Joueb.com
Envie de créer un weblog ? |
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web. |
C'est en solidarité pleine et sans réserve aucune que nous saluons le profond mouvement social qui s'est installé en Guadeloupe, puis en Martinique, et qui tend à se répandre à la Guyane et à la Réunion. Aucune de nos revendications n'est illégitime. Aucune n'est irrationnelle en soi, et surtout pas plus démesurée que les rouages du système auquel elle se confronte. Aucune ne saurait donc être négligée dans ce qu'elle représente, ni dans ce qu'elle implique en relation avec l'ensemble des autres revendications. Car la force de ce mouvement est d'avoir su organiser sur une même base ce qui jusqu'alors s'était vu disjoint, voire isolé dans la cécité catégorielle –– à savoir les luttes jusqu'alors inaudibles dans les administrations, les hôpitaux, les établissements scolaires, les entreprises, les collectivités territoriales, tout le monde associatif, toutes les professions artisanales ou libérales...
Mais le plus important est que la dynamique du Lyannaj – qui est d'allier et de rallier, de lier relier et relayer tout ce qui se trouvait désolidarisé – est que la souffrance réelle du plus grand nombre (confrontée à un délire de concentrations économiques, d'ententes et de profits) rejoint des aspirations diffuses, encore inexprimables mais bien réelles, chez les jeunes, les grandes personnes, oubliés, invisibles et autres souffrants indéchiffrables de nos sociétés. La plupart de ceux qui y défilent en masse découvrent (ou recommencent à se souvenir) que l'on peut saisir l'impossible au collet, ou enlever le trône de notre renoncement à la fatalité.
GRÈVE LÉGITIME
Cette grève est donc plus que légitime, et plus que bienfaisante, et
ceux qui défaillent, temporisent, tergiversent, faillissent à lui
porter des réponses décentes, se rapetissent et se condamnent.
Dès lors, derrière le prosaïque du "pouvoir d'achat" ou du "panier de
la ménagère", se profile l'essentiel qui nous manque et qui donne du
sens à l'existence, à savoir : le poétique. Toute vie humaine un peu
équilibrée s'articule entre, d'un côté, les nécessités immédiates du
boire-survivre-manger (en clair : le prosaïque) ; et, de l'autre,
l'aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de
dignité, d'honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de
lectures, de philosophie, de spiritualité, d'amour, de temps libre
affecté à l'accomplissement du grand désir intime (en clair : le
poétique). Comme le propose Edgar Morin,
le vivre-pour-vivre, tout comme le vivre-pour-soi n'ouvrent à aucune
plénitude sans le donner-à-vivre à ce que nous aimons, à ceux que nous
aimons, aux impossibles et aux dépassements auxquels nous aspirons.
La "hausse des prix" ou "la vie chère" ne sont pas de petits
diables-ziguidi qui surgissent devant nous en cruauté spontanée, ou de
la seule cuisse de quelques purs békés. Ce sont les résultantes d'une
dentition de système où règne le dogme du libéralisme économique. Ce
dernier s'est emparé de la planète, il pèse sur la totalité des
peuples, et il préside dans tous les imaginaires – non à une épuration
ethnique, mais bien à une sorte "d'épuration éthique 1" (entendre :
désenchantement, désacralisation, désymbolisation, déconstruction même)
de tout le fait humain. Ce système a confiné nos existences dans des
individuations égoïstes qui vous suppriment tout horizon et vous
condamnent à deux misères profondes : être "consommateur" ou bien être
"producteur". Le consommateur ne travaillant que pour consommer ce que
produit sa force de travail devenue marchandise ; et le producteur
réduisant sa production à l'unique perspective de profits sans limites
pour des consommations fantasmées sans limites. L'ensemble ouvre à
cette socialisation anti-sociale, dont parlait André Gorz,
et où l'économique devient ainsi sa propre finalité et déserte tout le
reste. Alors, quand le "prosaïque" n'ouvre pas aux élévations du
" poétique ", quand il devient sa propre finalité et se consume ainsi,
nous avons tendance à croire que les aspirations de notre vie, et son
besoin de sens, peuvent se loger dans ces codes-barres que sont "le
pouvoir d'achat" ou "le panier de la ménagère". Et pire : nous
finissons par penser que la gestion vertueuse des misères les plus
intolérables relève d'une politique humaine ou progressiste. Il est
donc urgent d'escorter les "produits de premières nécessités", d'une
autre catégorie de denrées ou de facteurs qui relèveraient résolument
d'une "haute nécessité".
Par cette idée de "haute nécessité", nous
appelons à prendre conscience du poétique déjà en œuvre dans un
mouvement qui, au-delà du pouvoir d'achat, relève d'une exigence
existentielle réelle, d'un appel très profond au plus noble de la vie.
Lire la suite sur lemonde.fr