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Courant alternatif :
Du concepteur fabriquant au concepteur assembleurLes grands constructeurs automobiles américains fondaient traditionnellement leur modèle de production sur une forte “intégration verticale”. Une fraction substantielle des composants des véhicules était fabriquée par le constructeur lui-même ou par des sociétés de fabrication de composants lui appartenant au sein du même consortium.
Ce modèle prévalait également chez les constructeurs automobiles
européens, bien que leur échelle de production fût nettement
inférieure. Le niveau d'intégration verticale de la production était
similaire à celui des compagnies américaines, l'intégration s'opérant à
l'intérieur même des constructeurs sans qu'une industrie de fabrication
de composants ne soit créée sous la tutelle d'un consortium, à
l'exception de Fiat et Peugeot, qui comptaient un grand nombre de
sociétés extérieures leur fournissant les composants nécessaires dans
un contexte exacerbé de concurrence interne et de pressions sur les
coûts.
Ce modèle de production a subi de profondes transformations depuis les
années 1970. Eu égard au paradigme de la “production dégraissée”, les
constructeurs se sont orientés à un degré croissant vers la conception,
l'assemblage et la distribution, en incluant dans certains cas la
production directe de composants qu'ils estiment stratégiques, comme
les moteurs.
L'innovation ne réside toutefois pas seulement dans l'extension de la
sous-traitance, mais également dans le remaniement et la structure
hiérarchique des relations avec les fournisseurs qu'elle implique. Bien
entendu, ce processus varie selon les stratégies propres à chaque
entreprise, mais les principaux changements sont les suivants :
- une sous-traitance progressive de la production des composants à
travers différentes filières (comme la création d'une filiale au sein
du même consortium ou la sous-traitance à une autre entreprise
d'anciennes ou de nouvelles activités), souvent associée à des
stratégies de spécialisation à grande échelle (la fourniture d'un
composant donné à plusieurs usines et marques du même consortium, voire
à plusieurs consortiums, par exemple).
- une diminution sensible du nombre de fournisseurs directs (rang 1).
Les constructeurs assument aujourd'hui la responsabilité de
l'assemblage d'éléments complets du véhicule, du contrôle de la qualité
et de la gestion des stocks, tandis que les fonctions d'innovation
technologique et de conception des composants sont de plus en plus
souvent déléguées à ces fournisseurs. Les évolutions les plus récentes
recherchent une implication accrue des principaux fournisseurs dans la
conception du produit final et du procédé de production.
- la sous-traitance progressive des services, qui commence par ceux qui
offrent une faible valeur ajoutée et demandent une forte intensité de
main-d'œuvre (nettoyage, restauration collective et sécurité) et se
poursuit avec les services plus stratégiques tels que les réparations
de l'équipement, la maintenance informatique, l'entreposage et la
logistique.
Une sous-traitance
très hiérarchisée
Les modifications instaurées par les constructeurs automobiles ont
directement entraîné la restructuration de l'industrie de fabrication
des composants. Au premier niveau se trouvent les sociétés qui
fournissent des ensembles complets de pièces, d'unités ou de systèmes
et d'importants éléments du véhicule impliquant une certaine complexité
technologique. Ces sociétés ont subi les transformations les plus
profondes, avec un degré élevé de concentration des activités et de
mondialisation de la production, et l'adoption de stratégies de
production similaires à celles des constructeurs. Elles en arrivent
également à redéfinir leur activité essentielle et à sous-traiter le
reste de la production. Elles jouent un rôle d'une importance
croissance dans la production du véhicule en ce qu'elles supportent une
partie de l'investissement dans la conception et la technologie et
organisent le deuxième niveau de fournisseurs. Ce processus se répète à
divers degrés d'intensité aux niveaux inférieurs, formant ainsi une
pyramide hautement hiérarchisée de fournisseurs.
L'introduction croissante de l'automatisation et le remplacement de la
main-d'oeuvre par des capitaux ont pour corollaire que les activités à
plus haute intensité en main-d’oeuvre ne sont plus rentables et peuvent
aisément être sous-traitées. À travers leur contrôle de la chaîne de
production, les fabricants parviennent à se débarrasser des activités à
plus faible valeur ajoutée, à transférer une partie du coût inhérent à
la conception et à la production vers les fournisseurs de premier rang
et à exercer une pression appuyée en termes de qualité, de délais de
livraison et de prix. Des stratégies similaires se répètent
successivement aux différents échelons de la chaîne des fournisseurs,
bien que les entreprises jouissent d'une autonomie de plus en plus
restreinte à mesure que l'on descend dans la chaîne. À la base de la
pyramide, un grand nombre d'entreprises exécutent les activités à forte
intensité de main-d’oeuvre et à faible valeur ajoutée au coeur d'une
concurrence exacerbée, avec de lourdes pressions en faveur d'une
réduction des coûts de main-d’oeuvre et d'une déréglementation des
conditions de travail.
