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Le mythe de la grève générale et la réalité des opérations de blocage
La coordination étudiante de la semaine dernière a repris à son compte deux moyens d'actions pour arriver à obtenir le retrait du CPE : la grève générale et la multiplication des actions de blocage.
Il me semble que la grève générale est un mythe démobilisateur alors que les blocages sont à la portée du mouvement social et peuvent être mis en oeuvre ( et l'ont été ) sans attendre quoi que ce soit venant d'ailleurs telle l'arlésienne.

Depuis longtemps à chaque mouvement social d'importance les anarchistes ressortent un mot d'ordre récurrent: la grève générale. Ce mot d'ordre est-il encore adapté à la situation présente de la lutte des classe ? Il me semble bien que non et je pense même qu'il contribue à créer par son caractère inadapté une confusion dans les perspectives à donner au mouvement social.
A l'absence de perspective fournies par les réformistes, à leur volonté de garder le contrôle des luttes, correspond chez les anarchistes un manque d'imagination, un vide idéologique, comblé par un mythe inusable : le grève générale

Le faux débat de la grève générale

Il est clair que les directions réformistes des syndicats ne veulent pas de la grève générale, gardant en mémoire celle de 1968 qui faillit devenir incontrôlable. N'ayant pas non plus de perspective de rupture avec le système capitaliste, elles circonscrivent leur action à un marchandage avec les tenants du pouvoir économique ou politique.
Pour autant la grève générale n'est-elle pas devenue qu'un simple slogan auquel personne ne croit dans les faits et que personne n'est capable de préparer ? Il semble bien que oui : à en juger l'attitude de FO sur cette question on s'aperçoit que proclamer qu'on soutient la grève générale quand on sait très bien qu'elle n'a aucune chance de se produire, est seulement un moyen de se créer une image radicale à peu de frais.
Mais les anarchistes, eux sont vraiment pour la grève générale ! Bien sur, mais tout de même, à chaque mouvement social et à chaque fois qu'un vide se crée dans les perspectives à donner, le même thème ressort, comme pour masquer l'absence de réponse concrète à trouver.
La thèse des anarchistes est simple : si le mouvement ne s'étend pas c'est parce que les syndicats réformistes n'appellent pas à la grève générale et donc qu'ils cassent le mouvement.
Lors des grèves pour les retraites, le même argument était déjà donné : « assez de ces grèves interprofessionnelles d'une journée, un seul mot d'ordre la grève générale ».

Lutte de classes virtuelle à la pause café

Cela me semble faire l'impasse sur l'analyse de la réalité des luttes actuelles : elles sont menées par une minorité de salariés ( en gros 15-20 % dans le meilleur des cas ) alors que les autres ne bougent absolument pas et refusent même de s'engager dans un grève d'une journée.
Et si la grande majorité des salariés refusent les grèves d'une journée, ce n'est pas parce qu'elles seraient inefficaces et qu'ils se lanceraient dans une grève générale si elle était "proclamée" par les syndicats mais simplement parce qu'ils refusent complètement de faire quoi que ce soit et que l'idée de perdre un peu d'argent pour faire grève leur est étrangère.
Il faut bien comprendre que complètement intoxiqués par les médias, ils considèrent les mouvements sociaux comme un spectacle qu'ils peuvent soutenir éventuellement par la parole, par exemple en tenant des propos très radicaux contre le gouvernement durant la pose café, puis estimant avoir suffisamment participé à la lutte, rejoindre leur poste de travail.
La lutte de classe virtuelle, le bougonnement, voire la critique radicale mais sans la moindre concrétisation, voilà le lot de la soumission volontaire de 80 % des salariés.
Comment faire bouger cette masse complètement amorphe et sous le contrôle complet des médias au service de l'oligarchie? Voilà un vaste chantier pour les anarchistes ! Nous ne sommes pas dépourvus d'instruments d'analyses qu'il faudrait réactualiser de "la servitude volontaire" de la Boétie à l'expérience de Stanley Milgram mais ce n'est certainement pas en leur proposant le grève générale que l'on arrivera à avancer.
Cette aveu d'impuissance que constitue le mot d'ordre de la grève générale n'est d'ailleurs pas un phénomène récent chez les anarchistes, déjà au 19ème siècle le mythe du Grand Soir, jouait ce rôle. Ce mythe servait en quelque sorte de soupape de sécurité à l'absence de perspectives : on verrait ce que l'on allait voir le matin du grand soir, thème millénariste de la fin des temps repris très largement de l'idéologie religieuse du jugement dernier.

