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La reconstruction du peuple-nation mapuche est une lutte anticapitaliste qui essaye de construire un futur différent de celui que projette le gouvernement chilien pour les peuples indigènes. C’est une lutte historique qui, expliquent les prisonniers politiques mapuche de la prison d’Angol, « est pour notre droit à exister dans la dignité, à récupérer notre terre, à défendre et protéger nos ressources naturelles. C’est aussi une lutte pour l’autonomie, la libre détermination du peuple mapuche et la récupération de notre tissu politique, économique et culturel ».
Ce mouvement est complexe. Il n’a pas qu’une seule composante et ne peut pas être vu comme homogène. Durant la dernière décennie, sont apparues des organisations mapuche présentant différents modes de pensées et diverses revendications. Certaines sont liées au gouvernement chilien, aux partis politiques de gauche, et d’autres se définissent comme autonomes et indépendantes et subissent actuellement la répression du gouvernement sous toutes ses formes : emprisonnement, torture, disparitions. Malgré cela, les mapuche se sont depuis dix ans renforcés, ont appris et situent leur lutte sur la carte mondiale de la résistance indigène.
Le mouvement autonome ne dispose pas à proprement parlé de structures solides, il est expression et mouvement. Il y a ceux qui transcendent l’expérience de leur lutte en communauté, de récupération de la terre et commencent à s’organiser de manière plus complexe, mais pas nécessairement dans des structures ou sous des sigles définis. Il y a une pensée qui exprime bien leur identité mapuche : la résistance et la reconstruction pour une nature autonome.
Le mouvement autonome est composé aussi de différentes expressions, mais elles partagent toutes l’idée d’une autonomie et d’une reconstruction de la nation mapuche, indépendante de l’Etat chilien.
Un peu d’histoire
Pour comprendre la lutte actuelle du peuple mapuche, il est nécessaire de rappeler des éléments importants de leur histoire. Les spécialistes s’accordent sur le fait qu’avant l’arrivée des premiers conquistadores espagnols au XVIème siècle, les mapuche occupaient un vaste territoire, s’étendant de la vallée de l’Aconcagua au Reloncavi, comprenant même la grande île de Chiloé.
Les Espagnols, raconte Jose Bengoa, auteur de L’histoire des anciens mapuche du Sud (Historia de los antiguos mapuches del sur), firent violemment irruption dans ce territoire, avec des conséquences désastreuses, massacrant les mapuche qui se trouvaient entre Santiago et le fleuve Bio Bio, et provoquant de grandes migrations de populations vers le sud.
Cependant entre le XVIème et le XVIIIème siècle, ils développèrent une résistance héroïque contre l’avancée de l’envahisseur, arrivant à repousser les conquistadores jusqu’au nord du fleuve Bio Bio, établissant ainsi une frontière séparant le territoire de la couronne espagnole de celui des mapuche.
La résistance indigène ne permit pas la conquête que se projetaient les Espagnols. Jamais les mapuche ne se rendirent et ne laissèrent passer les usurpateurs au-delà du fleuve Bio Bio. Ils obtinrent même de la Couronne espagnole un accord de respect mutuel sur les relations frontalières, qui reconnaissait ainsi la présence de la nation mapuche.
Ce que ne réussirent pas les Espagnols, c’est finalement le gouvernement du Chili indépendant qui le réalisa. En 1860, les incursions des militaires chiliens et les migrations de colons vers le territoire mapuche commencèrent. Le puissant pouvoir militaire de l’Etat réussit à vaincre alors les mapuche et leurs armes rudimentaires. En 1883, après 23 ans de batailles, l’armée chilienne finit par occuper les territoires mapuche du sud du fleuve Bio Bio.
Le système économique mapuche fut détruit. Il y eut des dizaines de milliers de morts, et les rares survivants du massacre furent confinés dans des réserves, représentant approximativement 5% de leur ancien territoire.
Enrique Antileo, de l’organisation mapuche Meli Wixan Mapu, relate le processus migratoire consécutif au manque de terres dans les réserves où ils furent confinés. Entre 1930 et 1940, d’importants flux migratoires se dirigèrent vers les villes à la recherche de meilleures conditions de vie, même s’ils ne firent finalement que nourrir la croissance des ceinturons de misère des périphéries des grandes villes.
La réforme agraire de 1960 favorisa les paysans minifundistes [1] mapuche, et, à l’époque, avec le soutien du gouvernement de Salvador Allende (1970-1973), ils purent récupérer certaines des terres usurpées. Ce processus fut interrompu par l’arrivée de la dictature de Pinochet en 1973. A partir de ce moment, la situation pour les mapuche n’a fait qu’empirer.
Les terres récupérées durant la réforme agraire furent rendues à leurs « propriétaires » ou cédées à d’autres entrepreneurs, durant une période où moururent des dizaines de dirigeants mapuche, persécutés par la dictature.
