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La perception de Provo par la contreculture italienne des années soixante à nos jours
--> Les origines de mai 68
Lu sur Congress 70 : "Le 4 novembre 1966 parut dans Il Giorno, un article sur une manifestation d’une cinquantaine de jeunes qui s’était produit à Milan, et dont le titre disait: "I capelloni si sono organizzati come i ‘provos’ olandesi. Ieri, 4 novembre 1966, prima manifestazione ufficiale antimilitarista, erotico-pacifista (make love, don’t war) dei beatniks della Madonnina" (Pivano 88). Dans ce texte une expression juvénile italienne, ‘i capelloni’, était mise en relation avec une expression rébelle hollandaise, le mouvement Provo d’une part, et une manifestation contreculturelle américaine, les beatniks, de l’autre. Au début des années soixante les cultures alternatives à travers lesquelles la jeunesse l’Angleterre et les Pays-Bas. Dans un article paru en novembre 1965 dans le Corriere della Sera de la part de Paolo Bugialli, devenu fameux par la suite, cette nouvelle culturele de jeunes fut dénoncée (Marwick 493).

Le présent article se veut une première interrogation sur le contexte transnational de la génèse de la contreculture italienne dans les ‘années ‘68’ (Dreyfus-Armand 13-21). Loin d’être exhaustif, notre curiosité porte sur la perception et la réception du mouvement Provo néerlandais en Italie. Tout comme en Belgique, France, Grande Bretagne, Allemagne, Suède ou bien en Tchécoslovaquie, Provo laissa des traces – dans des cultures alternatives et dans la presse. Avant de considérer ce que Provo représentait pour l’émergence de cultures alternatives et contestataires en Italie, regardons d’abord de plus près le mouvement Provo tel qu’il se manifestait aux Pays-Bas. [1]

L’essor Provo

Provo se constitua au printemps de 1965 à Amsterdam et peut être considéré à la fois comme une expression politique et culturelle. Contrairement au mythe de la génération baby-boom, selon laquelle les cohortes nées dans les années quarante auraient constitué l’alpha et omega des ‘swinging sixties’, Provo fut avant tout un phénomène multi-générationnelle. Ce mouvement contestataire qui rassemblait une nébuleuse complexe sous plusieurs noyaux se caractérisa en même temps comme sociologiquement mixte et géographiquement diverse.

Le terme ‘Provo’ vient de provoquer, provocare, ce qui implique une action, une activité. D’une part provoquer la société moderne de la deuxième moitié du vingtième siècle: critiquer les autorités, ridiculiser le comportement des classes politiques, questionner les opinions reçues et les mentalités existantes. De l’autre, ce phénomène témoigna également d’un rêve utopique: un plaidoyer pour vivre autrement, une tentative de vivre plus consciemment et de trouver des modes de vie alternatifs. Provo fut la manifestation d’une révolution expressive, artistique, créative, ludique et profondément impregnée de valeurs romantiques. [2] Les provos agissèrent dans la pratique, ils ne théorétisèrent pas ou peu leurs convictions pacifistes, anti-militaristes et anti-capitalistes. Difficile donc de le ranger parmi les mouvements d’avant-garde ‘classiques’, comme le Futurisme ou le Situationnisme.

Provo prôna une nouvelle politique et un style de vie expressif. Les activistes néerlandais avancèrent un répertoire d’action très varié. D’une part, ils montaient des actions classiques, participaient aux manifestations type grand cortège bien organisé (dans le cadre des manifestations contre la guerre du Vietnam), s’inscrivaient aux élections municipales et sortaient une revue mensuelle. Parallèllement, le mouvement se distingua de toutes ces formes connues en soulignant un côté artistique et créateur, ce dont témoignaient les fameux ‘happenings’. Ce théâtre en plein air avait été développé à partir de 1961 par Robert Jasper Grootveld, un marginal appartenant à une génération plus âgé (il était né en 1932). Ce Mouna Aguigui néerlandais fut un intermédiaire culturel (Vovelle 171-84) avant la lettre. Pour ses happenings il puisait à la fois dans des registres artistiques [3] et charivaresques, ces formes anciennes d’actions collectives qui visaient à dénoncer et à ridiculiser. Son théâtre expressif en plein centre d’Amsterdam rélévait donc à la fois de la folklore et de l’art moderne. Pour Grootveld, qui se considérait être un exhibitionniste, c’était en même temps un moyen de générer de la publicité et de se faire connaître devant l’opinion publique. La jeune bande des provos qui comprenait quelques dizaines de personnes tout au plus s’inspira de ce prophète et instrumentalisa la formule du happening pour leur propre cause.

