Joueb.com
Envie de créer un weblog ? |
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web. |
Comment maniez-vous le concept de Juif, celui d’Israélien ?
Shlomo Sand Je suis
très israélien. Je suis d’origine juive. Le capital symbolique que j’ai
n’est pas européen, il est surtout israélien. Les premiers mots d’amour
que j’ai prononcés étaient en hébreu ! Il est intéressant de constater
que le sionisme ne reconnaît pas de peuple israélien. Il continue de
parler de « peuple juif ». Donc, ni le nationalisme arabe ni le
sionisme ne reconnaissent le fait qu’au Proche-Orient est née une
société, une culture et même, on peut dire, un peuple nouveau, qui
parle une langue. Pourtant, il n’y a pas un cinéma juif mais un cinéma
israélien. Il n’y a pas un théâtre juif mais un théâtre yiddish. Il n’y
a pas de littérature juive mais une littérature israélienne. Pourquoi
le sionisme se comporte-t-il tellement mal vis-à-vis de sa propre
création ? Pour le sionisme, de gauche comme de droite, la société
israélienne est une branche du peuple juif. Pour le nationalisme arabe
c’est aussi une branche d’une invasion juive au Proche-Orient. C’est le
même concept, qui ne veut pas reconnaître les faits. C’est ainsi que
j’ai commencé à toucher à la légitimation historique de la colonisation
sioniste. L’acte de propriété du sionisme sur la terre de Palestine,
c’est la Bible.
Après
avoir expliqué ce qu’est un peuple, ce qu’est une nation, en théorie,
le premier chapitre du livre est sur la Bible. Là, je m’appuie sur les
travaux des archéologues israéliens, même sionistes. Ils ont mis en
exergue la différence entre les découvertes archéologiques et les
récits bibliques. Mais pour moi, ils n’allaient pas assez loin. Par
exemple, la sortie d’Égypte n’a pas eu lieu. Pourtant, j’étais persuadé
que c’était un fait historique. La Bible comme livre historique était
décomposée. J’ai commencé à chercher à quel moment la Bible est devenue
un livre historique.
D’abord parce que trois catégories, dans l’histoire, ont vraiment
lu la Bible. Ce ne sont pas du tout les Juifs. Ce sont les karaïtes
(mouvement juif scripturaire remettant en cause le monopole des sages
d’Israël en matière d’exégèse biblique - NDLR), les protestants et les
sionistes. La vraie Bible de la foi était le Talmud. Je montre donc
comment dans l’historiographie du XIXe siècle, qui commence à se
cristalliser autour de l’idée nationale juive, le premier modèle c’est
l’idée nationale allemande. Une idée nationale qui n’est pas
républicaine, qui n’est pas civique, qui s’appuie sur la notion « d’où
on vient » et non pas sur « où on va » comme l’idée nationale en France
ou aux États-Unis.
C’est ainsi qu’a été créée une histoire linéaire, complètement
imaginaire, qui commence avec la Bible. C’est pourquoi je dis qu’elle
sert d’acte de propriété pour le sionisme. L’idée très importante et
d’une incroyable richesse littéraire est que cette ligne idéologique
n’est pas du tout historique. Exactement comme l’Odyssée d’Homère n’est
pas un livre historique mais qui contient des récits historiques. C’est
un livre légendaire, fantastique, poétique, comme la Bible. Le sionisme
(et même le pré-sionisme), qui commence avec l’idée nationale juive,
forge la Bible et prend le Livre comme le début d’un long récit :
l’histoire du peuple d’Israël. Je montre que c’est une légende et qu’on
voit déjà cela dans l’écriture biblique qui apparaît beaucoup plus tard
que l’histoire qu’on raconte. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’il
existait un monothéisme juif dans la région avant la destruction du
deuxième temple, avant la destruction du royaume de Judée. Il y a
beaucoup d’archéologues qui pensent qu’il n’a jamais existé un grand
royaume d’Israël. Il y avait autrefois un petit royaume d’Israël et un
petit royaume de Judée. Je suis allé beaucoup plus loin en m’appuyant
sur les chercheurs non israéliens. Ils montrent que la Bible est un
simple écrit mobilisateur pour créer un peuple élu de dieu.
Vous vous attachez ensuite à la notion d’exil ?