De « L'opinion publique » à « la prise d'otage »

Aujourd'hui, un phénomène nouveau dans les luttes sociales vient d'ailleurs conforter la grande masse des salariés dans son attitude : le soutien sans participation. Désormais à chaque grève nationale des sondages révèlent si « l'opinion publique » soutient ou non la grève. Quoi de plus confortable que de ne pas faire grève mais de soutenir la grève à travers l'opinion publique ! Ainsi s'informant au journal télévisé de l'avancement du mouvement, on pourra briller le lendemain à la pose café en tenant quelques propos bien sentis. Mais attention le salarié lambda ne soutient la grève que si elle ne le touche pas personnellement car dans le cas contraire, il devient un « otage » de la grève que les télévisions aiment tant interviewer et qui permet de faire baisser la popularité du mouvement dans les sondages.
Voilà l'état de la combativité des salariés aujourd'hui : une minorité prête à se bouger, une majorité prête à ne surtout rien faire.
Ce constat peut paraître pessimiste mais il ne l'est pas forcément, les syndicalistes révolutionnaires l'avaient déjà compris au début du 20ème siècle qui faisaient du syndicalisme un combat de minorités agissantes par l'action directe.
C'est cette perspective que nous pouvons réactualiser aujourd'hui.

Ne compter que sur ses propres forces

Les discussions à l'intérieure de la coordination étudiante appelant à la fois au blocage de l'activité économique et à la grève générale montrent bien que dans leur processus de politisation, ceux -ci sont capables de se trouver des perspectives mais restent en même temps prisonniers des vieux mythes que certaines organisations ( anarchistes mais pas seulement ) peuvent encore propager.
Si les étudiants s'étaient seulement donné comme moyen la grève générale, leur mouvement était condamné par l'impuissance à l'obtenir et se retrouvait dans une impasse. Mais dans la vitalité de leur réflexion un autre moyen d'action a été choisi : le blocage de l'activité économique par des actions coups de poing, faites par eux-mêmes. Ce en quoi ils renouaient avec l'action directe des minorités agissantes, maintenant une pression et une agitation permanente démontrant leur détermination à ne pas céder. Dans certaines localités ils réussirent même à entraîner les salariés et les syndicats.
Autre force du mouvement social : les manifestations, jusqu'à trois millions de personnes dans les rues. C'est une force considérable qui n'est pas du tout utilisée ( alors qu'elle l'a été dans les pays de l'Est par exemple ). Il faudra arriver à comprendre un jour si nous voulons gagner une lutte que trois millions de personnes peuvent largement faire tomber un gouvernement si elles ne se contentent pas de défiler de Bastille à République. Ce ne sont pas les syndicats réformistes qui pourront offrir ce genre de perspectives.

Libertad

Lire aussi : Mais que font les organisations anarchistes et le mouvement libertaire ?
Ecrit par libertad, à 21:37 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Patrick MIGNARD
08-04-06
à 21:44

Je partage tout à fait cette analyse.
Répondre à ce commentaire

  patrick83
09-04-06
à 08:19

Re:

tout à fait d'ac avec vous ! ! !
Répondre à ce commentaire

  caro
09-04-06
à 11:25

bravo !

