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Le capitalisme vit ses derniers moments (1 et 2/5)

Lu sur Anne Archet-Journal : "Est-ce la rentrée qui me met à bout ? On dirait que tout ce me tient à cœur a le don en ce moment de me scier le gros nerf. Et ce qui m’agace chez les révolutionnaires, c’est leur tendance au prophétisme, leur conviction que la révolution est non seulement imminente, mais écrite dans l’histoire. Par exemple, chaque fois que je lis Kropotkine, sa tendance à prédire le Grand Soir pour la semaine prochaine au mieux m’ennuie, au pire m’irrite. Sans parler des marxistes, détenteurs autorisés du sens de l’histoire, qui n’ont cessé, pendant cent cinquante ans, de prédire la révolution prolétarienne mondiale. Or, le capitalisme a traversé crises après crises non seulement sans s’affaiblir, mais en étendant son hégémonie sur la planète entière.

Mais vous me connaissez, je suis un être de contradictions.

Malgré tout ce que je viens de dire, je reste convaincue que le capitalisme vit ses derniers moments. Ne riez pas ! Ses succès des dernières années ne font qu’accélérer sa course à la destruction. Si bien que dans une cinquantaine d’années peut-être, le capitalisme sera caduc et remplacé par quelque chose d’autre. Reste à voir ce que ce « quelque chose d’autre » sera. Personnellement, je ne suis pas très optimiste.

Mais avant de sortir ma boule de crystal, un mot pour définir qu’est-ce qu’on entend généralement par capitalisme.

Ce qui distingue le capitalisme des autres systèmes sociaux et économiques qui l’ont précédé, c’est sa quête incessante et auto-entretenue d’une accumulation toujours plus grande de la part des détenteurs de capitaux. Autrement dit, le capital, défini simplement comme la richesse accumulée (biens de consommation, machines, droits monétaires reconnus sur les biens matériels…) est utilisé, dans un système capitaliste, dans le but premier et délibéré de son auto-expansion. Évidemment, le profit n’est pas le seul objectif du processus de production capitaliste. Mais chaque fois que l’accumulation du capital l’a emporté, avec le temps, sur les autres objectifs, nous pouvons à juste titre estimer que nous avons affaire à un système capitaliste.

Autre caractéristique du capitalisme : il s’agit d’un phénomène historique qui correspond à la marchandisation du monde. Par marchandisation, j’entends non seulement l’application graduelle des principes marchands à l’échange, à la production et à l’investissement (qui s’effectuaient auparavant sans l’apport du marché), mais aussi à la transformation de toute chose (et j’inclus dans le mot « chose » les êtres humains) en marchandise.

Il est important d’insister sur le caractère historique du capitalisme. Ce système a une origine historique et géographique : l’Europe occidentale de la fin du XVe siècle. On ne peut parler de capitalisme avant le XVe siècle sans pervertir le sens profond de ce terme. Évidemment, la propriété privée, le marché, le salariat, qu’on associe de nos jours au capitalisme, existaient avant cette date, en Europe comme ailleurs. Mais dans les systèmes antérieurs au capitalisme, le long processus d’accumulation du capital était presque toujours bloqué à une étape ou une autre, puisque le but premier et délibéré de la production n’était pas le profit et sa croissance.

Mais qu'est-ce qui fait que ce système historique est voué à se perte ?


Raison #1 : le profit se noie dans une mer de purin

Le premier indice de la fin prochaine du capitalisme me semble être l’augmentation bientôt incontrôlée du coût des matières premières essentielles à la production des biens de consommation, qui va éventuellement rendre le profit presque impossible.

J'ai dit plus haut que le but principal (si ce n'est l'unique but) du capitalisme est le profit. Or, pour faire un bon profit, il faut s’assurer d’avoir des matériaux pas chers pour minimiser les coûts de production. Et comment réduire les coûts des matériaux ? « En s'assurant de ne pas les payer entièrement » vous répondra le premier capitaliste venu. Le truc est simple, il existe depuis la naissance du capitalisme et il est si connu qu’on me l’a enseigné dans l’unique cours d’économie que j’ai suivi à la fac : l’externalisation des coûts.

