrairement à ce que l’on voudrait nous faire
croire. La production ne s’intéresse qu’à la consommation solvable- et
uniquement solvable. Pourquoi? Parce qu’elle seule permet à la
production de réaliser la valeur des marchandises et par là même de
valoriser le capital.
Ainsi, tout le discours de l’activité économique est fondé sur un
mensonge: celui de la nécessité impérative de la croissance.(voir
l’article: «
LA CROISSANCE, QUELLE CROISSANCE?") Mensonge et non
méconnaissance car aujourd’hui on sait, personne ne peut dire qu’il ne
sait pas. L’accumulation illimitée de richesses est absurde et ce pour
deux raisons:
- elle est à terme impossible: il est physiquement impossible de
promettre une croissance illimitée sur une planète aux ressources
limitées.,
- elle n’est pas nécessairement source de bien être: les conditions de
vies sur la planète deviennent insupportables (concentrations urbaines,
destruction de la nature,…).
Sans pour cela en revenir, évidemment, à un mode de vie primitif (voir l’article «
LA DECROISSANCE, QUELLE DECROISSANCE?")
Ainsi le vieil adage populaire, «Abondance de biens ne saurait nuire»
s’il a pu correspondre à une réalité historique n’est plus adapté à la
situation actuelle.
Pourtant, en dépit de toute évidence, la croissance, et son corollaire,
le développement sont devenus des thèmes mythiques et récurrents à tout
raisonnement économique qu’il est hors de question de discuter, à plus
forte raison de contester.
ENTRE CHAOS ET CONSCIENCE
Les données du problème sont désormais claires. Personne ne peut dire
«qu’il ne sait pas» ou plus tard «qu’il ne savait pas» et plus
particulièrement les politiciens. Or ces derniers, qui, en principe,
devraient être les plus et mieux à même d’agir, et au moins inciter les
citoyens à agir et réagir, n’en font rien, bien au contraire… Toute
leur action se résume à «dédramatiser», autrement dit à nier et dans le
moins pire des cas à proposer des «solutions» plus que douteuses… comme
par exemple l’escroquerie du «développement durable».
Se pose aujourd’hui (pas demain, il sera trop tard!), à nous tous,
habitant-e-s de cette planète, un problème d’éthique, problème d’autant
plus délicat qu’il concerne non pas nous mêmes ou nos voisins mais des
gens qui n’existent pas encore: nos descendants, les générations
futures.
La question est simple: sommes nous capables d’assumer une telle
responsabilité et de remettre en question notre mode de vie, de gérer
intelligemment les ressources naturelles, pour assurer celui de celles
et ceux qui nous succèderont?
Soyons clair: le système marchand, c'est-à-dire la manière dont nous
fonctionnons aujourd’hui est incapable de l’assumer. Pourquoi? Parce
qu’il fonctionne sur un principe parfaitement incompatible avec une
gestion intelligente des ressources, parce qu’il ne respecte rien,
hormis la valorisation du capital.
Tant que ce principe ne sera pas remis en question on ne peut espérer aucun changement.
La solution, qui est de l’ordre «du»politique se situe donc en dehors
du champs de «la» politique. La prise de conscience nécessaire,
indispensable, même peut-on et doit-on dire, vitale ne peut se faire
que dans la société civile, par une prise de conscience et la mise en
place d’une alternative économique et sociale (voir l’article
«
TRANSITION»)
Cette fois-ci, ce n’est plus un navire dont il s’agit, aussi symbolique
qu’il soit, il s’agit de notre planète et cette fois-ci il ne s’agit
pas du nombre de canots de sauvetage… il n’y en a pas et il n’y a pas
de planète de rechange. Les passagers du Titanic ont eu prés de deux
heures avant qu’il ne sombre, et un peu plus de temps avant que
n’arrivent les premiers secours. Nous avons certes plus de temps, et
c’est peut-être cela qui fait illusion, mais surtout il n’y aura jamais
aucun secours qui n’arrivera. Après le naufrage il n’y aura plus
personne pour fleurir un quelconque mémorial.
Patrick MIGNARD