J'ai bien failli tombé à la renverse à la lecture de cette analyse... tellement elle est criante de vérité :-)
Nous en sommes effectivement aux manifestations et à la grève par procuration, mais quel soutien ! quasi unanime !
Petit dialogue à la mission locale où je travaille (banlieue grenobloise), où pourtant les jeunes inscrits seront les premiers touchés par le CPE :
- ah oui, grève et manif le 4 avril ? C'est très important, il faut qu'il y ait du monde
- si c'est tellement important, pourquoi tu n'y vas pas ?
Les premières manifs, depuis février, nous n'étions que 2 conseillers sur 8. Celle du 4 notre effectif a crû de 50 %, nous étions 3...
Ce qui est réjouissant, c'est que les jeunes des "quartiers" participent de plus en plus et aux différents blocages aussi. Les "querelles" entre bandes sont oubliées, s'il y a de la casse en centre ville, c'est la BAC.
Peut être la lutte contre le CPE va-t-elle servir à la réconciliation et à la constitution d'une seule communauté : les jeunes ?

Répondre à ce commentaire

  MathiasDelfe
09-04-06
à 12:49



Je partage pleinement ton point de vue quant au fétiche de la grève générale et au fantasme du Grand soir purificateur (ne serait-ce que parce qu’un outil de pression aussi modeste qu’objectif comme le boycottage, qui pourrait être d’une efficacité redoutable tout en ne coûtant rien à celui qui l’utilise, n’est jamais sérieusement employé, par égoïsme, indifférence, paresse, désinvolture ou à cause de la difficulté que nous avons à renoncer à nos habitus, comme disait Bourdieu).

Autrement dit, pour ce qui concerne le cas présent, il suffirait que personne ne signe un CPE pour que les employeurs lui cherchent très rapidement un substitut plus favorable à l’employé (mais, hélas, ce boycott, comme la grève, restera virtuel pour la majorité, qui, tout en tonnant contre ce contrat léonin, conseillera tout de même à sa progéniture de le signer faute de mieux).

Je te suis moins lorsque tu évoques le caractère manipulateur des médias, non parce qu’il n’existerait pas, bien sûr, mais parce qu’il a clairement démontré ses limites l’année dernière à l’occasion du TCE ou encore dans son incapacité à « diaboliser » Le Pen.
S’il est sûr que les médias caressent encore l’illusion de « faire l’opinion », je suis quant à moi de plus en plus persuadé qu’ils n’influencent vraiment que les convaincus d’avance (ou les cons tout court, qui n’ont de toute façon jamais fait progresser qualitativement aucune société).

Le contrôle de l’information et la censure de l’époque concernant des médias de masse en nombre très restreint n’ont pas empêché Mai 68, la pluralité et l’effervescence de ce milieu aujourd’hui apparaît donc d’autant moins susceptible d’empêcher une quelconque prise de conscience de la situation historique… pour peu que tout un chacun le souhaite (contrairement à un fantasme très répandu chez les progressistes de tout poil, personne n’est obligé de regarder TF1 ou d’écouter RTL comme c’était plus ou moins le cas faute d’offre il y a trente-huit ans, personne non plus, dans un autre registre, n’est contraint de bouffer chez McDonald’s ou de se balader avec un téléphone portable-caméra-micro-ondes et bientôt douche incorporée).

C’est évidemment là où le bât blesse, dans cette dilution dans l’individualisme petit-bourgeois de la conscience de classe, dans ce goût généralisé, y compris chez tant de « révoltés », pour le confort « à l’américaine » qui fait qu’avec 200 000€ de crédits divers sur les reins, « on » ne peut effectivement pas se permettre un jour de grève (et encore moins une grève générale).
A défaut de prendre des risques, on pourrait ruser avec le système, profiter d’un arrêt-maladie pour aller à la manif ou poser une RTT pour s’éviter les embouteillages ou l’absence de transports en commun, mais même ça c’est encore trop de sacrifice personnel à une cause commune : on préfère que le patron nous sache au boulot que dans la rue et, finalement, on aime bien jouer les « otages » de temps en temps, ça casse la routine et pas question pour s'épargner ça de passer un jour de moins à Palavas au mois d'août.

Personne ne souhaite une révolution dans ce pays, le caractère diachronique plutôt que synchronique de la révolte des zonards puis de celle des jeunes gens éduqués est révélateur de la volonté inconsciente (une ruse de la Raison chère à Hegel ?) de ne pas soumettre le pouvoir politico-économique à une pression qui en révélerait toute la brutalité sans que l’on ait par ailleurs d’alternative crédible à lui opposer.
Tu as raison, avec trois millions de personnes motivées dans la rue, on peut faire tomber un gouvernement, remplacer Jaruselski par Walesa, Koutchma par Loutchenko, Villepin par Hollande. Une bonne affaire ?

