Lu sur
Courant alternatif : "Cet article avait été écrit à la demande du trimestriel «l’Ecologiste» pour compléter les propos d’un spécialiste des vins issus de l’agriculture biologique, Jean-Marie Carité, dans le n° 3 de l’automne 2001. Celui-ci n’évoquait le soufre dans le vin que pour souligner son usage parcimonieux par les adeptes de la biodynamie. C’était une considération un peu trop vague qui appelait quelques précisions.
Programmé pour septembre 2002, cet article n’est jamais paru. Qu’est-ce qui a décidé de son retrait ? Serait-ce que son contenu centré sur le redoutable excès de soufre dans nombre de potions aurait finalement été estimé trop dérangeant parce que les vins de «la bio» n’y sont pas épargnés et, particulièrement, les normes Nature et Progrès qui sont remarquables pour leur laxisme concernant la teneur en SO2 ?
Ainsi va l’information dans les milieux «alternatifs».
On ne peut parler du vin, et encore moins de ses vertus pour la santé, sans parler de la pollution qui l’affecte encore trop souvent : l’excès de soufre. Ces informations sont de nature à tempérer l’enthousiasme de l’amateur, mais, en définitive, elles devraient permettre à quelques-uns d’éviter de ces désillusions qui peuvent éloigner du vin même ses amoureux.
Le dioxyde de soufre (SO2) est employé en vinification sous forme de différents dérivés. Mais oui, c’est bien lui : l’anhydride sulfureux, l’un des polluants atmosphériques les plus agressifs. Imaginez : une pluie acide rien que pour votre gosier ! Trois propriétés lui valent la célébrité. Antioxydant, il permet de stopper l’action dégradante de l’oxygène quand la pulpe du raisin ou le vin en évolution y sont exposés. Antiseptique, il permet de contrôler les bactéries nuisibles pour laisser se développer les levures. C’est encore lui qui est le plus efficace pour stopper la fermentation des levures et prévenir sa reprise en flacons (autrefois, comme en Grèce encore aujourd’hui, on recourait à la résine). Enfin, il blanchit ; c’est une qualité recherchée par les industriels de l’agro-alimentaire pour quantité de produits : depuis les filets de poisson séché qui, c’est bien sûr, ne se vendraient pas s’ils étaient présentés jaunâtres (au naturel, en somme) jusqu’à ces redoutables fruits secs toujours orangés ou blonds en dépit de l’oxydation qu’ils ont subie (ils sont donc normalement bruns). Des vignerons plus qu’indélicats peuvent aussi y recourir pour leurs vins blancs qui resteraient encore un peu trop rosés à leur goût.
Tant de qualités en un seul produit ont, depuis longtemps, fait oublier à beaucoup le danger pour la santé. Le risque est donc très grand puisque les sulfites sont maintenant abondamment répandus dans l’alimentation industrielle pour conserver plus longtemps et éclaircir ce qui est normalement jaune ou foncé (E 220, pour l’anhydride sulfureux, à E 227). Tous les sulfites s’additionnant, il n’est, donc, même plus nécessaire de boire deux ou trois verres de mauvais vin pour être malade. Un plat préparé, une poignée de fruits secs aux couleurs attrayantes et un verre de jus de fruits pasteurisé peuvent suffire.
Le soufre est utilisé en vinification depuis très longtemps. Et il est d’autant plus utilisé que, de la vigne au vin en bouteilles, la culture, la récolte, l’hygiène sont moins soignées. Si l’on fait pisser la vigne (taille longue pour obtenir plus de quantité, donc un jus plus pauvre), si une cueillette trop brutale blesse les raisins, si le tri est mal fait, si les cuves, les tonneaux, le chai, ne sont pas impeccablement propres, si les bonnes températures ne sont pas maintenues, le soufre permettra de tout effacer - au détriment du vin et du dégustateur (1). Et, parce que les vins blancs sont plus fragiles, ceux-ci seront plus chargés que les rouges ; d’où la mise en cause très fréquente des vins blancs dans de nombreux malaises. Seuls des soins attentifs à tous les stades permettent de réduire l’usage des différentes formes du soufre (réunies en SO2), voire de s’en passer. C’est le meilleur gage de qualité.
