Il y a une attitude et un sentiment encore plus grave et dangereuse, après un conflit, que l’amertume et l’abattement, c’est le déni.
Savoir que l’on a été battu peut-être la source d’un sursaut, d’une prise de conscience, d’une révision de l’attitude qui a conduit à l’échec. Le déni, lui, c’est l’aveuglement et la persistance dans l’erreur. C’est la démission non seulement au moment de la lutte mais le refus de reconnaître la réalité après… s’interdisant ainsi de tirer les leçons de l’échec, stérilisant toute possibilité future de victoire.
UN
ECHEC BIEN PREPARE
Sur
la question des « régimes spéciaux », il faut être clair : le
gouvernement n’a rien cédé. Le chef du gouvernement parle d’un « tournant
historique »,… il a raison.
Sont
remises totalement en question les dispositions socialement progressistes qui faisaient
bénéficier certains salariés de régimes de retraites avantageux.
Jamais,
à aucun moment, nous n’avons entendu des responsables nationaux syndicaux,
(sauf SUD à propos de la pénibilité de certaines professions…), à fortiori
politique, demander un alignement de tous les régimes de retraites sur les
régimes les plus avantageux… et en appeler sur ce thème à l’opinion
publique. Ce « terrain idéologique » a été exclusivement laissé au
Gouvernement… et qui s’en est donné à cœur joie.
Pourquoi ?
Probablement
pour deux raisons :
- ils,
les syndicats, savaient dès le début que le Gouvernement ne lâcherait
pas ;
- ils,
toujours les syndicats, ont un mode de raisonnement comptable et gestionnaire
identique à celui des gestionnaires du capital : il faut réformer le
système des retraites dans le sens de la rentabilisation.
Bien
sûr, ils ne l’avoueront jamais, ils ne peuvent pas le reconnaître au risque de
se déconsidérer définitivement.
Pourquoi
alors cette comédie ? Il n’y a pas eu certainement concertation, mais
assurément complicité objective :
- le
Gouvernement voulait passer à tout prix – avant la grande réforme des retraites
de 2008 où l’on passera de 40 annuités à 41… pour le moment…- mais en
sauvegardant une attitude dite « positive »… d’où ces appels
incessants, indécents et cyniques au « dialogue » alors qu’il ne
lâchait rien, et n’a rien lâché ;
- les
syndicats ne pouvaient pas « laisser passer »… au regard de leur base
c’était une attitude impossible à tenir. Il fallait sauver les apparences.
LA
PROIE ET L’OMBRE
Les
organisations syndicales ont lâché la proie pour l’ombre. La
proie, c’étaient les acquis sociaux dits : « régimes spéciaux ».
Ce sont eux qu’elles avaient pour mission de défendre, et s’étaient engager à
défendre. C’était d’ailleurs cela, et uniquement cela, qu’attendait, et pour
laquelle luttait, la base salariée.
Le
Gouvernement a décidé de revenir sur ces acquis au lieu de les étendre, ce qui
est parfaitement possible, à l’ensemble des salarié-e-s. Ferme sur le principe, et ne voulant pas
ridiculiser les syndicats dont il a besoin pour maintenir la paix sociale, il a
lâché quelques miettes : des avantages financiers pour les salariés déjà
embauchés et quelques aménagements qui passeront plus tard à la trappe. Le
principe lui a été maintenu et rien ne l’a fait fléchir.
Certains
diront : « il vaut mieux cela que rien ». Soit, mais
alors disons le clairement, ne jouons pas sur les mots. Disons que l’on a lâché
sur l’essentiel pour se contenter de l’accessoire, ce que le
Gouvernement a bien voulu concéder. Ne faisons pas croire qu’il y a une
victoire.
La
défaite n’est d’ailleurs pas seulement celle des salariés qui ont lutté, c’est
une défaite de l’ensemble des salarié-e-s. C’est une défaite qui sonne le
glas d’une lutte générale des salarié-e-s pour la réduction du temps d’activité
professionnelle et l’amélioration des conditions de vie. Les syndicats se sont
d’ailleurs toujours refusés à faire de cette lutte un exemple, ce qu’elle est incontestablement.
Pourquoi ?
Ce
recul qui se veut tactique n’est en fait qu’une authentique défaite stratégique
pour tous les salarié-e-s. On sauve petitement quelques avantages financiers
pour les présents, mais l’on sacrifie les générations futures, celles et ceux
qui arriveront plus tard sur le « marché du travail »… car on a mis
le « doigt dans l’engrenage », le système ne va pas en rester là.
Les
directions syndicales font miroiter à leur base la « possible
remobilisation »…
Mais
de quoi s’agit-il au juste ? D’être vigilant !
Mais
vigilant à quoi ? Aux
négociations ?
Mais
chacun sait que les négociations ne vont pas porter sur le principe, objet au
départ de la lutte, mais seulement sur les miettes qu’est prêt à accorder le Gouvernement
pour justement faire de l’élimination de ce principe la règle générale applicable
à tous : l’allongement de la durée du temps de travail.
Autrement
dit, toute cette tactique n’est qu’un leurre pour faire « passer la
pilule ».
POURQUOI
CE DENI ?
On
est généralement en situation de déni, lorsque la réalité est trop difficile à
supporter, ou à faire supporter et/ou lorsque ce qui se passe est inavouable.
On
assiste à la fois à un déni syndical et à un déni gouvernemental, qui ne sont
tout de même pas de même nature.
Coté
syndical : si les syndicats veulent montrer leur utilité il faut qu’ils
apparaissent comme offensif,… et qu’ils obtiennent satisfaction, surtout quand
ils ont affirmé poussé par leur base que « ce n’était pas négociable ».
L’expérience
a montré que leur position était intenable… Ca c’est inavouable. Il faut donc
tricher avec la réalité : à la fois montrer sa force (la grève) et cacher
sa faiblesse (on négocie le couteau sous la gorge). La subtilité finale
consistant à dire : « Le gouvernement a été contraint sous la
pression à négocier »… Ce qui n’est évidemment pas la vérité.
D’ailleurs une grande partie de la base n’est pas dupe, même si elle ne le dit
pas… n’ayant pas d’autre alternative.
Côté
gouvernemental : l’exercice est moins difficile. Le Gouvernement et le
patronat ne veulent cependant (différence avec la stratégie
« thatchérienne ») faire perdre la face aux syndicats. Ceux-ci
doivent demeurer des relais capables de canaliser la colère de la base et
d’être les seuls interlocuteurs à qui on cèdera, pour la forme, quelques
miettes… Stratégie qui a toujours bien marché.
La
vie syndicale, comme d’ailleurs la vie politique n’est ainsi faite que de faux
semblants, d’attitudes ambiguës qui ne disent jamais ce qu’elles sont et qui
apparaissent comme on voudrait qu’elles apparaissent.
Tout
est faux dans ce que nous voyons au Parlement, à la télévision, … On nous fait
jouer un pièce dont nous sentons bien qu’il y a « quelque chose qui
cloche », mais dont ne sait ni qui est le scénariste, ni le metteur en
scène, … et dont ne savons plus très bien quel pourrait être le dénouement.
Le
citoyen n’existe plus, nous ne sommes que des acteurs manipulés et pour
supporter cette situation nous nous affublons d’un masque qui nous trompe
lorsque nous nous regardons dans une glace et qui déroute notre voisin lui-même
victime de son masque.
Bas
les masques !
Patrick
MIGNARD
28 novembre 2007
Voir
aussi :
« ILS
NE CEDERONT PLUS RIEN ! »
« NEGOCIER,
MAIS NEGOCIER QUOI ? »
« LES
LIQUIDATEURS »