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  detred
09-04-06
à 13:40

Re:

une meilleure affaire en tout cas

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  lanarko
09-04-06
à 14:14

Re:

"A défaut de prendre des risques, on pourrait ruser avec le système, profiter d’un arrêt-maladie pour aller à la manif"

Ca se fait, ça se fait... Personnellement, j'ai pris trois jours d'arrêts pour me mettre au courant de ce qui se passait dans la fac du coin et pour aider à organiser un peu les lycéens dont je m'occuppe. D'autre part, nous avons réussi, grâce à une grève à 100% parmis les surveillants, à provoquer la fermeture du lycée pour raison de sécurité. Ce qui a permis d'effacer l'argument financier pour ne pas aller manifester. C'est vrai que ce sont de bonnes pistes afin d'alléger le frein financier à la mobilisation. Toutefois, je ne pense pas que mon cas soit représentatif des salariés en général. En effet, j'ai très fortement l'impression qu'un imaginaire des conséquences d'une grève dans le privé est à l'oeuvre. Je m'explique : j'ai entendu plusieurs témoignages de la part de différents salariés du privé. Je leur ai demandé pourquoi ils ne faisaient pas la manif ? Parce que je taffe. Pourquoi tu ne fais pas grève alors ? Parce que je me fais virer si je fais ça. Si vous êtes suffisament nombreux à faire grève, ton patron pourra pas vous virer, pourquoi ne pas vous mobiliser ? Jamais les autres ne se bougeront !

Ce que l'on ressent, c'est que la destruction du lien social entre travailleurs n'est pas seulement intervenue sur une division entre le privé et le public ou entre entreprises, mais également au niveau interpersonnel, au sein de l'entreprise elle-même. De fait le salarié n'a pas "tendance" à avoir conscience de sa force potentiel en tant que partie d'une collectivité, même locale. Ce sentiment se sent plus profondément dans le privé, à mon avis parce que le public est à la fois plus syndiqué (enfin, bénéficie d'une présence syndicale plus forte et active) et surtout moins précarisé et plus protégé. La question de la résurrection du lien social entre travailleurs (ou conscience de classe d'une certaine manière) passe, à mon sens, par la création d'organes de solidarité dans le cadre de la lutte. Je pense particulièrement, dans le cadre qui nous intéresse, à la création de caisses de solidarité, afin d'assurer un soutient financier aux personnels en grève, et de permanence juridiques prud'hommales, afin de soutenir les salariés victime de licenciement pour faits de grève. Je m'attarde peut-être un beu beaucoup sur la grève. Mais je pense que l'action ne peut aller loin si les salariés ne sont pas libérés de la contrainte du salariat, au moins temporairement pour l'instant, car il va être hardu de combattre la précarité pour tous quand la précarité de chacun paralyse la mobilisation. Mais je reste d'accord que dans l'état actuel des choses, parler de grève générale est une stupidité sans nom.
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  fulup
09-04-06
à 14:19

complément d'enquete

L'analyse de Libertad est tres pertinente. Au-dela des actions actuelles, j'aimerai bien trouver l'analyse socio-économique suivante:-qui sont les étudiants dans le "mouvement" anti-cpe? leur origine de classe, leur cursus étudiant, à quel métiers se destinent-ils; Voilà des éléments de nature à éclairer toute analyse réelle me semble-t-il. Salut et fraternité.
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  Lanarko
09-04-06
à 14:46

Re: complément d'enquete

Concernant ce que j'ai constaté au niveau de la fac d'Evry (91) :

