Dans une longue rue nouvellement piétonne d'un quartier populaire, la maison étroite de trois étages avec le nom du lieu Le Chiendent sur une plaque de bois et quelques chaises et tables devant ne se démarque pas ostensiblement des commerces voisins.Ouvert le 8 mai 2005, Le Chiendent est pourtant un lieu rare et atypique, fort aujourd'hui de ses 800 adhérents (1). Dans une ville policière, entre les caméras de vidéosurveillance, les arrêtés anti-mendicité et le couvre-feu pour les mineurs des quartiers, c'est un espace libéré, une friche de radicalité expérimentale.
Des forums sociaux naissent un peu partout au printemps et à l'été 2003. Le Forum social orléanais est très dynamique puis s'essouffle petit à petit et ressent le manque d'un lieu qui concrétise et renforce ce rassemblement. S'inspirant des centres sociaux italiens ou d'autres expériences nées de l'autonomie du mouvement social, quelques militant-e-s rédigent une charte et recherchent des signataires tant au niveau des individus que des organisations. Le court document dresse un constat lucide sur l'état sociopolitique du pays, en précisant que l'inversement de la situation inique et catastrophique ne peut passer par le jeu électoral, et se poursuit sur ces mots : "Pour ces raisons, un espace d'activités sociale, culturelle et politique qui s'inscrivent dans une démarche fédérant les acteurs du mouvement social et bien au-delà, est nécessaire. Un espace d'expérimentation qui ne se contente pas d'être en réaction, mais se veut un lieu de création et de mise en pratique".
Si la charte, qui s'orna du paraphe de 150 personnes et de plus de 10 organisations, fut la première pierre, la construction du projet nécessita plusieurs débats (place des partis politiques, comment être indépendant, nature du lieu...) puis la recherche concrète du lieu. Cette dernière dura plus de six mois. La commission chargée de cette tâche devait trouver un espace au centre-ville, dans un quartier populaire et passant. Pour privilégier la pérennité, le collectif évacue la réquisition d'un lieu. "Il fallait surtout sortir du cercle militant et créer un lieu ouvert sur le quartier" précise la petite Valérie, comme tout le monde l'appelle ici. C'est ainsi que le drapeau rouge et noir n'orne pas la façade mais qu'il y a un esprit et du concret libertaires à tous les étages. D'autant plus que les partis politiques (et ce jusqu'à Alternative Libertaire !) ne peuvent pas adhérer.
Les orientations et décisions sont proposées et validées en assemblées générales mensuelles, et différentes commissions (administration, bar, jeux, repas de quartier, librairie...) mettent en oeuvre les décisions des AG. L'autogestion passe aussi par la recherche du consensus, "même si ça peut prendre des mois. Tout est politique et même les `petites questions' sont importantes" me dit, souriante, la petite Valérie. Enfin, s'il y a recours au vote, individu et organisation ont chacun une voix.
La dynamique du concretLe processus d'installation nourrit deux objectifs : l'éducation populaire et la promotion des alternatives. Le Chiendent s'est rapproché d'Amorce (Paris) et fait partie du réseau Relacs (Limoges), deux structures aidant et favorisant la création de lieux associatifs. L'inscription volontaire dans un quartier est encore un atout. Pas de concurrence donc peu de réactions, l'arrivée du Chiendent a été vue sous un oeil bienveillant et le bar d'en face prête au besoin des chaises et des tables. Un partenariat avec Les Carmes, le cinéma d'art et d'essai d'Orléans, permet d'y organiser des débats et ouvre encore le lieu vers la ville.
Les services offerts (centre de documentation, librairie-bibliothèque militante, dépôt-vente de produits issus de l'économie solidaire, outils multimédias pour les associations et les collectifs, permanences d'associations et de conseils juridiques) répondent à de vrais besoins des passant-e-s et adhérent-e-s. Le bar apporte de la convivialité mais aussi des finances permettant l'autonomie du lieu. Et puis les groupes et individus adhérents échangent des points de vue comme des expertises, croisent ou découvrent des pratiques, construisent des projets.
Par exemple : job, de l'association Approche Paille, est d'abord venu ici présenter son bouquin, puis l'association a adhéré. "C'est bien qu'Approche Paille soit là car ça apporte aux libertaires de la pratique et puis on découvre d'autres fonctionnements démocratiques, des manières de faire différentes" insiste la petite Valérie. Des habitué-e-s du lieu sont sensibles et commencent à mettre en ,oeuvre ce que propose Approche Paille tandis que pour l'aménagement des locaux, Le Chiendent réfléchit au recyclage, à l'habitat bio et aux matériaux sains. "Il s'agit même de techniques simples comme ouvrir les fenêtres dix minutes par jour pour résorber le problème d'humidité. Pour le ravalement de façade, nous pensons à la chaux et apportons des solutions concrètes" ajoute job. Ainsi résident dans cette expérience concrète non seulement de fantastiques potentialités mais déjà une confrontation au réel et une action multiforme au jour le jour qui peuvent corriger l'amertume des y-a-qu'à comme la rigidité des théories politiques. La mauvaise herbe a donc du chien et son sourire sait aussi montrer les dents.
MaB
Le Chiendent, 259, rue de Bourgogne, 45000 Orléans, tel : 02 38 53 62 75,
lechiendent@wanadoo.fr,
http://www.lechiendent.net/(1) Avec les associations adhérentes suivantes
ATTAC 45, Artisans du Monde, Solidaires 45, Orléans Loiret Palestine, Union des contre-fêtes johanniques, Collectif libertaire, CEMEA, Terre en vie, CIGAL, Les Amis du Monde Diplomatique, CADTM, Ligue eutopiènne, APRODEV, AMAP Orléanaise, Collectif Non à la guerre.
S!lence #348 été 2007