Disons que je suis dans le business du papier-cul. J’ai besoin d’arbres. Or, le coût total d’un arbre comprend les coûts liés à sa croissance. Heureusement, il est facile de ne pas payer pour la croissance des arbres : on rase la forêt, on laisse à quelqu’un d’autre (l’État, immanquablement) le soin de débourser pour le reboisement et on va couper ailleurs. Le coût de la croissance des arbres est ainsi externalisé, si bien que dans une vingtaine d’années, je pourrai me repointer au même endroit pour couper les arbres arrivés à maturité.

Il en va de même pour la gestion des matières toxiques générées par la production. Disons que je suis dans le business de la côtelette de porc. Je dois faire quelque chose avec les déjections de mes petites bébêtes. Le plus simple est d’épandre le liser sur les terres agricoles jusqu’à ce que lesdites terres, sur-saturées de merdre, contaminent les ruisseaux et les rivières. J’ai ainsi externalisé le coût du traitement de mes matières toxiques en laissant à quelqu’un d’autre (l’État, immanquablement) le soin de procéder à la décontamination.

Enfin, les infrastructures publiques sont une autre forme efficace d’externalisation des coûts. Disons que je suis dans le business du caco-calo et que, désireuse de profiter de la mode écolo-chic des bourgeois bohème, je décide de me lancer dans le commerce de l’eau en bouteille. Je m’installe donc dans une ville qui non seulement me vendra l’eau de son aqueduc à un prix ridicule, mais me donnera une subvention pour construire mon usine d’embouteillage « parce que ça crée de l’emploi ». Le coût du traitement de mon eau est ainsi externalisé, parce que le financement de l’aqueduc est imposé à quelqu’un d’autre (toute la population de la ville) mais les profits vont uniquement à moi (qui est morte de rire quand je vois les citoyens de cette même ville qui achètent mon eau – la payant ainsi deux fois). Vous pensez que j’exagère ? Pensez-y la prochaine fois que vous boirez votre Dasani…

Ce petit manège, qui dure maintenant depuis cinq cent ans, arrive en bout de course. La raison la plus évidente est que nous en serons à court terme à la limite géographique du processus : plus de forêts à abattre, plus de rivières à emmerder, etc. L’autre raison est que le « quelqu’un d’autre » n’aura bientôt plus les moyens de payer les coûts externalisés. Face à la dégradation des matières premières, quelles sont les options pour l’État ? Augmenter les impôts des industriels ? Obliger les industriels à reboiser et à dépolluer ? Ça revient à internaliser des coûts qui étaient autrefois externalisés, et ça rend le profit presque impossible. Augmenter la contribution de la population au reboisement et à la dépollution ? Les contribuables sont imposés à l’extrême limite et aucun politicien ne veut mettre son pouvoir en danger en décrétant des hausses d’impôt agressives.

Plus probablement, les États ne feront rien, ou alors ne dépollueront qu'en partie, avec pour résultat… la destruction définitive des ressources naturelles et l’élimination par le fait même de toute possibilité de profit. Faudra alors dire bye bye au capitalisme…

Raison #2 : on ne peut pas déménager l’usine en Antarctique

Le coût des marchandises n’est évidemment pas le seul coût de production que le capitaliste veut minimiser. La réduction du coût du travail constitue l'autre obsession capitaliste.

Je ne vous apprends rien lorsque je dis que c’est le rapport de forces établi entre les employeurs et les travailleurs qui fixe un niveau moyen de salaire à une époque déterminée et en un endroit donné. Ceux qui ont déjà trimé dans une boîte non-syndiquée savent de quoi je parle ! Dans les premiers temps du capitalisme, ce rapport de force est nettement en faveur de l’employeur, ce qui fait que les salaires sont très bas. Mais après un certain temps, les travailleurs se syndiquent, ou s’organisent politiquement, et réclament un hausse du salaire réel (c'est-à-dire, une hausse supérieure au coût de la vie).