Première considération, la répartition sociale de la mobilisation étudiante ce base sur la population étudiante, qui sur-représente les classes moyennes et supérieures. Ainsi, on retrouve cette sur-représentation dans le mouvement. Avec des subtilités toutefois : les classes les plus défavorisées sont certes sous-représentées mais moins que ce à quoi on pourrait s'attendre quand on parle de la poilitisation des "jeunes de banlieus" notamment. D'autre part, une part importante du mouvement anti-blocage est issu des catégories sociales supérieures. Même si cela n'a rien de conscient, la lutte des classes est à l'oeuvre. Enfin, la majorité de la mobilisation "anti-cpe" (pour faire court) est issue des classes moyennes : ce qui comprend enfants d'ouvriers, employés de services, fonctionnaires. Autre chose, la mobilisation varie selon les facultés. Si les sciences humaines (sociologie et histoire en tête) sont à la pointe du mouvement "anti-cpe", les facultés de droit et d'économie mènent le mouvement anti-blocage (avec le soutient actif de certains profs de droit). Les facultés de sciences exactes m'ont apparues peu visible. Cela est dû potentiellement à mon positionnement personnel dans ces évènements et à mon réseau social personnel sur la fac. De fait, ces constations sont purement empiriques et ne relèvent pas d'une méthodologie sociologique (entretients, observatiuons, questionnaires,...) à proprement parler, la "méthode" utilisée se résumant à la discussion avec différents acteurs (à des niveaux plus ou moins importants).
Répondre à ce commentaire

  MathiasDelfe
09-04-06
à 14:57

Re: Re:



Le salarié en CDI du privé est soumis à la pression de la concurrence externe (les challengers) et interne (les CDD divers qui font le même boulot sans sécurité et pour moins cher). Dans ces conditions, sauf individus très politisés et protégés par des fonctions électives, il ne se bouge pour personne (et le CDD évidemment encore moins, avec toujours l’excuse en béton d’être en situation précaire).

Ouvrir les « chasses gardées » du public au secteur privé n’a pas d’autre but que d’égaliser vers le bas les deux secteurs dans un mano a mano permanent, et de juguler l’agitation sociale sous le slogan « Halte à la grève ! ou on marche ou on crève ! ».

Il va de soi (pour nous) que tout ceci n’est qu’une guerre psychologique, un rapport de force que les salariés unis pourraient inverser (ne doutons pas que Michelin, par exemple, satisferait aux revendications du personnel avant de faire faillite, et même s’il délocalisait toute sa production, le boycott de ses produits le ramènerait vite à la raison). Reste à convaincre producteurs et consommateurs de leur propre force de persuasion…

Répondre à ce commentaire

  MathiasDelfe
09-04-06
à 15:09

Re: Re: Re: A Lanarko (ainsi que le précédent post)



Ton enquête, pour empirique qu’elle soit, corrobore celles qu’on a pu lire récemment dans la presse. Les facultés de lettres sont réputées depuis longtemps pour être des fabriques de chômeurs et de songe-creux, pas étonnant qu’elle soient en pole position de la contestation.
Pas question de le leur reprocher, bien sûr, mais, tactiquement, il vaudrait mieux, pour espérer un changement qualitatif dans les rapports économiques et sociaux, que la remise en question du système vienne du centre même de sa gestation (Droit, Economie, Sciences-Po, Ena, Polytechnique, Hec, Centrale, etc..).

Répondre à ce commentaire

  libertad
09-04-06
à 17:13

Re: Re: Re: Re: A Lanarko (ainsi que le précédent post)

Mathias, pour te répondre sur le rôle des médias concernant la passivité de la grande majorité des salariés, tu cites l'exemple de Le Pen que les médias n'arriveraient pas à diaboliser, pourtant au 2ème tour de l'élection de 2002, ils y ont bien réussi ( je ne m'en plains pas bien sur ) mais je me souviens de la campagne médiatique énorme à ce moment là.
Quant au référendum sur l'Europe, c'est vrai que les gens n'ont pas suivi les consignes des médias mais c'est vrai aussi que l'on reste dans le système de la passivité, car déposer un bulletin "oui" ou "non", ça ne demande pas un gros effort ni un engagement à quoi que ce soit, ça rejoint le système du sondage, à part que tout le monde y participe.
On a d'ailleurs bien vu les suites : rien ! Contrairement à ce qu'espéraient certains, il n'est rien sorti de ce vote. Comment d'ailleurs aurait-il pu en être autrement?
C'est vrai aussi que les médias n'expliquent pas tout, quand La Boétie a écrit son bouquin, les médias n'existaient pas mais la servitude volontaire si.
Répondre à ce commentaire

  RB
09-04-06
à 17:25

Re:

Les salariés qui soutiennent le mouvement sans prendre de risque jouent pleinement la carte du passager clandestin: esperant tirer les avantages du mouvement sans se bouger, vu que dans les deux cas ils sont bien positionés, car à coté du patron dans les faits et de ceux qui contestent dans les idées.