LES MAUX DU SOUFRE
Dans le vin traité, le soufre subsiste sous deux formes : le «soufre combiné» et le «soufre libre». Le soufre combiné est associé à d’autres éléments comme les levures et les sucres. Le soufre libre se présente sous forme de gaz dissous qui peut encore se libérer. Il est encore chimiquement disponible pour s’associer. Même dans le pire des cas, il est donc totalement inutile. La somme du soufre libre et du soufre combiné constitue le «soufre total».
Rappelons que l’anhydride sulfureux, ce sympathique additif alimentaire, se combine à l’eau pour donner H2SO3, l’acide sulfurique. C’est pourquoi les vins trop chargés, souvent des blancs, sont accusés de donner des maux d’estomac, voire des problèmes intestinaux. Les méfaits du SO2 ne s’arrêtent pas là. Il détruit aussi la vitamine B1 (la thiamine) qui, jouant un rôle essentiel dans l’assimilation des glucides, est indispensable au fonctionnement du système neuromusculaire. La carence en vitamine B1 peut, entre autres pathologies, provoquer des céphalées, des névralgies et des névrites. Voilà qui correspond justement aux malaises provoqués par l’ingestion de SO2 : «L’ignoble soufre, que nous connaissons aujourd’hui sous la forme SO2, soit anhydride sulfureux, est associé depuis fort longtemps au vin. Les Romains déjà, dit-on, le subissaient. Ne remontons pas aussi loin, contentons-nous de remonter au XVIIème siècle. Dans une lettre datée du 29 mai 1681, adressée à son frère, Pierre Bayle se plaignait de ce soufre, qui collabore à empoisonner les honnêtes gens, dans les termes qui suivent : D’ailleurs les climats froids m’étonnent extrêmement, non seulement parce qu’il faut être toujours dans les poêles, que je ne saurais souffrir à cause des maux de tête où je suis fort sujet, qu’à cause qu’on y boit, qu’on y fume, qu’on n’y a que des vins soufrés, qu’on ne saurait livrer société qu’avec des buveurs de bière, de bran-de-vin, etc. toutes choses qui me feraient vivre dans une migraine continuelle, comme j’ai eu lieu de l’éprouver en passant par quelque chose d’approchant en ce pays-ci», Constant Bourquin, «Connaissance du vin».
Pourtant, dans les années 1970/80 et jusqu’à récemment, parler du soufre dans le vin et des malaises qu’il peut provoquer étonnait la plupart des auditoires. Beaucoup se moquaient, ne sachant pas faire la relation avec les symptômes qu’ils ressentaient parfois. Des vignerons ne savaient pas bien ce qu’ils faisaient. Des médecins ne savaient rien. Tel «spécialiste» pontifiant de l’hygiène de l’alimentation attribuait à l’alcool les effets de l’intoxication par le soufre. Des toxicologues du centre antipoisons de Paris - hôpital Fernand Widal - ignoraient tout. Par téléphone, l’un d’eux m’affirma qu’il ne subsistait pas la moindre trace de soufre à l’issue de la vinification et me conseilla de cesser de boire ! Les traités de toxicologie séchaient, n’abordant que les conséquences de l’inhalation de SO2 sous sa forme gazeuse. Sur sept ouvrages consultés, je ne trouvais rien sur les effets d’une intoxication par ingestion. Mon dernier sondage semble indiquer que rien n’a encore évolué de ce côté (2). Il est vrai que j’ai, même, pu rencontrer des œnologues fraîchement formés ignorant tout des effets d’un excès de soufre sur l’organisme : les formations aux métiers du vin qu’ils avaient suivi n’en disaient rien. Si des ouvrages d’œnologie récents l’évoquent enfin - juste avant de consacrer des pages et des pages à l’art d’utiliser le SO2 -, c’est surtout pour minimiser le problème sanitaire, voire l’éluder. A les en croire, il n’y aurait aucune toxicité au-dessous de... 400mg par personne ! On commence à comprendre pourquoi certains œnologues prétendent qu’en vinification, on ajoute des doses de SO2 inoffensives pour l’organisme humain ou osent rapporter qu’ils ont fait absorber des vins contenant plus de 200mg/litre de soufre total (sic) à des patients sensibles et n’ont observé aucun résultat significatif. On aimerait pouvoir leur demander pourquoi il y a tant de malades pour des doses très inférieures. Là encore, l’esquive est classique : les porte-parole du commerce affirment sans ciller que les atteintes à la santé sont tout à fait exceptionnelles, que le phénomène ne serait connu que depuis peu et qu’il ne concernerait que des individus particulièrement fragiles, des asthmatiques et des allergiques (tant pis pour eux). Sauf que, dans le monde réel, c’est à dire non bouleversé par les conditions de l’expérience «scientifique», même une bonne santé n’empêche pas de succomber aux sulfites.