A partir de mars 1966 commença la deuxième phase dans la vie du mouvement et celle-ci se caractérisa par une reconnaissance croissante en dehors d’Amsterdam et des milieux d’activistes et, en même temps, par un début d’institutionnalisation. C’est à travers trois événements que les provos se firent connaître sur un plan international. Le 10 mars 1966 ils jetèrent des bombes fumigènes au sein du cortège nuptial de la princesse Béatrice et l’Allemand Claus von Amsberg. Les images télévisées de cet incident firent le tour du monde. Quelques mois plus tard, en juin 1966, les provos apparirent sur les Unes des journaux et dans les émissions à la radio et la télévision après avoir annoncé leur participation aux élections municipales. Dans cette période, Amster ­dam fut le décor d’une révolte ouvrière. La responsabilité de cette émeute fut attribué à Provo. Ces événements entrainèrent une médiatisation galloppante qui fit que Provo devint un phénomène connu sur un plan mondial.

Parallèllement à ce développement le mouvement devint un style, une forme fixe et, dans ses composantes, un phénomène figé. Les actions spectaculaires dans la rue disparirent en faveur de participations aux débats en salle et dans les écoles devant des étudiants; quelques-un des chefs de file commencèrent à réaliser des rétrospectives sur leur propre engagement. Ajoutons également les écrits d’innombrables spécialistes, sociologues et psychologues, criminologues et politologues, journalistes et publicistes confondus, qui s’interrogèrent sur ce groupe rébelle surprenant. Ensuite plusieurs éléments du répertoire expressif furent repris par l’industrie culturelle. Dans la mode, la musique beat, le cinéma et même dans la publicité il y eut des tentatives de capitaliser l’esprit provo en vogue, notamment le concept de leurs fameuses idées blanches. Les folk devils d’Amsterdam, à l’instar des Mods et Rockers anglais au début des années soixante en Angleterre, devinrent à la mode, furent imités, assujettis aux stratégies marketing et absorbés par la société de consommation (Cohen). Provo, puissant symbole de l’anti-structure, devint lui-même de plus en plus structuré. Dans une tentative de devancer tant bien que mal ce développement, les chefs de file décidèrent de passer à l’auto-dissolution. En mai 1967, deux ans après les premières actions montées, le mouvement se saborda avec un happening dans le Vondelpark à Amsterdam.

Diffusion d’un modèle contreculturel en Italie

Comment expliquer la diffusion des idées et des tactiques provocatrices à l’étranger, en l’occurence en Italie? A cet effet, nous proposons de distinguer parmi quatre vecteurs qui aideront à expliquer ce processus (Hollstein 35). En premier lieu, des itinéraires personnelles, des Italiens se rendant à Amsterdam comme l’éditeur Giovanni Semerano ou bien le jeune beatnik Vittorio di Russo. Chacun à sa manière ces personnes s’inspirèrent du groupe amstellodamois. Semerano demanda au journaliste Paolo Romano Andreoli d’écrire un livre sur les provos intitulé Provo, qu’il fit sortir en 1967 [4] tandis que Di Russo alla jouer un rôle important dans les milieux contreculturels de Milan, à partir de l’automne 1966 (Guarnaccia 1997, 143-45).

Un deuxième vecteur concerne la circulation des informations dans des milieux militants, anarchistes, gauchistes et activistes de tous bords. Assez tôt, dès l’été 1965, ces cercles – dans lesquels notamment des groupes libertaires français tenaient une place importante – se renseignèrent sur ce qui se passait aux Pays-Bas et en témoignèrent dans leur revues. Des militants se rencontraient également lors des manifestations internationales (contre la guerre du Vietnam, l’opposition à la guerre étant l’un des catalysateurs de la contestation naissante), pendant les vacances de Pâques ou d’été aux campings libertaires ainsi qu’aux congrès et débats internationaux.