Par contre je ne pense pas que l'engagement (ou plutot le non-engagement) vienne surtout d'une peur des représailles (d'un coté ou de l'autre, même si la peur vient surtout du patron), il s'agit surtout d'une excuse qui permet de jongler facilement avec les deux roles possibles (vu qu'avoir ces deux roles, c'est maximiser ses chances). C'est sur l'individualisme qu'il faut travailler: les fonds de solidarités peuvent marcher si ça permet d'acquérir une meilleure rémunération que celle intiale ;), mais je mise plutot sur une radicalité du mouvement qui rendrait les deux roles incompatibles. Mais bon je suis pas sur que le mouvement ait besoin de ces gens là non plus...
Répondre à ce commentaire

  MathiasDelfe
09-04-06
à 18:47

Re: Re: Re: Re: Re: Vaste débat (à Libertad)



La diabolisation de Le Pen était largement antérieure au premier tour, ce qui ne l’a pas empêché de se retrouver au second, où l’hystérie médiatique (il n’avait mathématiquement pas davantage de chance d’être élu que le TCE d’ouvrir la route du pays de cocagne) ne lui a pourtant pas fait perdre un électeur.

Toutefois, je t’accorde volontiers que la presse affolée a suffisamment angoissé le votant de gauche pour qu’il se jette dans les bras de Chirac (et la plupart des journalistes ont agi de même, qui ne sont pas, comme ils l’aimeraient tant, les maîtres à penser des masses dont ils sont issus, mais leur miroir).

Cela dit, jouer de son influence -ou espérer le faire- est caractéristique de tous les médias : la plupart des webzines ou des sites purement militants sont aussi, voire davantage, menteurs et manipulateurs que la presse « bourgeoise » où subsiste un certain pluralisme.
Il y a des gens qui ne croient pas un mot de tout ce qui se publie « officiellement », mais qui prennent pour du bronze tout ce que raconte le réseau Voltaire.
On peut se demander si cette attitude est vraiment plus lucide et raisonnable ?

 

Répondre à ce commentaire

  kiffinkos
10-04-06
à 10:01

Re: Re: Re: Re: Re: Re: Vaste débat (à Libertad)

"Et si la grande majorité des salariés refusent les grèves d'une journée, ce n'est pas parce qu'elles seraient inefficaces et qu'ils se lanceraient dans une grève générale si elle était "proclamée" par les syndicats mais simplement parce qu'ils refusent complètement de faire quoi que ce soit et que l'idée de perdre un peu d'argent pour faire grève leur est étrangère."
Je suis d'accord sur l'ensemble mais ce détail m'interpelle. J'entends souvent dire "je fais pas grêve pour ne pas perdre d'argent, ça débouche à rien et une journée c'est 80/100 euros de perdu..." mais ne pas travailler n'a jamais rien fait perdre, il ne fait simplement rien gagner (faible nuance qui à toute son importance). "Perdre", à la bouche des gens térrorifie extrèmement la suite de la phrase et pourtant, on ne peut pas perdre ce qu'on n'a pas fait ou que l'on ne fera pas ; on perd seulement ce qu'on l'on a déjà eu ou fait (on peut "perde un emploi" mais je ne voit pas comment peut-on "perdre une journée de travail" que l'on a pas accompli ?!).

Sur l'excuse "je risque d'être viré", dans le privé, ne tient pas toujours la route. L'artisanat en bâtiment et en alimentation ne suit pas en masse les mouvements de grêve et pourtant ils ont la sécurité de (re)trouver du travail facilement (si un patron "ose" virer un employé où il est sûr de ne pas avoir de remplaçant avant quelques temps). Alors, pourquoi ne suivent-ils pas ?