D’autres œnologues encore, dont les papilles n’ont sans doute jamais connu autre chose, prétendent que le SO2 joue un rôle positif sur le plan gustatif et qu’il rehausse en effet les qualités propres du vin. D’aucuns ont le front d’ajouter que le SO2 est bon pour les maux de gorge. Ben voyons ! parlons nous de boissons, de dégustation et de plaisir ou de médecines de cheval et de gargarismes ?
Tant d’âneries révèlent qu’il n’est pas question de remettre en cause une potion magique si rentable ! La négation de l’évidence par le discours de l’industrie permet de polluer les consciences, de dénaturer la perception des réalités, d’ensevelir le problème sous la désinformation et le doute, de retourner la culpabilité, d’anesthésier l’instinct de conservation, même chez les victimes, surtout chez les victimes - ce sont elles qui payent dans tous les sens du mot. Le corps des œnophiles a forcément tort puisqu’il se révolte contre les manipulations «scientifiques». Seul le dogme mécaniste, qui nie tout ce qu’il ne peut mesurer et quantifier, donc appréhender, dit la vérité.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que l’œnologie se définie surtout par la chimie appliquée à la fabrication et à la conservation du vin. Sans doute est-il de bons œnologues, des gens mesurés qui pensent au dégustateur plus qu’à l’argent qu’un accommodement avec la déontologie leur rapporterait. Mais ceux auxquels nous venons de prêter l’oreille doivent ignorer jusqu’au sens de «déontologie». Ils méritent entièrement l’apostrophe que Constant Bourquin leur adressait : «Trop d’œnologues ne sont que des apprentis sorciers - bardés de fausse science, couverts par des chimistes qui ne sont rien de plus que des chimistes, et généralement à l’échelon le plus bas. Ces vinificateurs redoutables, gonflés par un psittacisme tout neuf, sûrs d’eux-mêmes comme la science qu’ils croient incarner, nous leur devons pour une bonne part ces vins traumatisés sans raison - que par malheur ils nous destinent».
En toute indifférence jusqu’aux années 1990, sous la pression de la chimie, de nombreux producteurs continuaient d’intoxiquer leur clientèle. Ainsi, au lendemain d’un accident climatique, un organisme professionnel, qui joue le rôle de conseiller technique dans un vignoble célèbre, conseillait un traitement lourd au SO2, «(...) la terreur migraineuse des consommateurs. Une véritable piqûre de morphine avant l’extrême-onction. Les mêmes conseillers recommandaient, il est vrai, de multiplier les soutirages à l’air pour compenser l’excès de soufre. Mais la médication demeure massive, violente, elle se traduit par des produits rechignés, agressifs, d’une astringence désagréable en fin de bouche, comme si le vin concentrait les mauvais tanins» commentait François Werner dans Libération du 20 novembre 1987.
Max Léglise, qui nous a quittés il y a peu, n’est pas de ces œnologues épinglés par Constant Bourquin : il est la référence en matière de vinification biologique. Il souligne que l’abus de soufre constitue « (...) une atteinte grave à la santé». Dans «Possibilités et moyens de restrictions de SO2 en œnologie», un article paru dans la Revue des Œnologues n°60 de juin 1991, il précise : « (...) l’acide sulfureux libre, à côté de sa toxicité intrinsèque (souvent discutée et peut-être discutable) est un redoutable corrosif pour les muqueuses buccales, gastriques, pulmonaires et les centres nerveux, et une source de névralgies aiguës pour les consommateurs sensibles». Constant Bourquin témoignait aussi il y a trente ans : «Une forte dose doit être considérée comme létale. Les très faibles doses sont supportées, plus ou moins bien. Les doses moyennes provoquent à tout le moins des céphalées. Pour ce qui est des effets connexes et plus encore des effets lointains, nous ne sommes pas très exactement renseignés».
