Lu sur
Résistances :« Sionisme = nazisme », « Les connexions arabo-nazies », « Gaza, c’est le ghetto de Varsovie », « Les pogroms antisémites sont de retour »… Pour décrire le conflit israélo-palestinien, un vocabulaire de la Deuxième guerre mondiale semble être ressorti des oubliettes de l’Histoire.
Entraînant, dans la foulée, une banalisation des crimes hitlériens. Les mots sont aussi des armes au service de la propagande. Attention à cette intoxication idéologique : elle peut vous entraîner sur une pente savonneuse, en direction d’un cul-de-sac de l’esprit.
De terribles maux traversent actuellement le monde. Ces maux sont inquiétants et profondément ancrés dans des conflits inextricables. Les guerres du moment se font avec diverses armes. Classiques ou super-sophistiquées. Dans l’inventaire de l’armement utilisé en cas de zizanie meurtrière, on retrouve aussi, à chaque crise, un autre type d’arme : les mots.
Certes, les mots ne servent pas directement à tuer. Ils alimentent seulement la propagande de guerre des forces belliqueuses en présence. Ils galvanisent seulement les tueurs en série. Ils se greffent seulement, ici et là, sur les récits et les arguments pour détourner de manière partisane les débats publics au sujet de ces drames humains.
Ces expressions subtilement ou maladroitement utilisées peuvent déformer la réalité. Travestir les enjeux. Biaiser les données. Inverser la distribution des rôles des « acteurs » impliqués dans le conflit. Ces mots ne sont que rarement adéquats, souvent injustement exploités. Ces mots servent à comparer et à amalgamer des situations tragiques entre elles, sans beaucoup de rigueur intellectuelle.
Les mots voyagent avec les maux de la planète. Ils font partie de l’arsenal politico-militariste. Les cas sont légion, où les résistants à l’oppression furent qualifiés de « terroristes » ou de « bandits », où les dissidents au régime furent décrétés « fous ». L’interminable conflit israélo-palestinien fait également partie de ces champs de bataille où les mots interviennent dans la propagande militaire, politique ou civile pour donner leur appui à l’un ou l’autre des camps en présence. Sans prendre position ici sur ce conflit, nous remarquons cependant l’utilisation ou la récupération abusives de qualificatifs et de noms propres directement hérités de la Deuxième guerre mondiale.
De part et d’autre
Lors de manifestations palestiniennes, à Gaza ou ailleurs, des pancartes mentionnent « Sionisme = nazisme ». A Durban, en Afrique du Sud, lors de la conférence des Nations Unies contre le racisme, une mouvance politique hétéroclite (allant d’ultragauchistes orphelins aux intégristes islamistes) tenta, en août dernier, de faire passer le sionisme (dans sa globalité) comme étant intrinsèquement raciste. Au même moment, certains membres de ce « lobby » antisioniste primaire diffusaient dans les coulisses de cette même conférence des pamphlets antisémites dans la lignée des « Protocoles des Sages de Sion ». Dans une « carte blanche » publiée il y a peu, un « notable » belge ami honnête du peuple palestinien comparait Gaza au Ghetto de Varsovie. Dans un hebdomadaire flamand, un chroniqueur - courageusement anonyme ! - parlait de sa haine de la « religion d’Israël » et prenait comme métaphore pour décrire l’Etat hébreu un taenia. Un procédé déjà exploité jusqu’à l’os par la propagande antisémite historique. Dans un sermon catholique diffusé un dimanche matin, il y a quelques semaines encore, sur les ondes de notre radio de service public, un abbé dénonçait le « génocide des Palestiniens ». Terme également utilisé par une sénatrice belge. Dans un numéro de février 2002 d’un bulletin d’une section de l’Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens (ATTAC), une brève internationale portait le titre : « PALESTINE : une économie de camp de concentration ». Pourtant, à la lecture des vingt lignes constituant cette brève, pas le moindre élément ne justifiait la référence aux camps nazis…
Du côté israélien, les rapprochements illogiques, insultants, négationnistes et les amalgames sont aussi monnaie courante. Dans des manifestations ultrasionistes, des pancartes représentaient, avant son assassinat par un militant d’extrême droite, Rabbin sous l’uniforme nazi ou, au choix, coiffé du même keffieh que celui de Yasser Arafat. Lui-même comparé, après les attentats du 11 septembre, sur des affiches collées dans les rues de Tel Aviv à Oussama Ben Laden. Le 21 février dernier, une extrémiste israélienne affirmait avec hargne sur les ondes de la RTBF que la situation en Israël était la même que dans la Pologne des années trente… et que des pogroms semblables à ceux commis jadis (elle faisait allusion aux attentats aveugles commis dans les villes israéliennes) avaient lieu aujourd’hui sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne.