Même s'il faut plusieurs décennies de lutte, les travailleurs finissent toujours par obtenir une certaine hausse salariale, soit par la signature de conventions collectives, soit par des moyens politiques comme des lois sur le salaire minimum. Pourquoi ? Parce qu’en en période de prospérité économique, le plus important pour l'employeur capitaliste est de maintenir la production et d'éviter les arrêts de travail. Il est alors rationnel d'accorder des hausses salariales, les baisses de profit entraînées par des arrêts de travail à répétition étant plus importantes que lesdites hausses salariales.

Mais lorsque la récession et la stagnation économique se pointe, le problème de la réduction du coût du travail pour rester concurrentiel se pose. À ce moment-là, le capitaliste doit impérativement trouver un moyen de réduire effectivement le coût de sa main d’oeuvre.

Quelles sont ses options ? La première est l’affrontement avec les travailleurs pour obtenir des diminutions salariales. Le problème, c’est que l’affrontement est non seulement coûteux, mais il perturbe le processus de production. De plus, le résultat est très aléatoire et en bout de ligne, les pertes risquent fortement d'être supérieures aux gains pour les employeurs.

La seconde option est plus simple et moins coûteuse : délocaliser. Le capitaliste remballe tout et s’installe dans un endroit où le niveau historique des salaires est moins élevé, habituellement une région peuplée par des ruraux fraîchement arrivés à la ville, ou une région moins commercialisée. Bref, une région où les individus qui se présentent sur le marché du travail sont prêts à travailler pour un salaire inférieur à celui versé aux travailleurs en zone « développée ».

Mais pourquoi ces gens sont-ils prêts à accepter des salaires très bas ? Parce qu’après tout, travailler dans un sweat shop, c’est agréable pour personne… La réponse est simple : dans ces régions, les salaires offerts, bien que dérisoires, sont plus importants que ce que les nouveaux citadins qui forment l’essentiel de la force de travail auraient pu obtenir en restant en milieu rural.

Malheureusement pour les capitalistes, après quelque temps, ces mêmes travailleurs s'habituent à leur nouvelle vie urbaine et surtout, se rendent compte à quel point leurs salaires sont bas. Donc, ils se finissent eux aussi par se syndiquer, par s'organiser politiquement… pour obtenir, après plusieurs décennies de lutte, des hausses salariales. À ce moment, le capitaliste n’a d’autre choix que de délocaliser une nouvelle fois et s’envoler vers des cieux plus cléments.

Soit dit en passant, c’est le phénomène de la délocalisation qui explique en grande partie l’industrialisation du Québec dans le dernier tiers du XIXe siècle. Les capitalistes amerloques, soucieux de diminuer leurs coûts de production liés au travail, ont délocalisé des usines américaines pour les installer à Montréal, où l’on trouvait plein de ruraux qui venaient de fuir les terres saturées de la vallée du Saint-Laurent. Et c’est ce même phénomène qui explique le départ de ces mêmes entreprises dans le dernier tiers du XXe vers une multitude de destinations-soleil exotiques comme le Mexique, les Philippines, l’Indonésie…

Le hic, c'est que ce processus de délocalisations répétées, qui résout le problème des hausses de salaires dans certaines régions en recherchant des salaires plus bas dans d'autres, ne peut pas être infini. Ses possibilités dépendent du nombre de régions où le processus de déruralisation et de prolétarisation n’a pas encore été achevé. Or, ce processus mondial de marchandisation du travail est pratiquement achevé. On retrouve des sociétés précapitalistes seulement dans quelques régions parmi les plus lointaines et inaccessibles du globe. Lorsque les travailleurs de ce qu’on appelle communément le tiers-monde s’organiseront comme tous les autres travailleurs avant eux (et c’est déjà commencé), il finiront par obtenir des hausses salariales après quelques décennies de lutte.