Pour avoir été trop souvent intoxiqué, j’ajoute qu’avec une dose relativement faible on peut très vite être victime de somnolence et avoir la tête lourde, et l’alcool n’y est pour rien. Si l’on a dépassé sa limite, les maux de tête sont souvent violents. Il peut aussi s’agir de migraines, de douleurs frontales d’une tempe à l’autre, de sensations de serrement au niveau de la nuque, de développement d’une douleur lancinante surgie à la base du crâne et s’étendant unilatéralement jusqu’à l’orbite, comme si une lance vous traversait la tête (syndrome d’Arnold), etc. A chacun suivant sa fantaisie. La barre, le cordon, la casquette, l’étau, le casque lourd, le coup de matraque... Autant d’images s’efforçant de traduire le mal d’après soufre. Tout cela s’accompagne généralement d’un état nauséeux et d’un grand épuisement qui rendent indisponible au moins jusqu’au lendemain, sans compter le temps de recouvrer ses forces après la crise d’où l’on émerge à l’état de loque.
Depuis une dizaine d’années, il y a eu une amélioration sensible. Des médecins savent. Des cavistes peuvent conseiller utilement et, surtout, des vignerons font des produits buvables et, par ailleurs, excellents. Mais, sur l’ensemble, le risque demeure ; sans doute parce qu’il est encore sous-estimé et dissimulé par des intérêts puissants qui interdisent que la teneur en sulfites soit indiquée sur chaque produit. Point besoin de boire comme une éponge pour dépasser la dose, d’autant qu’on ne peut pas sélectionner tout ce qu’on boit, ce qu’on mange et ce qu’on respire. Trois bières à la pression en une après-midi, trois bières légères comme on en boit au bord des canaux d’Amsterdam ; deux petits verres bus avec circonspection en deux repas, et quoi d’autre ? La nourriture industrielle du restaurant d’entreprise ? La salade préparée du supermarché ? Le repas chez les amis ? Vous risquez de ne jamais le savoir, mais vous voilà parti pour seize ou vingt heures douloureuses et épuisantes, plus peut-être. Chaque année, entre anéantissement et longue récupération, ce sont des jours entiers perdus pour soi, pour les autres, pour la vie. De toute évidence, même sur un terrain initialement fort, la répétition de ce genre d’intoxication sensibilise, fragilise, mine l’état général, laisse des traces à long terme, peut déclencher ou aggraver une spirale de dégradations de la santé dont il sera très difficile de se relever.
La connaissance des maux dus aux vins frelatés relativise beaucoup les doctes déclarations sur les vertus sanitaires du vin, sans autre précision relative à la qualité. Un vin malhonnête, c’est à dire un vin trafiqué et soufré, est l’un des breuvages les plus malsains qui soient. Un critère simple pour juger de la qualité d’un vin : qu’il désaltère. « (…) lorsqu’un vin ne me déqaltère pas, il ne saurait être bon », Constant Bourquin, ibidem.
ALORS, CES VINS BIO ?
J’ai cru trouver la solution avec les boissons issues de l’agriculture biologique. C’était une déduction trop simpliste. J’appris simultanément qu’il se trouvait des viticulteurs non «bio» faisant des vins sans soufre, ou juste un soupçon, et qu’il ne fallait pas boire les yeux fermés tous les liquides issus des cultures libérées de la chimie. Bientôt, un cidre et deux vins «bio» m’apprirent la méfiance. Je dois à trois verres du premier un des plus graves et des plus longs malaises dus au soufre jamais éprouvés. Eberlué, je demandais communication des cahiers des charges réglant les teneurs maximales en soufre des vins et autres boissons auprès des organismes biologiques de contrôle. Etonnement : ceux qui me répondirent indiquaient des tolérances certes très inférieures à la réglementation officielle, mais toujours capables d’étendre son homme pour le compte.