Troisième vecteur important dans cette diffusion, le rôle de la presse et les mass média (les grandes magazines, journaux et hebdomadaires confondus) d’un côté, la radio et la télévision de l’autre. Soulignons qu’en 1966 le mariage de Béatrix fut l’événement le plus amplement médiatisé dans l’histoire hollandaise et diffusé dans le cadre de l’Eurovision. Le journaliste italien Andreoli a remarqué à cet égard:


I giornali italiani ne avevano parlato in occasione del matrimonio della Principessa Beatrice d’Olanda con il diplomatico tedesco Klaus Von Amsberg. Il corteo nuziale, riferivano i cronisti, era stato disturbato dai ‘provos’, da giovani provocatori, forse reppublicani, o comunisti; forse solo ragazzacci. Ma quei ragazzacci avevano conquistato nel giugno del 1966 un seggio nel Consiglio Municipale di Amsterdam e la storia cominciava a diventare interessante.

Le dernier vecteur que nous devons prendre également en considération concerne les publications Provo, articles et livres confondus, traduites en langues étrangères. Parmi ceux-ci figurent le fameux ‘appèl au provotariat international’ (‘Appello al Provotariato internazionale’ dans Provo (Milano) numéro 2, 1967) ou bien des articles de la main d’un des chefs de file, Roel van Duijn (1943), comme par exemple son "Introduzione al pensiero provocatore" qui fut publié dans Arte Segrete (1967).

Sa réputation fit que Provo suscita des réactions très diverses: il est hors de doute que dans la grande majorité de la presse italienne, il y avait peu de souci de différencier et de nuancer ce que fut que Provo. D’un côté, il y avait la presse libérale, L’Espresso ou Panorama, dont les articles montrèrent un monde exotique et captivant; de l’autre, le Corriere della Sera qui avança le côté scandaleux (Lumley). Mais il est vrai aussi que les provos suscitèrent l’admiration de la part d’une frange de la jeunesse italienne. En voici un exemple d’un fragment issu d’une lettre envoyée par des étudiants de Prato:

We are a group of Italian students and we have read in several newspapers of Provo’s demonstrations in occasion of princess Beatrice’s wedding day […] We want to show you all our solidarity for your cause! We have read many things about Provos and now we know that you are fighting for a great ideal: […] We also admire you because we see in you the incarnation of the spirit of liberty of all the young ones in the world: Young Ones want to be free and we hope we shall be like you, though in Italy we are still far from a real freedom. (Savorelli et Carboncini)


Pour ces étudiants, qui expriment dans ce texte le désir de se libérer des contraintes qu’ils éprouvent devant la société italienne, Provo fut un symbôle de liberté.

Parfois cette admiration alla plus loin: des revues et groupes contreculturels naissants, comme Mondo Beat et ‘Onda Verde’ à Milan ou ‘Gruppo Provo Roma’ à Rome s’inspirèrent profondément des Néerlandais. Ils s’intéressèrent notamment au "metodologie provocatorie" ou bien "metodi di provocazione ironica" et se manifestèrent pendant des happenings contre la guerre du Vietnam ou à travers des actions ludiques dirigées contre les visites de chefs d’Etat de pays occidentaux en Italie (Echaurren et Salaris 26-27, 31, 35).


Tout comme leurs homologues néerlandais, les militants italiens se déclaraient pacifistes, anarchistes dotés de l’autodérision et d’humour ironique et se montraient critiques envers la société de consommation. Une comparaison de leurs pamphlets et publications avec ceux de Provo, aussi bien d’un point de vue du discours (le style) que du contenu (les thèmes abordés) reste encore à faire. Mais la ressemblance entre les idéaux, et la manière dont ceux-ci passèrent entre les jeunes générations italiennes et néerlandaises, semble confirmée. Les Italiens aspirent également "scatenare una guerriglia controculturale condotta con le armi della satira e del gioco." (Echaurren et Salaris 32). Ils essayèrent d’imiter répertoire et idées de ce que c’était que Provo, un peu comme il en arriva à la musique beat d’époque quand, sur le vieux continent, apparirent de groupes de jeunes à imitation Beatles et Rolling Stones.

Dans une certaine mesure les provos amstellodamois figurèrent donc comme role models, bien entendu parmi d’autres modèles, pour cette frange de la jeunesse italienne appartenant à la contreculture naissante. Ainsi s’opéra un transfer symbôlique: dans plusieurs manifestations l’emblême et le nom ‘Provo’ figurèrent sur les panneaux et pancartes. Dans plusieurs villes le style vestimentaire provo, à travers jeans et blousons blancs, apparut dans les rues.