Les conséquences
sur l’emploi
et les conditions
de travail
Il va sans dire que cette évolution exerce une influence indubitable
sur l'emploi et les conditions de travail. Directement ou
indirectement, la sous-traitance engendre en effet des pressions
sensibles en direction d'une réduction des coûts de main-d’oeuvre et
d'une déréglementation des conditions de travail. Le nombre d'emplois
manuels est minimal au sommet de la pyramide et maximal à la base,
accompagné d'une nette augmentation du travail précaire et faiblement
rémunéré offrant une protection limitée.
Deux niveaux principaux sont donc créés. Au sommet de la pyramide
figurent les entreprises qui exécutent des activités à haute valeur
ajoutée (constructeurs, fournisseurs de premier rang et quelques
sociétés de services). Dans ces entreprises, les coûts de la
main-d’oeuvre exercent une influence restreinte sur les coûts de
production. Le travail est relativement bien rémunéré et la flexibilité
de la production est assurée au moyen d'une automatisation généralisée
et de l'application de “nouvelles formes d'organisation du travail”
(telles que les hiérarchies horizontales, le travail en groupes ou les
groupes de travail autonomes). D'autre part, dans les entreprises qui
réalisent des activités à valeur ajoutée moindre (fournisseurs du
deuxième ou troisième rang et certaines sociétés de services), les
coûts de la main-d’oeuvre sont déterminants pour les coûts de
production. Le travail est beaucoup moins bien rémunéré et la
flexibilité de la production se traduit souvent par une augmentation
des charges de travail, une plus grande disponibilité des travailleurs
et le recours aux engagements temporaires. Cette différenciation des
conditions de travail est mise en oeuvre à l'aide de plusieurs
techniques. Les activités sous-traitées peuvent relever de conventions
collectives moins avantageuses pour les travailleurs - comme celle du
secteur métallurgique général, plutôt que de relever de l'accord propre
à l'entreprise du constructeur ou d'un fournisseur du premier rang, ou
encore celle d'un autre secteur où les conditions de travail sont moins
bonnes - ou, dans certains cas, ces activités sont nouvelles et ne sont
pas réglementées par les accords sectoriels (lorsque ceux-ci sont
prédominants dans les systèmes nationaux de relations industrielles).
De surcroît, la protection atteint souvent un niveau inférieur parce
que les syndicats sont sensiblement plus faibles et les relations de
travail plus individualisées.
Les conséquences sur
la représentation syndicale et
la lutte collective
La sous-traitance a entraîné une érosion de la capacité d'organisation,
de représentation et d'intervention des syndicats dans le secteur de la
construction automobile :
- les entreprises de fournisseurs ont tendance à compter davantage de
jeunes travailleurs, de femmes et (dans certains pays) de travailleurs
issus d'un milieu rural, soit autant de catégories possédant une
tradition d'affiliation syndicale moins enracinée que les travailleurs
traditionnels de l'industrie automobile. Les entreprises de
fournisseurs sont également plus susceptibles de recourir aux
engagements temporaires ou à d'autres formes de travail “atypiques”,
qui ne favorisent pas les actions collectives ;
- dans les principales entreprises de construction automobile, le
nombre d'ouvriers manuels décline, tandis que le nombre d'employés
techniques et administratifs augmente ;
- les changements dans la structure des entreprises entravent également
les actions collectives. La sous-traitance entraîne un nombre accru de
petites et moyennes entreprises (PME), dans lesquelles les syndicats
rencontrent davantage de problèmes d'affiliation ;
- la sous-traitance favorise également l'implantation en Europe
d'entreprises non européennes, qui sont parfois plus réticentes aux
structures de représentation des travailleurs et aux négociations
collectives ;
- un nombre croissant d'entreprises et de travailleurs qui exécutent
des opérations pour le secteur de la construction automobile relèvent
désormais d'autres secteurs et sont couverts par d'autres conventions
collectives (chimie, textile, transports, bois, banque, “activités
diverses”, etc.).
Dans les entreprises centrales et les fournisseurs de premier rang,
l'organisation syndicale demeure élevée, le travail a tendance à être
stable et les salaires à être relativement hauts (jusque quand ?),
tandis que la flexibilité repose sur le consensus. Dans les entreprises
qui exécutent des activités à faible valeur ajoutée, le travail est
plus instable et nettement moins bien rémunéré et les relations
industrielles sont sensiblement plus individualisées.
L’accélération de la mondialisation (pour être au plus près du marché)
et la production au coût moindre (pour inonder de nouveaux marchés)
vont conduire en Europe et aux Etats-Unis à des suppressions massives
d’emplois dans le secteur automobile. Ce sont principalement les
sous-traitants de rang 2 qui vont trinquer. Avec toutes les
conséquences désastreuses que cela va entraîner au niveau local. Mais
espérons que cela puisse amener à une réflexion sur le système “tout
bagnole”
Camille
Courant alternatif #167 mars 2007