Vendredi 23 décembre 2005. 18h25, sur l’avenue des Champs Elysées. Une grosse trentaine de personnes ne consomment pas, n’attendent pas dans la queue d’un cinéma, mais discutent paisiblement. En moins de cinq minutes, le groupe se retrouve plus d’une centaine, dont certains avec appareils photo ou caméras… Retrouvailles, joyeux brouhaha, réponses furtives et évasives à des journalistes trop impatients… Et les rangs continuent à se grossir. Soudain, le signal est donné par l’un des barbouilleurs. De l’angle de la rue Washington où avait été donné le rendez vous à la dernière minute, nous nous déplaçons à l’ange de la rue de Berry. Là, trois panneaux déroulants lumineux, aux publicités criardes et indécentes, nous narguent… pas pour longtemps!
Le barbouillage commence6 barbouilleurs et 2 barbouilleuses passent à l’acte . Tabourets, escabots, aérosols de peinture s’échangent joyeusement, avec calme et sourire, sous les yeux de l’assistance partisane. Le lieu est idéal avec un large trottoir et les badauds ne peuvent pas rater le spectacle…
Nos barbouilleuses et barbouilleurs inscrivent 3 messages en noir, en rouge, en vert, en violet :
« Halte au matraquage »,
« Fétichisme de la marchandise » et
« Pollution mentale ».
Ces inscriptions s’agrémenteront de « 50 par 70 », de « légitime réponse », de fleurs, et surlignures joyeuses… pour faire durer le plaisir ?
La tribune publiqueAu même moment, les discours improvisés se succèdent déjà, dénonçant les aspects du système publicitaire ou proposant la taille de 50cm par 70cm comme taille maximale d’affichage en France. Des badauds s'arrêtent, posent des questions, lancent des encouragements.
Dans l’ensemble, tout se passe très bien. Ayons l’honnêteté de signaler un incident minime, mais qui est important quant à l’approche militante au sens large. Une prise de parole un peu sauvage, intempestive et un peu hors sujet d’un spectateur fut recadrée de manière quelque peu directive et vive. Rappelons que le collectif des déboulonneurs a convenu qu’il ne fera ni ne laissera dire et faire n’importe quoi. La tribune offerte ne l’est que pour un sujet précis : la lutte antipublicitaire. Même s’il s’agissait d’un quiproquo induit par la forme, il n’est pas question de faire d’autopromotion de ses propres luttes ou de se positionner sur une aile politique. Nous sommes apolitiques et notre cause est transversale du point de vue des sensibilités. Les enjeux en terme juridique ou en terme de perception publique et médiatique nous obligent à garder sous contrôle cette action de rue.
Si cette « reprise de parole » était un peu forcée et maladroite, et peut-être perçue comme une certaine forme de violence (en tout cas, en décalage avec l’excellent climat général), il ne s’agissait pourtant que d’une réaction réflexe « de sauvegarde ». Nous nous revendiquons bien de la non-violence, mais nous improvisions au fil de situations inédites. A contre-courant de toutes les pratiques usuelles (sociales ou militantes), nous apprenons en chemin…
La police est destabilisée...Lorsque la police arrive et encercle les barbouilleurs, ceux-ci vont directement à leur encontre, l'air calme, détendu, souriant!
Quand une policière demande si cela ne dérange pas qu'elle ait fait une dégradation, la barbouilleuse interrogée lui demande en retour si elle avait réellement lu ce qui avait été mis sur ce panneau. Plus le temps avance, plus les policier-e-s sont décontenancé-e-s. Les barbouilleurs annoncent qu'ils assument leur geste, qu'ils sont prêts à se faire arrêter, et attendent que les publicitaires fassent un procès. Les policier-e-s sont obligé-e-s de constater qu'il y a un public acquis à la cause, des journalistes, dont l'AFP, qui n'en perdent pas une miette, qu'il y a de la joie et une détermination anormale si ce n’avait été que du vandalisme. Cette posture philosico-politique semble donner une caution à cette troupe qui transgresse la loi en public, en toute assurance. Pendant ce temps, l'auditoire ne se laisse pas intimider : les prises de paroles se succèdent au micro, ou à la voix. La chanson du déserteur de Boris Vian, transformée en chanson du barbouilleur est entonnée à l'unisson.