Quand à Le Pen, il est une victime, une victime de la diabolisation. On compatit facilement avec les victimes, alors pourquoi ne plus le diaboliser en ouvrant les yeux (il n'est "que" le représentant de 20% des votants et des quelques symphatisants ne votant pas pour lui).
Répondre à ce commentaire

  happy
10-04-06
à 10:45

 
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  Happy
10-04-06
à 10:48

"Voilà l'état de la combativité des salariés aujourd'hui : une minorité prête à se bouger, une majorité prête à ne surtout rien faire."

Ce n'est certes pas nouveau: pendant la 2ème guerre mondiale, il y avait une minorité de résistants, une minorité de collabos actifs, et une grande majorité de collabos passifs (par peur sans doute plus que par indécision).
Répondre à ce commentaire

  Anonyme
10-04-06
à 13:03

Re:

Je dis ça un peu au pif , mais il faudrait se demander si parmi tous les travailleurs qui ne font pas grève, ou la font à reculons, il n'y a en a pas de plus en plus qui agissent ainsi parce qu'ils en ont marre des grèves qui ne servent à rien

S'il y avait des syndicats -voeu pieux - désireux de faire une grève offensive, dure et avec des grosses revendications, il y aurait peut-etre plus de grèvistes que l'on ne pourrait le penser.   

 
Répondre à ce commentaire

  Vania
10-04-06
à 23:30

Re: Re:

Pas con du tout cette remarque. Pour caricaturer un peu le trait, revoyez l'attitude de Souvarine dans Germinal de Zola: non-participation à un mouvement sacrificiel qui est certain de finir en eau de boudin.

Pour revenir sur la question de la gauche au pouvoir (remarque de Detred): c'est vrai que c'est une "un peu moins mauvaise affaire" que la droite. L'emmerdement, c'est que la politique de la gauche institutionnelle, au lieu d'être un premier pas vers un véritable socialisme/communisme/anarchisme (rayez la mention inutile au gré de vos idéaux), débouche toujours sur une désillusion qui ramène la droite au pouvoir. Et pire! Les socialos, voyant venir le coup, anticipent toujours en voulant se montrer un plus droitier. Résultats: les gauchos sont déçus et les droitiers préfèrant toujours l'original à la copie votent comme d'habitude à droite. C'est en constatant cela que l'autre abruti de Villiers séduit les gens en dénonçant le "système UMPS". Et c'est idem avec Le Pen père & fille ("tous pourris", "ni gauche ni droite français", etc.). Conclusion, l'extrème droite enfle, la droite se maintient, le PS vire à droite, le PCF -décimé- s'écartèle, et l'extrème gauche progresse un (tout petit) peu.

Dans ce tableau un peu pré-apocalyptique, le monde syndical, vieillissant, décroissant, et pourtant plus "installé" que jamais, est aussi écartelé. Le système s'ultra-libéralisant, leur rôle se réduit, mais ils sont intrinsèquement coupé de ce qui reste de leur base. A l'image des orgas de gauche et/ou révolutionnaire, quelques jeunes mouvances progressent un peu, puis stagnent (SUD, Les Verts, LCR, CNT Vignolles, etc., chacun à leur mesure). On s'égare à culpabiliser les gens sur leur mode de vie, on développe de plus en plus de chapelles communautaristes ou identitaires (vous verrez qu'un jour "l'association des non-ghandicapés, etc." de Desproges finira par exister vraiment!). Mais la méthode pour donner l'impulsion vers un "autre monde" (avec tout le monde), personne ne la trouve (anars et moi-même compris), à tel point qu'on se demande si la situation ne doit pas encore moisir pendant des lustres avant qu'un quelconque mouvement ait la maturité et l'envergure nécessaire pour redonner enfin un sens moins inique à l'Histoire.

On est en 2006 et l'atmosphère est toujours très "fin de siècle". Ne rien faire ne mène à rien, mais on peut faire énormément sans que ça mène à grand chose. Moralité: à moins d'être passionné par la politique, il y a toutes les raisons du monde pour finir par se foutre de tout et pester de temps en temps dans son coin, quand on peut plus faire semblant de sourire.