Provo en tant que source d’inspiration ou mode de critique qui permit aux adeptes de la contre-culture italienne d’avancer des thèmes propre à la société italienne. Par exemple, le ‘Gruppo Provo Milano Uno’ diffusa à Noël 1966 un tract ronéotypé intitulé ‘Provokazione. Messagio papale al provotario italiano’. Ce texte était un pastiche d’un discours du pape, tout comme les provos néerlandais diffusèrent des tracts contenant des déclarations inventées et attribuées aux autorités hollandaises. Dans le tract milanais, le pape tient un discours assez farfelu dans lequel il avoue ne plus pouvoir supporter la guerre au Vietnam:

Non posso più sopportare questa guerra terribile. Cosa possiamo aspettarci da une Chiese piena di gente che rutta, tutta piena di vino e carne, e che ogni anno permette ai maghi della reclam di eccitare l’erezione economica natalizia. E per questo, provos, figli miei, che io ripongo la mia ultima speranza in voi: La festa natale e una festa pagana – percio’ partecipate! Pisciate nell’acqua benedetta, guerra sulla terra, pace in Viet-Nam!

Toutefois, à l’encontre des Néerlandais, qui eurent développé leur répertoire d’action à tâtons, en improvisant beaucoup, les groupuscules italiens tentèrent de systématiser les différentes formes de manifestation. Des textes parus dans Mondo Beat en témoignent. Dans ces fragments il est question de ‘metodologia strategica’ et ‘metodologia tattica’, termes d’ailleurs, que les provos néerlandais n’emploièrent jamais (De Martino et Marco Grispigni 404-05).

Fin 1966 les contacts s’intensifièrent entre Néerlandais et Italiens, ce dont témoigne un congrès anarchiste international à Milan. Deux provos hollandais étaient présents, Rob Stolk (1946-2001) et Tom Bouman (1937). Ce dernier fut un ancien journaliste du quotidien Het Parool qui s’était rapproché du groupe au point de devenir un drop out de son milieu professionnel. Stolk et Bouman firent un exposé sur le mouvement qui fut longuement discuté. L’issu du congrès fut assez paradoxal: d’un côté les anarchistes latins admettèrent que la tactique de la provocation était "un des moyens les plus effica ­ces d’intéresser les gens" et ils manifestèrent beaucoup d’estime pour la provocation en tant que "forme d’action". Mais, de l’autre, le congrès reprocha à Provo son faible sujet théorique (refus de croire encore à une analyse de classes sociales, le prolétariat s’opposant à la bourgeoisie) ainsi que son parlementarisme. La participation aux élections municipales d’Amsterdam en juin 1966 qui résulta en un siège au conseil municipal, siège occupé par le provo Bernhard de Vries (1941), nuisa à l’anarchie et fut considéré comme une forme "d’identification a l’ordre établi". Il est intéressant de voir que les militants latins avaient du mal à reconnaître le côté publicitaire et ludique dans cette participation aux élections. Pour les provos ce fut "un moyen comme un autre de faire de la publicité" même si tous au sein du groupe ne furent pas d’accord. [5] Le mouvement néerlandais Provo suscita non seulement de l’admiration mais prêta aussi au malentendu. Apparemment l’idée Provo diffusée par les milieux militants et la presse ou les médias ne correspondait pas toujours à l’idée que les provocateurs amstellodamois se faisaient d’eux-mêmes.

Vers une esthétisation croissante

Malgré l’attention internationale portée à ce qui se passa aux Pays-Bas en cette houleuse année 1966, les limites de la diffusion de l’image provo hors des frontières hollandaises furent assez rapidement atteintes. Début 1967, le fameux éditeur Giangiacomo Feltrinelli s’adressa à Provo et demanda leur coopération pour faire sortir en Italie une antologie du mouvement. A deux reprises il s’adressa aux Amstellodamois: "I would like to inquire about progress in the Provos anthology we talked about when you were in Milan. I am still very interested in this idea of publishing such an anthology in Italy." En vain. Sa demande resta sans réponse. Il en était de même d’un projet d’une artiste néerlandaise habitant Milan, Conny van Kasteel, dont l’idée de publier un livre sur les contestataires chez Giordano Editore n’aboutirait pas. Et dans le cas où une publication sur Provo sortit, comme il en fut le cas du livre écrit par le journaliste Paolo Romano Andreoli en 1967, la réception fut plutôt décevante à en croire l’auteur: "Amici giornalisti ne parlarono sui loro quotidiani, ma non trovai molti lettori." [6]