Telles étaient les doses admises en octobre 1997. (voir ci-dessous)
On remarque le laxisme de la norme AB (Agriculture biologique) européenne qui, de toute évidence, est réglée par des considérations encore très éloignées de la qualité des boissons et de la santé des amateurs.
A la même époque, en bio-dynamie, les doses tolérées étaient simplement alignées sur les normes AB. La situation n’a guère évolué puisque les organismes de contrôle en bio-dynamie ne témoignent pas d’une sensibilité particulière à l’égard du SO2 et étaient simplement en attente d’un nouveau cahier des charges AB.
Partie de la grande famille de l’agriculture biologique, la biodynamie recourt à des « préparations » qui, répandues sur les composts et les cultures, stimulent la vitalité des populations bactériennes, donc la fertilité des sols et la croissance des plantes.
Dans son cahier des charges de 2002, Nature et Progrès commence par déconseiller l’apport de soufre avant d’encadrer plus strictement son usage que précédemment. Cependant, les doses de SO2 total restent, curieusement, inchangées. Seule la tolérance vis à vis du SO2 libre a été limitée :
vins rouges. 10 mg/litre à la consommation
vins blancs ou rosés 15 mg/litre
‘’ la limite maximale est fixée à 20 mg/litre (l’avis d’un oenologue est requis pour justifier le dépassement).
L’analyse des teneurs en soufre libre et en soufre total est obligatoire dans un délai inférieur à 2 mois.
Il y a un progrès, mais qui n’intéressera que médiocrement l’amateur qui goûte peu le soufre. En effet, pourquoi diminuer le soufre libre sans faire de même avec le soufre total ? Le maintien des mêmes dosages de soufre total implique que la tolérance est plus grande qu’avant pour le soufre combiné. Cette permanence de la négligence vis à vis de la teneur en soufre combiné ne viendrait-elle pas du fait que certains, tel Max Léglise, ne soupçonnent que le soufre libre de présenter un danger? Mais les médecins désormais informés désignent fort logiquement la somme du soufre libre et du soufre combiné, c’est-à-dire le soufre total, comme responsable des maux. La confusion toujours commune sur le sujet semble surtout trahir une ignorance encore très grande sur les effets du soufre ingéré. Cette opinion est renforcée par l’imprécision des formules relatives au sulfitage qui émaillent les livres sur le vin : «doses raisonnables», «doses en dessous du minimum jugé acceptable par les oenologues» (et les consommateurs?), «éviter les doses excessives», «usage aussi limité que possible, voire exceptionnel dans certaines régions», etc.
Au total, même pour les «bio», nous avons toujours le droit d’être malades.
Un seul coup d’œil à ces cahiers des charges suffit à comprendre pourquoi on ne peut pas parler de vins «bio» mais de «vins issus de l’agriculture biologique». Sans même évoquer les doses tolérées par la Communauté Européenne au pouvoir des industriels, les normes des organismes de l’agriculture biologique sont stupéfiantes. A quoi peuvent bien servir de telles doses en vinification de produits censés être sains, concentrés et bien traités ? Tant de soins attentifs à tous les stades, de la culture à la conservation, ne devraient-ils pas conduire à une diminution drastique du soufre combiné et du soufre total ?
D’après les professionnels du bon vin, ces doses sont plus qu’excessives. Max Léglise ne s’embarrasse pas de circonlocutions, il tranche : « L’emploi intensif de SO2 est l’un des grands abus de l’œnologie chimique, et il est incompatible avec l’option biologique (...) Les doses proposées actuellement par la plupart des cahiers des charges en viticulture biologique sont exorbitantes sur le plan de l’hygiène et de la santé, et tout à fait inutiles sur le plan technique». Rappelons que la FAO et l’Organisation Mondiale de la Santé ont ensemble fixé à 0,7mg/kg de poids corporel la dose de soufre maximale admissible ; l’OMS recommandant par ailleurs de ne pas dépasser 25mg/jour/adulte. Nous voilà loin du plancher des 400mg indiqué par certains œnologues.