La tactique policière du responsable-bouc émissaireLes responsables de la police se succèdent, oscillant entre l’énervement : comment une manifestation a-t-elle pu survenir sur les Champs Elysées la veille de Noël ? (Eh oui ! Cette manifestation n’était pas déclarée et le lieu de rendez vous n’a pas été annoncé publiquement…) N’y a-t-il pas un responsable, un porte-parole ? (Eh non ! Il y a 120 responsables, un collectif des déboulonneurs ou chacun-e est porte-parole ! Huit barbouilleurs, dont deux femmes, qui restent sur le lieu du forfait, et sont prêt-e-s à ré-éditer leur action si la police est demandeuse !). La police, qui a contrôlé et relevé les identités des auteur-e-s, et ne sait pas comment réagir face à la tenacité des manifestant-e-s ni du public, vivant et soudé, y compris composé d’enfants et de personnes à l’air respectable, dont certain-e-s ont un age mur. Personne ne semble intimidé et ce cas de figure semble nouveau pour la police. Les prises de paroles se succèdent, un extrait du manifeste est lu.
Les navettes des forces de l’ordre se font, en attendant des instructions plus précises, se doutant bien qu’il y a anguille sous roche, et qu’il ne faut pas procéder de manière simpliste.
La police se met alors en quête de trouver un bouc-émissaire, ou un responsable… Ce serait tellement plus simple et pratique ! D’ailleurs, cette personne d’une bonne quarantaine d’année, qui prend la parole sur le tabouret de manière assurée et porte la cravate, ne ferait-elle pas l’affaire ? Peut être même qu’elle a des antécédents militants ?
Une négociation surréaliste.Le barbouilleur pris à parti fait le choix de ne pas suivre l’injonction de rejoindre seul le fourgon. Et il va commencer à tenir au courant le public à voix haute et intelligible chaque décision, chaque déclaration de la police à son encontre et chacun de ses choix. Il se déclare prêt à assumer et aggraver son cas aux yeux de la police et de la justice, et annonce qu’il ne suivra pas la police, mais que celle-ci devra le porter, et que si la police a quelque chose à lui dire, c’est elle qui viendra jusque lui et non lui jusqu’à elle. Quand la commissaire du 8e arrondissement se résoud à venir jusque lui, les prétextes fallacieux s’enchaînent. Lorsqu’elle prétend que c’est lui qui a commis toutes les dégradations, d’autres barbouilleurs prennent position, aérosols à portée de main, en disant que c’est faux, et qu’ils peuvent le prouver en barbouillant immédiatement devant elle. En même temps, un spectateur a commencé un monologue clonwnesque, loufoque et hilarant, mais faisant passer des propos justes et sensibilisants : les policiers ont du mal à réprimer leurs rires, alors que le public est ravi de ce véritable spectacle… La commissaire est énervée, elle n’a pas le dessus et le fait de relater chacune de ses paroles et chacune des réponses et prises de position de notre militant menacé auprès du public, crée une pression qui s’accentue.
« La non-violence a gagné »
Le barbouilleur laisse alors une porte de sortie, en donnant l’information à la commissaire que le rassemblement peut se dissoudre en 5 minutes, et le lieu reprendre son apparence habituelle (à l’exception des panneaux barbouillés bien évidemment !). Quelques minutes passent, et la commissaire se résoud. « La non-violence a gagné » clame le barbouilleur qui cesse alors d’être inquiété. La pression retombe, la police se retire (après une dernière demande d’identité du barbouilleur récalcitrant), la prochaine date de l’action des déboulonneurs est donnée à la hâte…Chacun se retrouve soit pour rentrer, soit pour se retrouver en groupe dans un lieu amical.
C’est une deuxième victoire consécutive du collectif des déboulonneurs de Paris.
D’autres photos (toujours de P.E.Weck) sur :
http://www.1d-photo.org/?TopicID=80c0553fdc77ddf96a37e95c4376f4c1&Etat=actu www.deboulonneurs.orgwww.deboulonneurs.org contact courriel : paris.deboulonneurs@no-log.org
Contact courrier : Collectif des déboulonneurs, 24 r Louis Blanc.75010. Paris
EXTRAITS DU MANIFESTE :
NOTRE OBJECTIF: 50x70 cm
Obtenir des pouvoirs publics une nouvelle loi et un décret d’application qui ramènent la taille maximale des affiches à celle pratiquée pour l’affichage associatif à Paris: 50 x 70 cm; limiter les dispositifs à 2 m2 maximum, avec une densité raisonnable, fonction du nombre d’habitants.
Atteindre cet objectif précis et limité constituera une première brèche dans le système publicitaire.