A moins d'être très nombreux à vouloir la fin de la Démocratire représentative, et à s'accorder sur autre chose, cet état de fait ne changera pas et toutes les grêves finiront en eau de boudin.

Répondre à ce commentaire

  libertad
10-04-06
à 23:51

Re: Re: Re:

Vania, j'entend ce discours tous les matins à la pause café, c'est celui de 80% des salariés qui ne font rien pour se bouger et critiquent tout très radicalement puis s'en retrournent à leur poste tranquillement.
Avoir tellement conscience de tout et considérer qu'au fond on y peut rien, voilà comme le système aime les gens : la démocatie... "c'est cause toujours !"
A part que là environs 15-20% des salariés ( en étant optimiste ) ont fait grève et on obtenu le retrait du CPE et que 80% n'ont rien fait... puisque les grèves tournent toujours en eau de boudin !
Répondre à ce commentaire

  detred
10-04-06
à 23:51

Re: Re: Re:

c vrai que plus la vieille rose fanée et  plus le fumier droitier qui l'a fait naitre (je sais ke t'aimes desproges) continueront leur mascarade de connard pour niker tous nos rêves politiques, et bien + la population rabattera ses espoirs de bonheur ailleurs (boulot, vie familiale, voyages, etc...), tapant leur 35 heures en la fermant, bien content de rentrer chez eux auprès des gens qu'elle aime vraiment (elle= la population, tjs)

que les gens se dégoutent de la politique, vu ce que cette dernière nous trimballe, est tout à fait normale, le contraire serait même affreusement étonnant de masochisme

mais de là germe une idée : est ce que le désinteret de la populasse (qui n'est biensur pas confirmer à 100%, mais ya de + en + d'abstention par exemple) ne serait pas finalement la mort de la vie politique actuelle ? celle de no chèrs zhommes qui nous gouvernent depuis trop longtemps? idée à creuser, qu'en pensez-vous?

Ou inversement, est ce que le désinteret promettrai quelques conneries aux élections, par manque d'esprit critique (exemple sarkosy président?)

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  Vania
11-04-06
à 11:08

Re: Re: Re: Re:

Libertad, contrairement à ce qu'il semble ressortir de mes propos, j'ai participé au mouvement. Mais nous n'avons rien gagné. Pour preuve: le CPE retiré, la situation est exactement celle que nous connaissions avant. Alors, plutôt qu'une victoire, disons qu'on n'a rien perdu. On a juste réussi à éviter pire que ce que nous vivions déjà, à l'image d'un sidéen sous trithérapie. Cette précision relativise quand même l'enthousiasme, non?

Enfin, le problème fondamental, c'est pas le CPE, c'est le système économique. Et lui, il n'a pas du tout changé.

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  Anonyme
13-04-06
à 11:34

Je suis d'accord pour dire que la grève générale est un mythe peu réalisable aujourd'hui, mais je ne suis pas persuadé que les opérations de blocage (sauf les blocages de facs) aient été très efficaces, si ce n'est pour distribuer des tracts à une population déjà 'conquise'...
Un des problèmes principaux à mon avis, c'est qu'une grève part d'une contestation et qu'il est très dur d'introduire dans le mouvement des perspectives disons "constructives" (si on admet que la contestation veut une "destruction"). A mon avis, il faut le plus tôt possible organiser et créer quelque chose de parallèle (au plan économique et organisation générale). Cela apporte l'avantage de la propagande par le fait et surtout de souder un peu plus le mouvement dans ses relations et la durée, tout en favorisant/apportant ces perspectives. Rennes était bien parti jusque là avec le village place du parlement, etcetera.
j'espère maintenant que débarrassé du mensonge médiatique sur le CPE, le mouvement va repartir de plus belle :)
2 mois de grève et blocage pour seulement un article de loi remplacé ? si c'est le prix à payer, il faudrait 10 générations pour déconstruire toute cette belle merde. du coup il faut continuer tout de suite, sinon il en faudra 100...
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