Comme dans la majorité des pays ayant des populations indigènes, les recensements officiels ont tendance à diminuer le nombre des habitants originaires. Le recensement de 1992 fit apparaître le chiffre d’un million de mapuche âgés de plus de 14 ans. Pourtant, pour des raisons inexplicables, celui de 2002 fit état quant à lui de seulement 650.000 mapuche, ce qui veut dire que 350.000 d’entre eux ont officiellement disparu.
Les chiffres des organisations mapuche signalent pour leur part qu’ils sont approximativement un million et demi, dont plus de la moitié se trouvent en zone urbaine (500.000 dans la seule ville de Santiago). Les mapuche habitant dans les villes créent des espaces de résistance urbaine, et, de cette manière, se lient avec la lutte menée dans leurs territoires.
Multinationales forestières
La lutte du peuple mapuche pour la récupération de ses terres a pris un nouveau tournant, avec un décret qui complique encore un peu plus la situation déjà grave. Il s’agit d’un décret concernant les entreprises forestières, dans lequel l’Etat chilien s’engage auprès des consortiums forestiers ayant acheté ou, tout simplement, usurpé de vastes terres agricoles, jusqu’alors propriétés de petits paysans mapuche.
Dans les années 90, l’avancée de l’industrie forestière semblait impossible à arrêter. Les petites et moyennes communautés mapuches furent enfermées dans une espèce de prison à l’air libre, les plantations de pins et d’eucalyptus asséchant les sources d’eau, contaminant et épuisant les sols, causant préjudice au droit à la vie de tout un peuple, expulsé pour laisser la place aux plantations.
Le problème des entreprises forestières, ajouté à l’exploitation du territoire par des transnationales de toutes sortes, et au mépris absolu de la culture indigène, a revitalisé les organisations mapuche déjà existantes et a provoqué la naissance de nouvelles qui ont lancé à partir de 1995 une série de mobilisations tendant à réclamer leurs droits historiques sur leur territoire, dénonçant les consortiums nationaux et transnationaux qui l’occupent et l’exploitent.
Simultanément à la revendication de ses terres, le mouvement mapuche commença à exiger des droits politiques, principalement le droit à l’autonomie et à l’autodétermination de son peuple.
Le plus significatif, relate un groupe d’habitants de la région de l’Arauco, est le processus de reconstruction et de résistance. « La résistance, c’est faire face aux investissements capitalistes dans les communautés indigènes, à ceux du gouvernement comme à ceux d’entreprises forestières, touristiques, hydroélectriques, de constructeurs de ports de commerce, etc. La reconstruction, d’un autre côté, c’est nous sauver en tant que peuple et empêcher que notre culture se perde ».
La lutte directe pour la récupération des terres fut menée à partir de 1997 contre les principales entreprises forestières ; Mininco s.a., propriété de la famille Mate Larrain, la Forestal Bosques Arauco, du groupe Angelini, et les entreprises Volterra, Cautin et Millalemu. Les deux premières entreprises détiennent à elles seules 1,2 million d’hectares sous leur contrôle, dans lesquelles elles sèment du pin et de l’eucalyptus destinés à l’exportation. Au total, ce sont approximativement 2 millions d’hectares occupés à ces fins.
Par rapport à elles, le peuple mapuche, lui, dispose de moins de 700 000 hectares pour son travail agricole.
Le mouvement mapuche de la région de l’Arauco a récupéré grâce à la mobilisation directe environ 20 000 hectares ces dernières années, dans les zones de Tirua sur, Traiguen, Lleu Lleu, Ercilla, Collipuyi et Chol Chol, zones qui étaient auparavant aux mains des grandes entreprises forestières. Sur ces 20 000 hectares récupérés, 5 000 ont été régularisés grâce à la pression des communautés, mais pour le reste, la menace d’expulsions violentes plane encore. Dans les zones récupérées, régularisées ou non, sont semés principalement la pomme de terre et le blé.
C’est dans la zone de Traiguen que fut organisée une des premières récupérations. Il y eut une lutte contre l’entreprise forestière Mininco, qui avait sous son contrôle 1 200 hectares que les mapuche décidèrent de récupérer. Trois communautés du secteur se sont unies, chacune d’entre elles ayant des droits historiques sur ces terres. La première chose qu’ils firent fut d’occuper la propriété. La police arriva et les délogea. Ils recommencèrent et furent à nouveau expulsés, et ainsi de suite. L’entreprise plantait des pins, que les mapuche arrachaient, jusqu’à ce qu’elle abandonne finalement les lieux. Aujourd’hui, les indigènes y travaillent la terre, sèment et élèvent du bétail.
La récupération de ces terres a eu pour conséquence une forte répression de la part du gouvernement chilien. Il y a actuellement neuf prisonniers mapuche dans les prisons du sud, et environ 15 fugitifs accusés d’association illicite et de terrorisme.