Shlomo Sand
C’est la base de toutes les croyances nationales en Israël. Et pas
seulement en Israël. J’imagine que beaucoup de communistes en France
utilisent le terme de « diaspora ». Chaque enfant en Israël sait qu’en
70 après J.-C., Titus a exilé le peuple juif. Je suis allé à la
bibliothèque pour consulter des livres sur l’Exil. L’Exil, c’est un
élément fondateur de l’histoire des Juifs, non ? Pouvez-vous imaginer
qu’il n’existe même pas un seul livre de recherches sur l’Exil ? Les
spécialistes savent donc qu’il n’y a pas eu d’exil, mais le peuple doit
apprendre qu’il y a eu Exil ! S’il n’y a pas eu exil, qu’est-ce qu’on
fait là-bas, en Palestine ? Donc, j’ai cherché à savoir le destin de
ces Juifs qui n’étaient pas partis en exil. Il s’est passé quelque
chose. À ma grande surprise je me suis aperçu que Ben Gourion, grand
sioniste, a cru jusqu’à la fin des années 1920 que les vrais
descendants des « Judéens » (un terme que j’emploie dans le livre),
sont les paysans palestiniens qui n’ont jamais quitté le pays. Il y a
des élites qui ont émigré. Mais, comme toujours dans l’histoire, les
larges couches de producteurs de nourriture ne sont pas parties.
Surtout qu’ils n’étaient ni pêcheurs ni commerçants. Je ne pense
pas que les Palestiniens soient les vrais descendants, la région ayant
été le lieu de passage de tant de conquérants, on peut penser que
chacun a laissé sa trace biologique. Les Palestiniens sont un peuple
mélangé exactement comme tous les autres peuples dans le monde. Si les
Juifs n’étaient pas exilés, où vivaient-ils ? Je n’avais pas fait
attention que le royaume de Judée a fait se convertir, par la force,
tous les peuples autour. Au début avec l’épée, comme chaque religion,
et ensuite avec les convictions. Le judaïsme est prosélyte jusqu’à la
victoire du christianisme. Ensuite, il devient une religion fermée sur
elle-même. J’ai trouvé de plus en plus de traces de ce prosélytisme.
Pas seulement chez les Berbères, qui ont été judaïsés. Mais vous savez,
je n’ai rien découvert historiquement. J’ai tiré des choses qui avaient
été glissées sous le tapis, qui avaient été poussées vers les marges
pour constituer un récit linéaire national. J’ai organisé différemment,
et une autre histoire des Juifs est sortie, complètement antiraciste.
Le Juif n’est pas une essence. C’est une grande religion. On ne peut
pas comprendre les cultures du monde occidental (au sens « non
asiatique ») sans le judaïsme, sans la présence de la religion juive.
Mais le judaïsme n’a jamais été un peuple, toujours une religion
prosélyte. Je pense que l’origine de 80 % des Juifs au XXe siècle est
de l’Europe de l’Est. Ils sont plutôt khazars et slaves. Donc l’origine
du judaïsme est plurielle.
Au bout du compte, si l’on parle d’Israël depuis 1948, quelle est la signification de vos recherches ?
Shlomo Sand Ma
thèse, qui montre que les Juifs sont pluriels avec une incroyable
richesse des origines, est contradictoire avec la politique identitaire
en Israël. En Israël, nous avons un régime profondément non
démocratique parce que c’est un régime qui ne cherche pas à servir la
société mais l’ethnie juive dans le monde, c’est-à-dire ce n’est pas un
État des Israéliens. On ne dit pas Israël appartient aux Israéliens.
Pas du tout. Il appartient à Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy
plus qu’à mon collègue de l’université qui est originaire de Nazareth.
Cette contradiction profonde de la citoyenneté israélienne va le faire
éclater et c’est en contradiction avec toutes les raisons historiques
que j’ai avancées dans mon livre. En Israël, souligner que Juif est une
ethnie définit un État qui n’est pas « démocratique » mais
« ethnocratique ». Mais BHL et Finkielkraut ne veulent pas vivre sous
la souveraineté juive.
C’est donc un État qui a beaucoup de problèmes, qui occupe un
autre peuple sans aucun droit, se définit comme un État qui ne sert pas
ses propres citoyens. C’est contradictoire avec la vision historique
que j’ai avancée. L’idée d’ethnie est une idée complètement légendaire.
Je me suis révolté comme historien mais aussi comme citoyen et comme un
homme qui s’est impliqué dans la politique. Je veux « désioniser » la
société israélienne. Mais, et j’insiste, comme projet politique,
j’adopte toujours l’idée de deux États mais pas pour deux peuples. Deux
États pour deux sociétés. J’accepte l’hégémonie de culture
judéo-israélienne mais je n’accepte pas son exclusivité. Je ne crois
pas qu’on puisse proposer aux Juifs israéliens de devenir, du jour au
lendemain, une minorité.