MOYEN UTILISÉ: le barbouillage
Actions collectives mensuelles de désobéissance civile (barbouillages), partout en France au même moment, le 4e vendredi du mois, ou le samedi ou le dimanche suivants
DÉGÂTS DU SYSTÈME PUBLICITAIRE
La publicité, légitime en tant qu’activité informative, s’est muée en un système de harcèlement en perpétuelle expansion, mettant en œuvre des procédés toujours plus contraignants et envahissants. Pour piéger les individus, la publicité fait fi de toute déontologie et n’hésite pas à bafouer les lois (par exemple, un tiers des panneaux sont illégaux1). Sous couvert de liberté d’expression… d’une minorité d’annonceurs, elle impose à toute la population son idéologie antisociale (compétition, domination, accumulation).
a) Le système publicitaire monopolise toujours plus l’espace public : rues, transports, cinémas, stades, musées, universités, écoles. Il parasite les activités culturelles et pervertit les manifestations sportives. Antidémocratique, il favorise les annonceurs les plus puissants.
b) Les médias financés par la publicité sont condamnés à une course à l’audience, perdent leur liberté éditoriale et s’interdisent de critiquer les annonceurs, sous peine de voir se fermer le robinet à finance. Ainsi deviennent intouchables les industries qui font le plus de publicité (agro-alimentaire, automobile, nucléaire, pétrochimie, grande distribution, loisirs et tourisme, cosmétiques).
c) Le système publicitaire sacrifie la santé et l’écosystème au commerce. Il occulte les conséquences sanitaires (mauvaise alimentation, obésité, anorexie…) et se moque du principe de précaution (nucléaire, produits chimiques, organismes génétiquement modifiés [OGM], téléphones portables…).
d) Il incite à la surconsommation, au gaspillage, à la pollution et fait souvent l’apologie de comportements irresponsables et individualistes. En entretenant la convoitise et la frustration, il est source de surendettement, de délinquance, de violence pour les plus démunis.
e) Il déshabille femmes, hommes et enfants comme un proxénète, propage des modèles artificiels et uniformes, et entretient le culte d’une perfection physique et d’une éternelle jeunesse, engendrant – notamment chez les personnes handicapées, malades ou âgées – le sentiment d’être rejeté.
f) Il réduit l’existence à la consommation, les fêtes à des opérations commerciales, l’imaginaire et les idéaux à des arguments de vente.
g) C’est le consommateur qui paie la publicité (en moyenne 500 euros par an et par personne), car, tel un impôt caché, le coût des campagnes publicitaires est répercuté sur le prix des produits achetés.
HARO SUR L’AFFICHAGE !
En matière de publicité, l’affichage constitue l’agression majeure, la plus ancienne, celle à laquelle personne n’échappe. On est libre de regarder ou non la télévision, d’écouter ou non la radio, d’acheter ou non un journal, pas de circuler sans être confronté à un incessant défilé d’images et de slogans. Cette débauche graphique gêne la vue et la perception de la signalisation routière.
Elle salit notre cadre de vie, réduit notre liberté de penser et limite notre faculté de rêver. La confiscation de l’espace public et son exploitation mercantile sont d’autant plus inadmissibles que la loi elle-même qualifie les paysages de «bien commun de la nation» et que les dispositions régissant l’affichage publicitaire sont intégrées au livre V du Code de l’environnement, intitulé… «Prévention des pollutions, des risques et des nuisances»!
Par l’affichage, le système publicitaire s’immisce dans notre quotidien de la façon la plus évidente. Par l’action directe non-violente contre l’affichage, nous ouvrirons une brèche dans le système publicitaire et répondrons à son agression. Ce, d’autant plus facilement que les panneaux sont à portée de main !
HALTE AU GIGANTISME! CHANGEONS LA LOI
Qu’il s’agisse des « 4 x 3 » (12 m2) autorisés par la loi ou des monstrueuses bâches de 600 m2, aujourd’hui règne l’excès, le gigantisme. Mais aucun règne n’est éternel, et demain – si nous le voulons – peut voir le retour à l’harmonie.
Vous êtes-vous souvent senti agressé par une affiche de 50 x 70 cm ? Et si l’on imposait ce format à toutes les affiches? Utopique? Pas tant que cela: à Paris, la municipalité impose ce format maximal aux affiches… d’opinion ou associatives, certes, mais pourquoi ce cas particulier en vigueur dans la capitale ne s’étendrait-il pas à TOUTES les affiches, commerciales et autres, sur TOUT le territoire ? Et en sous-sol aussi bien qu’en surface ?