Plusieurs commentataires soulignèrent qu’il était tout simplement difficile d’imiter la tactique de provoquer ou d’intéresser l’opinion publique pour ce qui se passa aux Pays-Bas. Regardons les paroles de Matteo Guarnaccia à cet égard:

in un paese pietosamente conformista come l’Italia, ossessionato dalle portinaie e dai vicini (chissà cosa diranno i vicini?), a provocare lo stato basta veramente poco. E lo stato italiano, che non è un sistema moderno ed elastico come quello olandese, risponde come ha sempre risposto contro le idee nuovo, ‘a mazzate’.


Et, pour ajouter une vérité stéréotypé: "l’Italia naturalmente non è l’Olanda" (144-45).

Il est vrai que l’esprit ludique et critique des provos pourrait être facilement reconnu à l’étranger, mais l’appliquer dans un contexte tout différent de celui des Pays-Bas fut tout à fait autre chose. Il fut donc difficile de concrétiser la tactique de la provocation dans un environnement autre que celui d’Amsterdam. De la réception et perception Provo en Italie reste surtout l’idée d’une source d’inspiration pour une frange de la jeunesse militante et engagée ou s’identifiant avec la contre-culture naissante. C’était une source d’inspiration et un symbôle de vivre autrement plutôt qu’un véritable exemple à imiter.

Provo représenta bel et bien l’idéal d’un collectivisme utopique, libertaire et pacifiste et fut, jusqu’à un certain degré, un role model pour une culture alternative et latine. De l’autre, sur un plan individuel et commercial cette fois-ci, il y eut une spectacularisation croissante de l’image Provo. Celui parmi les provos d’Amsterdam qui était devenu une personnalité médiatique après avoir été élu conseiller municipal, Bernhard de Vries, fut contacté début 1967 par le cinéaste Ugo Liberatore après que celui-ci avait remarqué ce provocateur aux traits nordiques dans un entretien paru dans un hebdomadaire italien pour jouer dans un de ses films. De Vries abandonna son siège, partit pour Rome, réalisa son rêve et joua dans Il sesso degli angeli. Au total il devait jouer dans cinq films italiens dans la période 1967-1972. Notons que Il sesso degli angeli porte sur la consommation de drogues par la jeunesse. A travers la culture populaire, en l’occurence le cinéma, des thèmes émanant de la contre culture furent introduits dans la société. [7]

Le symbôle provo le plus connu sur un plan international, aussi bien en Angleterre qu’en Italie, fut celui de la bicyclette blanche. Blanc, parce que c’était le symbole de la pureté et parce que cela traduisit un côté mystique ce que les provos appelèrent ‘magie blanche’ versus ‘magie noire’. Chez Provo il y avait une forte volonté de puiser dans la mythologie, le mysticisme et la théosophie. Ce genre de références religieuses et symboliques ne furent d’ailleurs jamais bien vus par des groupes militants hors des Pays-Bas. La prédilection pour cette couleur s’explique également par le fait que cela impliquait une dichotomie qui servait bien leur cause: blanc et noir, le bien et le mal, la gauche versus la droite, l’individu rébelle versus le conformiste autoritaire, la jeunesse progressiste versus le vieux bourgeois réactionnaire - tous des schémas interprétatifs et quelque peu simplificateurs certes, mais qui se révélèrent très efficaces devant les médias et l’opinion publique.

Les provos lancèrent d’innombrables plans blancs plusieurs dizaines couvrant tous les aspects de la vie quotidienne. Ce fut celui de la bicyclette blanche qui devint le symbôle d’une forme de contestation originale. Le vélo blanc représentait une expression utopiste voire collectiviste – bicyclettes à la disposition de tous les citadins, écho lointain du fameux ‘la propriété, c’est le vol’ et écologiste le vélo en tant qu’alternative pour la voiture, afin de rendre les centres-villes plus vivables. Même s’il ne s’agit pas d’une idée originale (aux Pays-Bas ce genre d’initiatives avait existé avant que ne se manifeste Provo) la force de ce plan résida dans sa présentation originale, expressive et artistique. Ce fut une manière ludique de tirer l’attention sur le problème de la qualité de la vie dans les grandes villes. Qui plus est, la bicyclette rentra parfaitement dans les stéréotypes de la Hollande classique connue dans le monde entier: pays non seulement des digues et tulipes, mais aussi celui des vélos et, par la suite, de la marihuana. La bicyclette devint le totem Provo par excellence à l’étranger. Il y eurent des tentatives d’imitation et dans plusieurs villes apparurent en 1966 et 1967 des bicyclettes blanches: de Bruges en Belgique en passant par Oxford, Londres et San Francisco.