Heureusement, d’après mon expérience, beaucoup de viticulteurs sont plus raisonnables que les cahiers des charges. Mais, méfiance... Il ne suffit pas d’interroger les vignerons pour savoir.
Pour en avoir le cœur net, j’ai fait analyser trois vins : un authentique bouillon d’onze heures, un liquide suspect et un vin sans soucis. Le premier, un blanc, sentait le gaz sulfureux à plein nez et brûlait la gorge de façon caractéristique. Juste bon pour l’évier ! Certes, il n’était pas «bio», mais c’était loin d’être un bas de gamme et son producteur m’avait juré utiliser le strict minimum de soufre. Il révéla 125,44 mg/litre de soufre total. Un poison. Le rouge agressif qui chauffait un peu l’œsophage et m’avait incommodé, contenait 65,28mg/l. Un rouge issu de vignes biologiques, désaltérant et bon compagnon de plusieurs années, avoua tout de même 35,2mg/l, toujours en soufre total. Donc, 1 litre de ce vin que je croyais insoupçonnable contenait 10mg de plus que la dose journalière maximale pour un adulte recommandée par l’OMS. Et moi qui, aux yeux de quelques amis, passait pour un «sujet sensible». Bel exemple de renversement de la logique du fait de la propagande des chimistes : c’est l’amateur qui passait pour anormal, pas l’acide sulfurique dans la boisson (3) ! Trente cinq milligrammes... cela ne laisse guère de place aux E 220 à 227 qu’on risque fort de rencontrer dans les autres aliments et à l’apport inhalé dû à la pollution atmosphérique qu’il ne faudrait pas oublier. Trente cinq milligrammes... c’est encore trop pour les jours de fatigue et de faible résistance.
Grâce à cette analyse (36 euros par vin en 97), j’étais désormais informé sur mes capacités de résistance mais j’ignorais toujours tout de la dose maximale qu’un honnête vin peut contenir et aucun des spécialistes interrogés ne daignait me répondre.
Constant Bourquin aborde le sujet : «De parfaits vinificateurs que j’ai consultés estiment que le SO2 total, au moment de la mise en bouteille, devrait ne pas dépasser 120 milligrammes et ne pas atteindre 35 milligrammes en SO2 libre. Au delà de ces doses, modérées, répétons-le, le vin sent le soufre et il peut provoquer des malaises (…)». Diable ! Rassurez-vous, ces données datent de 1970. En quoi fallait-il être fait pour survivre à pareille potion ? En note, il indique quand même que «des professionnels très sérieux» n’admettent pas plus de 50mg en total et 20mg en libre. C’est dire si la situation était grave à l’époque.
Max Léglise est plus clair : «Dans l’option biologique, la norme à adopter est l’absence totale de SO2 libre dans le vin au moment de la consommation (...)». Nous voilà loin des doses tolérées par les organismes de contrôle «bio». Pour ce résultat, il préconise le sulfitage dynamique qui, à la différence du sulfitage statique, visant à surdoser pour maintenir du SO2 libre dans le vin, procède par apports mesurés et analyses pour s’assurer de la disparition du SO2 libre.
BIO OU PAS, CHOISISSEZ LA SANTE
Pour comble, c’est du côté de la viticulture non biologique que j’ai capté la seule information de ma recherche sur la dose maximale à ne pas dépasser à la mise en bouteilles. C’est un partisan du minimum de soufre, voire de son absence, qui indique que, vraiment si la cuve l’exige, il ajoute 15mg/litre à ce moment crucial, pas plus. Ainsi, des vignerons en recherche de qualité et soucieux de la préservation de la santé, de la nature et des consommateurs, tendant sans doute vers «la bio» mais ne s’en réclamant pas, font des vins libérés du soufre ou n’en contenant que très peu. Grand avantage : les arômes se révèlent comme jamais. L’amateur est également libéré, pouvant tout à loisir se concentrer sur les qualités organoleptiques. Il est, d’ailleurs, d’autant plus libre d’apprécier que l’alcool - le bon, pas celui qui résulte de la chaptalisation - est plus facilement assimilable par un organisme en forme.