Dans la foulée, pourrait être mis un terme à ces procédés vicieux et énergivores que constituent les dispositifs publicitaires lumineux, animés, voire sonores ou odorants. Et tout cela dans le respect d’une densité raisonnable : par exemple limiter la taille des dispositifs (les supports) à 2 m2 maximum, et déterminer leur nombre en fonction du nombre d’habitants de la commune. Utopique ? Pas tant que cela: la loi le prévoit déjà pour l’affichage d’opinion.
L’adoption de telles mesures entraînerait : le repos de l’œil et de l’esprit ; une visibilité plus égalitaire pour les annonceurs ; des économies d'énergie et de ressources (papier, encre, plastique, électricité). Enfin, qu’il soit permis de mettre en doute deux fonctions supposées de l’affichage : le «supplément d’âme» apporté aux rues de nos villes et de nos villages, et l’«information» destinée à nos pauvres esprits désorientés. Nos paysages, urbains ou ruraux, ont-ils vraiment besoin de «4x3» pour «s’animer», et une information digne de ce nom a-t-elle besoin de 12m2 pour forcer la carapace de nos cerveaux ? Et, en outre, pourquoi ne pas imaginer des espaces dédiés à l'art et à la vie associative?
DÉSOBÉISSANCE CIVILE ET NON-VIOLENCE : UN CHOIX
(1) La non-violence n’est ni passivité ni résignation. Mais une force politique moralement acceptable et qui a fait ses preuves. En privilégiant l’action directe, en excluant l'atteinte à la dignité d'autrui par l'injure ou les coups, en imposant une attitude de respect à l'égard de l’adversaire, l’action non-violente permet de sensibiliser l’opinion publique. La logique de la non-violence exige que ses militants se portent responsables de leurs actes devant les tribunaux (par exemple, quand ils ont opté pour la dégradation volontaire et préméditée de panneaux d’affichage). Dans ce contexte, être arrêté par la police pour avoir barbouillé des dispositifs publicitaires puis avoir un procès ne sont pas vécus comme une honte mais déjà comme le signe d'une victoire, même si les prévenus sont ensuite condamnés à une peine de prison. L'opinion publique, n'acceptant pas que des personnes soient punies si elles n’ont commis aucune violence, se voit alors encore plus mobilisée.
(2) L'expression «désobéissance civile» est apparue en 1866 comme titre de l'œuvre posthume de Henry-David Thoreau. Cet écrivain nord-américain, pour protester contre la politique de son pays qui maintenait l'esclavage et menait une guerre impérialiste contre le Mexique, avait refusé de payer l'impôt, ce qui lui avait valu la prison. Ce livre a inspiré Tolstoï, Gandhi (libération de l'Inde du joug colonial britannique), Martin Luther King (reconnaissance des droits civiques des Noirs américains), Nelson Mandela et Desmond Tutu (contre l'apartheid en Afrique du Sud), les paysans du Larzac (contre l'extension d'un camp militaire) et, aujourd’hui, les faucheurs volontaires de maïs OGM. Au tour, maintenant, des «déboulonneurs» de neutraliser la publicité et son emprise sur les paysages et les esprits !
(3) Quand tout a déjà été dit sur une loi inique – celle, par exemple, qui autorise une poignée d'afficheurs à envahir l'espace public –, quand ont déjà été prises maintes initiatives (manifestations, pétitions, débats, notamment au Parlement), quand des ministres eux-mêmes, parlant de «catastrophe», ont appelé à une refonte de la loi, et que la loi n'est pas changée, il est du devoir des citoyens d'exercer sur les responsables politiques une pression plus importante, aussi longtemps que cette situation perdurera. Quitte à commettre en groupe des actes symboliques illégaux.
(4) La désobéissance civile n'a pas pour but de faire croire que l'on pourrait vivre dans une société sans lois ni règles. Elle se distingue de la désobéissance criminelle dans la mesure où les transgresseurs annoncent leur intervention, agissent en public, à visage découvert, et assument leurs actes, témoignant, par là même, d’un intérêt supérieur pour le droit et la justice.
(5) Face à l’agression publicitaire, face à l’inertie des autorités, la désobéissance civile est une «légitime réponse». Les barbouillages de panneaux de 4 x 3 m doivent apparaître dans les médias comme un événement récurrent. En se produisant partout en France le 4e vendredi du mois (ou le samedi/dimanche suivants), ces actions doivent défrayer la chronique. Barbouillons la publicité jusqu’à satisfaction de notre revendication! Nous verrons bien jusqu'où il faudra aller...
Cessons de commenter l’actualité, faisons-la !
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