Il faut qu’Israël se retire de tous les territoires occupés. Mais
je souligne à la fin du livre que le jour où il y aura une paix sur les
frontières de 1967, le vrai cauchemar va naître : que les jeunes
palestino-israéliens en finissent avec cette crainte apparue avec la
Nakba chez plusieurs générations de Palestiniens et qui leur fait
refuser de vivre dans un État qui n’est pas leur propre État. Ils n’ont
pas été invités dans cet État comme des immigrés. Ils étaient là avant
nous. Ils ont le droit de vote, ils sont des citoyens, mais sur le
niveau mental, symbolique, juridique, ce n’est pas leur État. En
Espagne, personne ne va dire que l’État appartient aux Castillans. En
Grande-Bretagne, il n’y a pas un fou qui va dire qu’elle appartient aux
Anglais. Mais en Israël, c’est ça la réalité. Le Centre dit que l’État
n’appartient pas à ses citoyens mais à la couche dominante
linguisto-culturelle qui s’appelle « Juif ». Après mon livre, on ne
sait peut-être pas très bien ce qu’est être juif. Mais en Israël on
sait très bien : ça veut dire ne pas être arabe. C’est catastrophique.
Cela peut transformer la Galilée en un Kosovo. La politique sioniste
consiste à dire et à répéter que l’État d’Israël n’est pas un État des
citoyens israéliens puisque c’est l’État des Juifs.
Comment en sortir alors que tous les partis en Israël sont des partis sionistes ou des partis arabes, à l’exception notoire du Parti communiste ?
Shlomo Sand Nous assistons à un phénomène qui dure depuis trop longtemps. Il y a des partis de gauche arabes, des partis de gauche juifs. C’est à partir de 1965 et la scission du Parti communiste qu’on a fait le constat qu’on ne peut pas créer un grand parti politique de masse qui est composé de Juifs et d’Arabes. La raison principale est que la gauche dominante a toujours été sioniste et a donc insisté pour que l’État d’Israël soit juif. Malheureusement, il y a aussi des mythes de l’autre côté, c’est-à-dire dans le camp arabe. C’est difficile pour moi de le dire, parce que je suis privilégié, parce que je suis juif dans l’État d’Israël. Mais tant qu’il existera cet oxymore développé par les leaders israélo-palestiniens ou arabes qui reconnaissent l’État d’Israël et demandent en même temps le droit au retour des réfugiés palestiniens, on ne pourra pas créer un grand mouvement de gauche, exactement de la même manière que tant que persistera cet oxymore qu’un État juif peut être démocratique. Il faut faire un grand travail pour décomposer les mythes. Il y a une jeunesse israélienne qui a voté dernièrement pour un candidat qui, comme tout le monde le savait, n’était pas sioniste, c’était le candidat communiste, député, Dov Khenin. C’est la première fois en Israël qu’un candidat à la mairie de Tel-Aviv, non sioniste, recueille 34 % des suffrages. Comme disait Gramsci, il faut « avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ». J’ai écrit ce livre avec un grand pessimisme, mais avec une volonté forte de changer.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey
(1) Comment le peuple juif fut inventé. Éditions Fayard, 446 pages, 23 euros.
Commentaires :
Yoj |
"Comment le peuple juif fût inventé", il faut le lire !Le livre de Shlomo Sand est pertinent, tout d'abords parce que la première partie est une vouée à la fois à la définition du (des) nationalisme(s) en Europe (particulièrement), mais aussi à l'histoire de ces formes nationalistes (ethniques et civiques), le sionisme en étant une des formes. Ensuite, les chapitres suivants sont l'occasion pour le lecteur de dépasser les stéréotypes raciaux qui nous sont infligés par le sens commun (école/médias/mythes populaires). On y découvre le prosélytisme juif qui contraste avec le mythe de la race juif en exil. Ainsi, Shlomo nous apprend l'existence de la treizième tribus de Kazarie (je ne suis plus sûr de l'orthographe) dont il nous dit qu'elle est née du prosélytisme et qu'elle fût sûrement la plus grande de toutes (VIe ou VIIe siècle), il cite là un auteur israélien qui a écrit sur ce même sujet : Arthur Koestler, "La treizième tribu" en attente de réédition. (sinon Jacques Sapir a coécrit un livre sur le même sujet, cité lui aussi dans le livre de Shlomo, euh je crois...). Pour compléter l'article de l'huma on peut trouver dans les archives du Monde Diplo un texte que Shlomo Sand avait écrit à l'occasion de la sortie de son livre (à chercher dans les archives du site). A lire absolument, donc, une
histoire de l'histoire qui nous permet d'ouvrir les yeux sur notre
propre aveuglement. Répondre à ce commentaire
|
libertad 15-04-09
à 15:41 |
Re:Le livre est passionnant et démonte complètement l'idéologie sioniste, reposant sur le mythe de l'exode du peuple juif qui n'a aucune base historique ni archéologique. Les juifs de la diaspora étant en fait des juifs convertis à un moment ou l'autre de l'histoire. Les juifs qui viennent donc s'installer en Palestine n'ont aucun lien, sinon religieux avec ce territoire, alors que les descendants des juifs "historiques", les palestiniens actuels, se sont convertis à l'islam lors de l'invasion arabe ( c'était un moyen de ne pas payer d'impot ). Répondre à ce commentaire
|
à 15:31