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Émilie Allais est née en 1900 à Val des Prés, petit village situé dans la "Vallée de la Clarée", à l’écart de bien des pollutions, au Nord-est de Briançon. Son père est paysan de montagne. Elle a 5 frères et sœurs. A quatre ans, elle perd sa mère foudroyée dans un champ. La vie n’est pas facile. Les journées d’Émilie sont doubles : aux champs et à l’école. Elle fait 7 km à pied pour aller à l’école à Briançon, car elle veut devenir institutrice. A 16 ans elle parvient à quitter sa vallée pour Paris, afin d’obtenir son diplôme. Émilie est la seule des six enfants de sa famille à poursuivre des études. A Paris elle découvre et se sent à l’aise au sein du milieu anarchiste et pacifiste de l’immédiat après-guerre. Mais déjà à 14 ans, elle s’était forgée des idées antimilitaristes, après que, ses deux frères étant partis à la guerre en 1914, lors d’une permission, l’un d’eux lui ait montré l’absurdité de ce conflit.
De retour au pays, atteinte d’une lésion tuberculeuse, elle exercera le métier d’institutrice durant quarante ans dans ses montagnes des Hautes-Alpes. Elle apprend à ses élèves la tolérance, le refus de la guerre et la fierté de leurs traditions paysannes. D’abord institutrice en remplacement en 1923 aux Gourniers de Réallon, puis à Val des Prés, Émilie devint maîtresse à l’école maternelle des Alberts, puis du Villaré en 1934, puis revient à Val des Prés en 1951 pour être nommée institutrice titulaire de l’école.
En 1927 elle rencontre Jean Carles, de onze ans son aîné, qui devient son compagnon. II est pacifiste, libertaire et libre-penseur. II va lui révéler tout ce qu’elle pensait. Avec lui, elle lutte contre l’injustice, la guerre, le racisme, le patriarcat et la soumission des femmes. Ensemble, en 1936, ils transforment la grande ferme familiale en auberge-hôtel "Les Arcades", pour accueillir les vacanciers du Front Populaire, qui se remplit de copains et de copines anarchistes grâce aux petites annonces dans les journaux "La Patrie Humaine" et "l’En-Dehors"[1]. Le salaire d’Émilie comble souvent le déficit de l’auberge. Ils ont trois enfants : deux fils et une fille. Mais durant la guerre de 39-45, un drame immense se passe devant chez eux, à Val des Prés : leur fille "Nini", âgée de 6 ans, est écrasée par un camion militaire. Jean, son mari, refusant de partir à la Guerre doit se cacher pour éviter d’être fusillé comme déserteur et se réfugie dans un camp de maquisards où il fait la cuisine. Par la suite, il se mobilise pour éviter que leur fils n’aille combattre durant la guerre d’Algérie ; mais épuisé, victime d’une maladie, Jean Carles meurt subitement en 1962. Il était tout son bonheur. Émilie prend sa retraite la même année.
Restée seule avec ses enfants, Émilie Carles continuera encore à se manifester pour défendre la montagne du saccage autoroutier. En 1974, elle réussit à mobiliser la population de Val des Près contre le projet d’autoroute Fos/Mer-Turin qui aboutirait à la destruction de la “Vallée de la Clarée”. Le 13 Août 1973, elle prend la tête d’une manifestation à Briançon contre ce projet. Le 27 Octobre 1976, elle organise une conférence de presse à Paris devant des représentants de ministères et des journalistes. Émilie fait grosse impression et obtient gain de cause : “la Vallée de la Clarée” sera désormais classée et on ne pourra plus dévisager ce coin unique et vivant de nature et de calme.
Elle a raconté sa vie et ses révoltes dans une autobiographie : "Une soupe aux herbes sauvages" qui parait en janvier 1978. Ce livre, qui lui a été demandé, est un immense succès, imprimé à des millions d’exemplaires et traduit dans une dizaine de langues.
Le 29 juillet 1979, Emilie Carles meurt à Val des Prés ; elle fait don de son corps.
Voici trois extraits du livre d’Emilie Carles, "Une soupe aux herbes sauvages" :
« Dès les premiers beaux jours de l’année, alors que la montagne est encore imprégnée par l’humidité de la neige à peine fondue, j’ai pour habitude de me reposer, allongée dans mon fauteuil sur la terrasse du Vivier. Dès le matin, le soleil vient y dessiner un jeu d’ombres et de lumières qui m’est tout aussi familier que la voix de ceux que j’aime. La Clarée, cette rivière bénie des dieux, coule à mes pieds. J’aperçois à travers les branches des arbres le mouvement de ses ondes transparentes qui varient en couleurs et en intensité, tour à tour tumultueuses ou calmes, grondantes ou monotones. Autour de moi les oiseaux chantent. Je leur parle et ils me répondent et je prends ce concert pour moi seule. Quelle présomption ! Ils chantent l’hymne au soleil, celui dont Rostand disait : "O soleil toi sans qui les choses en serait pas ce qu’elles sont." Les gouttes de pluie de la nuit accrochées aux feuilles des saules irradient sous les rayons. C’est féerique, c’est paradisiaque. J’ai sous les yeux le plus beau pays du monde. »
« Ce qu’il faudrait, c’est que les gens de la commune prennent conscience que cette autoroute n’est pas pour eux. J’essaie de leur expliquer, je leur dis : « Pour aller à l’autre bout du village, pour aller à Pamplinet ou à la Vachette, quelle route prendrez-vous ? Toujours la même vieille route, pendant que les autres vous passeront au-dessus de la tête en vous envoyant leurs gaz d’échappement. Cette déviation s’ajoutera au reste, à la voie express et à la voie ferrée elle aussi prévue. Notre vallée ne sera plus qu’un immense couloir de béton, avec le bruit, l’odeur et la pollution. La Clarée deviendra comme la vallée de la Maurienne, un endroit mort où le feuillage est détruit, les moutons obligés de s’en aller ailleurs. » C’est ça qu’ils doivent se mettre dans la tête, cette autoroute et tout ce qui va avec, ce n’est pas conçu pour le bien du village et pour le bien des paysans. »
« Ça, c’est du plantain et voilà de l’oseille sauvage, de la drouille, de l’ortie ou barbe à bouc, du pissenlit, de la doucette, un petit chardon des champs ou chonzio, une plante laiteuse, le laichuron, du mille-feuilles, du chalabrei aux feuilles largement dentelées, de la tétragone ou épinard sauvage, de la langue bogne, une feuille de sauge et un brin de ciboulette. A cela j’ajoute une pointe d’ail, quelques pommes de terre ou une poignée de riz et j’obtiens une soupe onctueuse et délicieuse. Pour la réussir, ce qui importe, c’est de respecter les proportions. Il faut très peu d’herbes de chaque sorte afin qu’aucune ne l’emporte sur les autres. »
[1] L’En-Dehors d’Armand (1922/1939)Sources : Éphéméride Anarchiste
et surtout son livre "Une soupe aux herbes sauvages" qu’elle a écrit avec l’aide de Robert Destanque (nombreuses éditions - existe en livre de poche)Pour agrandir les photos de la Vallée de la Clarée, cliquer dessus.
- Publié vendredi 28 juillet 2006