Dans un journal de propagande pro-israélien – « Israël magazine », vendu dans plusieurs librairies bruxelloises – un article était consacré le même mois à « La France antisémite ». Le maquettiste avait eu le « bon goût » d'utiliser une police de caractère rappelant celle utilisée, il y a soixante ans, par le régime national-socialiste. Dans cet article, on affirmait aussi que « la presse (française, NDLA) (a) elle-même basculé dans l'antisémitisme primaire » (citant notamment pour exemple le quotidien « Libération »). « Les connexions arabo-nazies », pour leur part, avaient déjà été mises en exergue quelques lignes plus haut…
« Effet du perroquet »
Ces comparaisons propagandistes ont parfois armé intellectuellement de futurs tueurs. Ces mots font donc bel et bien partie des « programmes » de lobotomisation des « soldats de la haine » et des spectateurs anonymes complices de ce terrible spectacle.
L’utilisation de ces mots n’est dès lors pas anodine, du moins pour une partie de ceux qui y recourent. Pour d’autres, il semble y avoir un « effet du perroquet » (on les répète sans pour autant les entendre, donc sans nécessairement les comprendre ou en tout cas en mesurer le degré de nuisance). Leur utilisation est donc extrêmement hasardeuse, malhonnête et injuste à plusieurs égards.
Lorsque que l’on compare Arafat à Ben Laden : c’est erroné. Lorsque que les méthodes répressives et meurtrières de l’armée israélienne dans les territoires occupés à l’encontre du peuple palestinien sont associées aux crimes commis par les nazis durant l’Occupation de l’Europe : c’est encore faux. Lorsque Gaza est décrite comme étant le Ghetto de Varsovie des temps modernes : c’est toujours faux. Parce qu’à Varsovie, les Juifs étaient prisonniers dans un ghetto servant d’antichambres aux chambres à gaz. A Gaza, certes la misère existe, le développement économique est étouffé par l’encerclement israélien, l’humiliation est constante, des enfants et des adolescents sont abattus comme des lapins… mais aucune ligne de chemin de fer ne conduira les habitants vers un Auschwitz proche-oriental. Il y a donc dans ces comparaisons une manipulation manifeste en vue d’intoxiquer l’opinion.
Lorsque le sionisme – peu importe notre avis sur celui-ci – est décrit comme une idéologie raciste (idéologie à la base du nazisme et de feu le régime d'apartheid sud-africain), c’est encore injuste et mal visé. Il est vrai qu’une certaine fraction de ce que fut ce mouvement de libération nationale s'agrémenta d’un profil raciste à l’encontre des populations arabes qui habitaient déjà sur cette « terre promise », et il est aussi exact qu’Ariel Sharon est issu de ce courant. Mais il existe aussi des sionistes, notamment de gauche et d’extrême gauche, qui luttent bec et ongles contre le racisme, pour la paix et pour la création d’un Etat palestinien à côté de l'Etat israélien légal (conformément aux résolutions de l’ONU). L’équation « Sionisme = racisme » ne peut dès lors que déforcer le camp de la coexistence pacifiste qui compte encore en Israël de très nombreux partisans.
Un western de série B ?
Ces assemblages abusifs, une fois de plus, nous imposent un insupportable et imbécile manichéisme. Dans ce cul-de-sac de l'esprit, les « bons » et les « méchants » sont placés abusivement et sans aucune nuance sur l’échiquier. La nouvelle donne est pourtant plus complexe. En effet, les images de guerre israélo-palestiniennes ne sont pas celles d’un western de série B !