Et quand ça se produira, on assistera globalement à une hausse effective du salaire réel des travailleurs qui créera une contrainte si forte sur le profit qu’il deviendra presque impossible. Faudra alors dire bye bye au capitalisme…

Anne Archet

Ecrit par libertad, à 22:51 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Anonyme
24-09-03
à 15:13

Sur la baisse tendancielle du taux de profit...

Bien le bonjour Anne si tu lis ces lignes...

Je ne suis pas du tout versé sur l'économie, tout comme toi.

Cependant, tu oublies un peu vite le facteur humain et la formidable extension des moyens autoritaires de persuasion qui servent à nos maîtres pour nous rouler encore, et encore, dans leur boue (le spectacle selon le bon mot de Guy Debord).

Certes le capitalisme a des contradictions objectives et matérielles a surmonter et celles-ci sont de plus en plus évidentes et grossières.

Tu argumentes sur deux points : "l'externalisation des coûts" et la "délocalisation" et donc sur la valeur de la marchandise.
D'une part le coût d'une marchandise dépend du coût des matières premières et d'autres part de coût de la masse salariale. Tu montres qu'il y a là des contradictions de plus en plus difficiles à résoudre pour les détenteurs du capital.
Cependant tu axes ta démonstration sur une seule part de la valeur d'une marchandise : sa valeur d'échange. Tu raisonnes à partir de la production exclusivement, or il faudrait aussi partir de la valeur d'usage : pourquoi les consommateurs achètent tel produit ?
Ce n'est pas pourtant pas marginal au niveau même du coût : combien d'investissement en publicité, marketing, emballage...

Mais revenons à tes développements à partir de cette nouvelle perspective :

- L'externalisation des coûts :
Aux USA comme en europe, l'agriculture est fortement subventionnée par l'Etat. On est là face à système où le contribuable paie par avance une part de la production et la rachète encore plus chère par la suite pour la mettre dans son assiette (avec les intermédiaires qui s'en mettent plein les poches et des paysans dans la mouise). L'intervention de l'idéologie est essentielle pour que cela fonctionne : on sauve nos braves paysans de chez nous, on reste indépendant, on a de beaux paysages, etc. de plus la technologie occidentale permet des rendements accrus ce qui renforce l'effondrement des producteurs qui n'ont pas cette aide. Résultat : on paie deux fois, le profit ne va pas aux producteurs et les produits sont d'une qualité médiocre. Mais les politiques ne vont pas se mettre à dos les paysans. Dans cet exemple, comme dans les tiens, l'idéologie produite par l'Etat est essentielle.

- La délocalisation :
Le travailleur peut très bien acepter de travailler pour une moins bonne paye si une idéologie le tien : il n'y a qu'à voir les professions de santé, d'enseignement ou autres à fort contenu éthique. Avec la vocation va le sacrifice quotidien. Et si en cas de crise grave la production va trop mal, un bon fascisme nationaliste permet de faire repartir la machine (ou bien encore une guerre). Là encore l'idéologie peut être un facteur décisif.
Il faut aussi remarquer que tu parles des deux secteurs qui sont en voie de régression en occident : le primaire (agriculture) et le secondaire (industrie). Le tertiaire (les services) est en pleine croissance. C'est aussi le secteur le plus servile car en étant en contact avec le client, le plus souvent on exige de l'employé qu'il soit en représentation permanente. Or les services se délocalisent plus difficilement : on peut délocaliser une usine en chine, une assitante de médecin en inde, une agence de voyage en espagne ou une banque en utilisant téléphone et internet, mais pas une aide à domicile, un travailleur social, un policier, un hôpital (on peut délocaliser le chirurgien par liaison satellite mais pas l'infirmière qui éponge le sang)...

Bref, je pense que la capitalisme a des moyens pour s'adapter aux contraintes issues de ses contradictions. La vieille rangaine du "socialisme ou barbarie" je n'y crois pas trop. Si ça va trop mal les gens sauverons le capitalisme plutôt que d'aller au chaos. On aura alors un nouvel Hitler ou un nouveau Lenin avec de belles boucheries. Si on veut la révolution (la souhaitable), il faudra que subjectivement, on se décide à en finir.
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