Donc, gare aux a priori. Il ne faut pas accorder sa confiance à qui brandit un label biologique et la refuser à d’autres sans y regarder de plus près. On doit interroger les producteurs sans relâche et ne rien laisser passer. Le mieux est d’avoir un bon caviste, c’est-à-dire un caviste sensibilisé au problème. Et puis, comme en tous domaines, il faut s’informer, s’informer encore, questionner, vérifier et, quand on la trouve, faire circuler l’information pour la confronter.
Deux mesures très attendues pour améliorer la qualité des vins et préserver la santé des consommateurs :
Le respect du conseil de Max Léglise : pas de soufre libre à la consommation.
L’indication de la teneur en soufre total sur les étiquettes des vins et des autres aliments. C’est une information indispensable pour apprendre à connaître sa sensibilité et à se prémunir.
On attendra avec une attention particulière l’évolution des organismes de l’agriculture biologique. N’est-ce pas un minimum que l’on est en droit d’attendre d’eux ?
A VOTRE SANTE !
Ah, un mot encore : ne ratez pas MONDOVINO, le film documentaire de Jonathan Nossiter sur les mondes du vin. Plus fort que beaucoup de démonstrations, long en bouche, il met à nu la technocratie mercantile telle qu’en elle même, coupée de ses racines, superficielle et suffisante, face à l’humanité des artisans enchâssés dans l’histoire des peuples et des écosystèmes. Le rachat de vignobles entiers par des spéculateurs qui les détournent pour produire des breuvages standardisés suivant le goût susceptible de plaire au plus grand nombre de consommateurs déformés par les sodas illustre aussi la longue histoire la spoliation des communaux. Une fois de plus, on assiste à la métamorphose d’une création de l’écosystème, de l’histoire et de la culture des hommes, donc d’un bien construit en commun, en produit récupéré et détourné par la finance et l’industrie chimique.
Sur la civilisation des communaux :
«Renversement et rétablissement de la culture conviviale : Le sens de l’économie, La convivialité volée, Restaurer le politique», Silence septembre, octobre, novembre 1999, n° 248/249/250. Une nouvelle parution est préparée par les éditions Pli Zetwal, Coppéré, 42 830 Saint Priest la Prugne, Email : plizetwal@free.fr.
Alain-Claude Galtié Burgevin - 2002/2004
(1) A propos de la cueillette et du tri, on ne peut passer sous silence les méfaits de «la machine à vendanger qui recueille les bons raisins comme les grises mottes privées de sève ou des feuilles (…) L’économie de fatigue pour la main-d’œuvre devient une économie de saveurs pour le consommateur : l’impossibilité du tri, l’éclatement des raisins suscitent une oxydation à laquelle les œnologues parent en utilisant des doses massives de SO2. Le soufre bloque toute fermentation en bouteille. Le vin ne risque plus de pétiller, le goût se calme d’autant, sauf la migraine. » Jean-François Werner dans Libération du 15 novembre 1989. Les vins destinés au grand commerce (et, plus encore, à l’exportation), vins dont les flacons seront inévitablement remués, secoués, exposés à des variations de température, à la chaleur, à la lumière, maintenus debout avec le bouchon sec... sont également davantage traités que les vins réservés à la vente directe ou aux cavistes.
(2) Même sur Internet, la collecte est maigre. On trouve surtout des énormités manifestement écrites par des serviteurs de l’industrie chimique, même quand ils se réclament de l’université.
(3) Depuis, presque tous les moqueurs ont, à leur tour, succombé sous les assauts du toxique. Tel qui riait de moi est tombé raide victime d’une migraine carabinée après la dégustation retenue d’une petite merveille gratifiée d’une médaille d’or au concours agricole. Voulant en avoir le cœur net, le lendemain soir, une fois le malaise dissipé, il a fini la bouteille et est reparti pour un tour de manège.
Sources utiles :
Constant Bourquin, «Connaissance du vin. Le bréviaire de l’amateur», Editions Marabout 1970.
Max Léglise, «Les méthodes biologiques appliquées à la vinification et à l’œnologie. Vinifications et fermentations», Le Courrier du livre 1994.
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