A l’étranger, nous retrouvons cette idée sous plusieurs formes, parmi lesquelles figure la chanson Le Biciclette Bianche, écrit par Francesco Guccini et chantée en 1967 par Caterina Caselli: "Una mattina ti alzerai / un mondo un mondo bianco / e un mondo bianco troverai / un mondo mondo bianco […] Andremo per tutto il mondo poi, su biciclette bianche / e tante voci sentirai cantare assieme a noi". Cette chanson ne fut pas l’unique exemple de la manière dont une forme d’expression originelle fut absorbée par l’industrie musicale. Il en était de même pour la chanson My white bicycle du groupe anglais beat psychédélique Tomorrow.

A quel point l’idée de la bicyclette blanche en tant que totem artistique et symbôle d’une pensée écologiste est présente jusqu’à nos jours dans l’Italie contemporaine nous est montrée par l’exposition Senza mani! Provos e biciclette bianche, réalisée en 2001 à Milan, dans la galérie Antonio Colombo Arte Contemporanea. Pendant l’inauguration de l’exposition – qui fut largement couverte par la presse italienne – il y eut la volonté de créér une ambiance provo avec le groupe rock Timoria jouant "un pezzo inedito ispirato al movimento dei Provos". [8] Un autre exemple de la force de cette image Provo par excellence nous est fourni par des publications actuelles comme Abitare. Ce mensuel liant design, art et architecture consacra en 2002 un numéro spécial aux Pays-Bas avec, parmi d’autres articles, une contribution de la plume de Guarnaccia sur Provo et la fameuse bicyclette. Dans ce genre de manifestations et publications le côté anti-autoritaire, utopiste ainsi que l’esprit ludique de Provo est avancé certes, mais il est souligné aussi une dimension nostalgique et esthétique. De cette manière, rétrospectivement, le caractère original et subversif du mouvement historique Provo est fourni d’une légitimité politique et esthétique.

Niek Pas (Institut Mediastudies, Université d’Amsterdam)

Remerciements

Je remercie Luuk Dijkstra d’avoir lu et corrigé une première version de ce texte.

Ouvrages cités

Andreoli, Paolo Romano. Provo. Roma: Semerano Stampa, 1967.

"Bici e rivoluzione." La Repubblica delle Donne, [septembre] 2001.

Bulletin Europeen de Liaison des Jeunes Anarchistes (publié par le collectif parisien du CLJA), 3, février 1967, intitulé "Rencontre européenne de Milan".

Cohen, Stanley. Folk Devils & Moral Panics. The Creation of the Mods and Rockers. Oxford UK/Cambridge USA: Basil Blackwell, 1972.

De Martino, Gianni et Marco Grispigni, I Capelloni. Mondo Beat, 1966-1967. Storia, immagini, documenti. Roma: Castelvecchi, 1997.

G. Dreyfus-Armand, R. Frank, M.-F. Lévy, M. Zancarini-Fournel (dir.), Les années 68. Le temps de la contestation. Bruxelles: Éditions Complexe, 2000.

Duijn, Roel van. "Introduzione al pensiero provocatore." Carte Segrete 1, 2 (1967): 3-5.

Echaurren, Pablo et Claudia Salaris. Controcultura in Italia 1967-1977. Viaggio nell’underground. Torino: Bollati Boringhieri, 1999.

Echaurren, Pablo. "Provosmostra. Ciclisti in autostrada." Carta. Cantieri Sociali 3, 12 (27 septembre / 3 octobre 2001): 77.

Feltrinelli, Giangiacomo. Milan. Lettre de 10 février 1967. Amsterdam, Institut International d’Histoire Sociale. Collection Provo boîte 48.2.

Gruppo Provo Milano Uno, Provokazione. Messagio papale al provotario italiano (1966). Amsterdam, Institut International d’Histoire Sociale. Collection Provo boîte 42.4.

Guarnaccia, Matteo. Provos. Amsterdam 1960-67: gli inizi della controcultura. Bertiolo: AAA Edizioni, 1997.