La situation des prisonniers viole toute les garanties légales et les droits de l’homme : ils sont accusés d’association illicite et de terrorisme sans qu’il y ait pour preuve aucune arme, aucun mort, aucun blessé, ni même aucun témoin. Les témoins qui se présentent sont payés et anonymes.
La réponse du gouvernement a consisté aussi à perquisitionner et harceler directement les communautés, dans l’idée de semer la peur, d’intimider les gens et de mettre fin à l’organisation.
Les entreprises touristiques
Les grands et magnifiques lacs situés en territoire mapuche attirent la convoitise de dizaines de chefs d’entreprises touristiques, qui se sont installés sur les rivages de Villarrica, Likanriay, Pucon et Valdivia, en construisant des hôtels cinq étoiles, des centres de remise en forme et de sport d’aventure pour un tourisme d’élite, avec tout ce que cela représente de négatif pour la préservation de l’environnement et de la culture mapuche. Bien que la situation semble décourageante, la résistance mapuche ne cesse pas et la mobilisation a réussi à arrêter certains projets et à expulser certains chefs d’entreprise. Près du lac Lleu Lleu, par exemple, dans la région 8 [2] de la province de l’Arauco, la résistance aux projets touristiques a pris une importance considérable. Quelque 14 communautés mapuche y habitent.
Ce territoire comporte environ 15 hectares de rives du lac, et c’est précisément là que prétend s’installer un projet touristique mené par l’entrepreneur Osvaldo Carvajal, qui consiste à construire des hôtels de luxe, des terrains de golf, des pistes d’atterrissage, etc.
Les propriétaires « authentiques » de ces terres, les mapuche, seraient « utilisés » pour les services et le folklore.
Les indigènes ont protesté, se sont mobilisés et ont récupéré leurs terres. Actuellement, ils les occupent et les utilisent pour l’agriculture. La résistance n’est pas facile, car les menaces d’expulsion continuent, « mais les gens ont bien en tête que ces terres sont à eux. Ils ne sont pas disposés à les perdre », affirment les habitants.
L’entrepreneur Osvaldo Carvajal, accusent-ils, est un élément-clé de la persécution des mapuche. Il a créé ses propres services de renseignement et soutient le commando Hernan Trizano, un groupe paramilitaire organisé par des chefs d’entreprise en collusion avec la police.
Résistance aux travaux de voiries
Actuellement est en construction la route de la côte, qui est prévue pour traverser tout le Chili, de Tirua à Puerto Mont, en passant par trois régions du territoire mapuche. Les indigènes s’opposent à ce projet et, jusqu’à présent, ont su empêché le passage de la route dans certaines communautés. Celle-ci aurait du être terminée il y a cinq ans, mais les conflits dans la région l’ont empêché.
L’objectif principal de cette route n’est évidemment pas le progrès, mais l’exploitation du bois, le développement du tourisme et le pillage des ressources naturelles, cette zone ayant pour activité l’élevage de perles.
La construction de cette route, commentent les habitants de la région, modifie des cours d’eau, détruit des montagnes et rase des communautés entières. En résumé, elle est faite pour détruire et piller.
Centrales hydroélectriques
En amont du fleuve Bio Bio [3], zone mapuche, existe un méga projet hydroélectrique prévoyant la construction de sept barrages dont deux pour le moment sont terminés : le barrage de Pangue et celui de La Ralco. Ce dernier est le plus grand, et a inondé 3 500 hectares de terres mapuche, rasant deux communautés entières.
La construction des cinq autres centrales hydroélectriques affectera autant d’autres communautés mapuche, puisque les ressources hydriques se trouvent à l’intérieur de leur territoire.
Il existe un autre projet prévoyant la construction de six ports en territoire mapuche, plus particulièrement sur la côte des régions 8 et 9. Il s’agit, comme pour les routes, d’installer l’infrastructure nécessaire au pillage du bois, de la pêche et d’autres ressources naturelles.
Les entreprises forestières, de leur côté, projettent de construire leurs propres bases de commercialisation à l’intérieur du territoire, pour, depuis la côte, en faire sortir le bois d’exportation.
« Contre l’invasion, l’exploitation et le pillage que tout cela implique, nous, les mapuche, résistons, car si tous ces projets se concrétisent, les communautés indigènes vont tout simplement disparaître. Nous ne nous laisserons pas faire, bien que le prix de la résistance soit élevé », affirment-ils lors d’une réunion organisée dans une petite communauté de l’Arauco.
[1] Propriétaires de petites exploitations (ndlr).
[2] La dictature a réorganisé le Chili en 12+1 regiónes, des sous divisions administratives. Santiago, la capitale, est une région à part entière : la región metropolitana (ndlr).
[3] Dans la Cordillère et la précordillère des Andes. Au Chili, tous les fleuves vont de la Cordillère à la mer (ndlr).
Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx), supplément Ojarasca 100, août 2004.
Traduction : Julien Pelloux, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).