L'emploi scandaleux d’un vocabulaire sorti directement des livres d’Histoire de la Guerre 39-45 peut en plus mener sur une pente extrêmement savonneuse, sans que sa direction soit connue à l’avance. Tout simplement, parce qu’elle pourrait, de manière indirecte, servir demain à minimiser et à réviser, voire à nier, les crimes de la dictature hitlérienne. Si Israël se conduit comme cette dernière, confrontons donc de manière rigoureuse chacun de leurs crimes. Avec une grille comparative et l’addition des actes des uns et des autres… Bien entendu, la différence sera manifeste et le parallèle montrera son inanité.
Seulement voilà, quand les rues de Paris faisaient écho - en Mai 68 - aux cris de « CRS = SS » ou quand le PTB (un parti stalinien belge) scandait lors des manifestations contre la guerre du Golfe (en 1991) « Sionistes et Yankee, pires que les nazis », les négationnistes des crimes du IIIème Reich, du balcon, pouvaient applaudir à tue-tête. Parce que les crimes des « Yankee » durant cette guerre illogique contre Saddam Hussein s’élevaient à des milliers, et non à des millions de morts. Donc, si l’US Army avait effectivement fait pire que les nazis, le dernier chiffre devait alors être fameusement diminué. Cette nouvelle comptabilité faussée aurait servi les adeptes de la négation des chambres à gaz et des autres lieux de crimes contre l’humanité.
D’un autre côté, afin de se blanchir de ses liens idéologico-historiques et blesser l’adversaire, l’extrême droite antisémite, héritière donc du nazisme, exploite abondement par effet de miroir ces mêmes termes. Le racisme, ce n’est pas elle, c’est Israël et les Juifs !
Alternative
L’amalgame avec le nazisme ne peut donc être soutenu avec sérieux. C'est tout simplement une arme d’endoctrinement qui sert à blesser et se met, indirectement, au service de la cause faurissonniènne (1). Pourtant, les crimes d’Israël pourraient être comparés à d’autres crimes.
A ce sujet, dans l’histoire contemporaine de nos propres régimes, les exemples sont légion. Quelques cas : les crimes du colonialisme belge (au Congo), français (notamment en Algérie), de l’impérialisme nord-américain (au Vietnam, pour ne citer qu’un cas), de l’Armée rouge (en Afghanistan), du régime libéral russe pro-occidental (en Tchétchénie), de l’Armée anglaise (en Irlande), des amis chinois de nos gouvernements (au Tibet), etc. Ces exemples et bien d’autres peuvent alimenter les réquisitoires justifiés contre l’Etat d’Israël. D’autant plus que leur juxtaposition avec la situation proche-orientale du moment pourrait nous permettre une opération « d’une pierre deux coups ». En d’autres termes, nous pourrions enfin profiter de leur retour dans l’actualité pour faire aussi le procès public des crimes de l’Occident et de ses amis contre le reste du monde.
Pourtant, personne ne semble le faire. Le nazisme resterait-il plus porteur ? C’est ainsi que certains amis de la cause palestinienne (dont l’expression démocratique et progressiste a tant besoin d’être soutenue honnêtement contre l’occupation et les partisans de l’obscurantisme et du fanatisme kamikaze) continuent aveuglément à se borner à comparer les « méchants israéliens » (et il y en a !) aux « méchants nazis » de jadis. D’autres « amis », d’Israël cette fois-ci, s’obstinent à voir dans le légitime mouvement revendicatif palestinien une résurgence pure et simple du nazisme. Attention : comparaison n’est pas toujours raison et ouvre trop souvent la voie à la confusion et à la négation.
Manuel Abramowicz
(1) De Faurisson, Robert. Depuis de sa « sortie du bois » dans la presse française (en 1979), ce Français est devenu l’un des meneurs des réseaux internationaux de propagande antisémite se chargeant de nier la volonté exterminatrice de la dictature hitlérienne. Robert Faurisson consommera par ailleurs également de la « cause palestinienne » pour expliquer sa croyance dans le négationnisme.