Guarnaccia, Matteo et Marco Cingolani, éds. Senza Mani! Provos e biciclette bianche. Catalogue de l’exposition. Milan: Antonio Colombo Arte Contemporanea, 2001.

Guarnaccia, Matteo. "Provos. Le biciclette bianche." Abitare (Speciale Olanda) 417 (mai 2002): 262-264.

Hollstein, Walter. Die Gegengesellschaft. Alternative Lebensformen. Bonn: Verlag Neue Gesellschaft, 1979.

Kasteel, Connie van. Milan. Lettre de 10 janvier 1967. IIHS Collection CSD VRZ 001 boîte 14 feuille 5 intitulée "Provo kor 8.2 april 1967".

Lebel, Jean Jacques. Le happening. Paris: Denoël, 1966.

Lumley, Robert. States of Emergency. Cultures of Revolt in Italy from 1968 to 1978. London: Verso, 1990.

Martin, Bernice. A Sociology of Contemporary Cultural Change. Oxford: Basil Blackwell, 1981.

Marwick, Arthur. The Sixties. Cultural Revolution in Britain, France, Italy, and the United States, c.1958-c.1974. Oxford/New York: Oxford University Press, 1998.

Niccolini, Carlotta. "Bicicletti e ribellione. Una mostra sui Provos." Corriere della Sera, 18 septembre 2001.

Pas, Niek. Imaazje! De verbeelding van Provo (1965-1967). Amsterdam: Wereldbibliotheek, 2003.

Pivano, Fernanda. C’era una volta un beat. 10 anni di ricerca alternativa. Roma: Arcana Editrice, 1976.

"Provo a Milano." Il Manifesto, 18 septembre 2001.

Savorelli, Alessandro et Giancarlo Carboncini. Prato. Lettre de 15 mars 1966. IIHS Collection CSD VRZ 001 boîte 48 feuille 2 intitulée "Rob Stolk".

Vovelle, Michel. Idéologies et mentalités. Paris: Gallimard, Folio Histoire, 1992.



Notes

[1]

Voir ma thèse de doctorat intitulée: Imaazje! De verbeelding van Provo (1965-1967).

[2]

Une excellente élaboration sociologique du concept 'expressive revolution' a été réalisée par Bernice Martin.

[3]

Le happening fut développé comme performance art aux Etats-Unis dans les années cinquante avant de faire son apparition dans l'avant-garde européenne. En 1962 à Amsterdam Grootveld participa à un happening en salle qui fut réalisé par des milieux artistiques néerlandais en collaboration de Jean Jacques Lebel (voir son essai Le happening)   .

[4]

Andreoli s'expliqua sur la genèse de ce premier livre en italien sur les provos: "Un mio amico editore, Giovanni Semerano, era stato ad Amsterdam e aveva assistito ad una manifestazione dei provos. Tornato a Roma, mi propose di scrivere un libro su questo fenomeno. [...] Così partii per l'Olanda e feci una ricerca sul campo, come un cronista. Cominciai a lavorare sul materiale che avevo raccolto e riuscii a trovare a Roma, due giovani olandesi che studiavano all'Academia di Olanda. Ebbi con loro alcune conversazioni molto interessanti, che mi aiutarono a capire. Scrissi il libro molto rapidamente." Lettre de Paolo Romano Andreoli à l'auteur, Rome, le 17 septembre 2004.

[5]

Bulletin Europeen de Liaison des Jeunes Anarchistes; correspondence Tom Bouman et Rob Stolk avec l'auteur.

[6]

Lettre de Paolo Romano Andreoli à l'auteur, Rome, le 17 septembre 2004.

[7]

Parmi lesquels figuraient Ugo Liberatore, Il sesso degli angeli (1967); Sergio Bergonzelli, Le dieci meraviglie dell'amore (1969); Filippo Maria Ratti, Erika (1971); Luigi Petrini, La ragazza dalle mani di corallo (1972) and Franco Zeffirelli, Fratello sole, sorella luna (1972).

[8]

Voir Matteo Guarnaccia et Marco Cingolani , 2001; Carlotta Niccolini, 2001; "Provo a Milano", 2001; "Bici e rivoluzione" 2001; Pablo Echaurren, 2001, p 77.



Lire le dossier les origines de mai 1968
Ecrit par libertad, à 21:11 dans la rubrique "Pour comprendre".



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