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A-infos : "En Afrique, on trouve de tout : des diamants gros comme le poing, du cuivre, du cobalt, du pétrole et du gaz, du coton ou de l'uranium non encore enrichi... et des pauvres, beaucoup de pauvres.
En Afrique, on croise de tout : des ministres en Mercedès-Benz, des
coopérants en shorts, des mercenaires en goguette, des
investisseurs-barbouzes et des barbouzes-investisseurs, des investisseurs
tout court, des politiciens qui soignent leur clientèle, des prédicateurs
galvanisés, des fonctionnaires ventrus, des militaires qui font la sieste
à l'ombre... et des pauvres, beaucoup de pauvres.
L'Afrique offre des paysages variés : des déserts suffocants et des
vallées fertiles, des savanes arides et des montagnes embrumées, des
fleuves majestueux et des forêts somptueuses... peuplés de pauvres,
beaucoup de pauvres.
L'Afrique est tellement généreuse qu'il n'y a qu'à se servir pour
s'enrichir. Alors commença le pillage. Puis vînt le temps des
Indépendances.
Les élites africaines réclamaient leur part du gâteau. On décolonisa
donc, mais souvent dans l'ordre, la discipline. Un ordre et une
discipline nécessaire à la perpétuation du pillage, un mot un peu trivial
mais qui peut se traduire plus chastement par « politique de
développement ».
En ce début de millénaire, le grand cirque se perpétue. La seule
différence est la suivante : une infime minorité d'Africains a rejoint le
banquet et participe au dépeçage, à la curée.
Cette semaine, je vous propose de vous intéresser aux m¦urs si singuliers
des compagnies occidentales qui vivent du commerce du bois. Arnaud
Labrousse et François-Xavier Verschave viennent de publier aux éditions
Agone un nouveau dossier de la politique africaine de la France consacrée
à cette question. Le titre de leur ouvrage est éloquent : Les pillards de
la forêt Exploitations criminelles en Afrique.
L'un des leaders de l'exploitation des forêts africaines, côté à la
Bourse de Paris, est né du côté de Niort et s'appelle Rougier. L'empire
de Jacques Rougier s'étend sur plus d'un million d'hectares au Cameroun,
au Gabon et au Congo-Brazza. Ce brave néo-colonial a attiré l'attention
internationale en 1998 lorsqu'on a découvert qu'au Gabon ses
tronçonneuses s'intéressaient de trop près à la forêt d'Ipassa-Mingouli,
une zone exceptionnellement riche en biodiversité que Rougier SA avait
solennellement promis auparavant de ne pas ratiboiser. Mais il est vrai
qu'il est difficile de ne pas se sentir tout permis quand les père et
fils Rougier s'entendent comme larrons en foire avec la famille Bongo,
qu'Omar Bongo apprécie beaucoup Jean-Pierre Raffarin, premier ministre
certes, mais également ancien président du conseil régional de
Poitou-Charentes, une région superbe, connue pour ses ateliers de
fabrication de contreplaqués, contreplaqués de bois gabonais, bois
gabonais coupés et soigneusement préparés notamment par Rougier, par
ailleurs vice-président de la commission « Emploi, entreprises, activités
nouvelles et technologies » du Conseil économique et social régional. Une
façon comme une autre de boucler la boucle dans ce petit monde...
Pour ne pas faire de jaloux, Rougier entretient également des rapports
cordiaux avec Sassou Nguesso, un grand ami de Total-Fina-Elf. Dans une
concession forestière du nord du pays, il se sussurre qu'on y coupe du
bois et qu'on y braconne à l'occasion quand on en a les moyens. Calomnies
que tout cela : gageons qu'une fois passée l'arme à gauche, papa Rougier
sera présenté comme un amoureux de l'Afrique et des Africains. N'y a-t-il
créé des emplois de bûcherons ?
Le problème de Rougier est peut-être de ne pas savoir s'entourer. A
Paris, Rougier SA accueille pour une somme ridicule dans ses locaux le
CIAT : le Comptoir international d'achat et transit Afrique-Export. Le
problème est que la banque du CIAT s'appelle la FIBA, une banque
aujourd'hui en liquidation, bien connue des mafieux en tous genres qu'ils
fassent dans les jeux et les casinos, dans le trafic d'armes ou
l'exploitation du pétrole. D'autant plus que le CIAT est dirigé par un
beau représentant de la Françafrique : Toussaint Luciani. Ce Corse est un
ancien militant de l'OAS.
Comme beaucoup d'anciens partisans de l'Algérie française, il a été
recyclé par le pouvoir gaulliste en Afrique noire, pour y faire les
barbouzes et continuer l'¦uvre civilisatrice de la France. Il n'est dès
lors pas étonnant de retrouver notre Toussaint à la tête de Pétrocorse,
la filiale
d'Elf-Aquitaine sur l'Ile de beauté, de le savoir grand ami d'Omar Bongo,
d'apprendre qu'il est également un honorable élu de l'Assemblée de Corse
sous l'étiquette de « dissident socialiste ». Tout cela n'en fait pas un
mafieux, tout au plus une crapule. Sauf qu'il est bon copain avec
d'autres politiciens vertueux de l'Ile de beauté, Noël Pantalacci et
Robert Feliciaggi dont les liens avec Charles Pasqua, le patron des
réseaux politico-mafieux françafricains, et le parrain Jean-Jé Colonna
sont connus de tous les Corses, même de ceux qui ont appris à se taire.
Et si vous êtes amateur de football, sachez que le club d'Ajaccio doit
beaucoup au soutien financier des frères Luciani et au très cher Robert
Feliciaggi qui en fut le patron. On raconte même que « 45700 Euros
d'argent public censé aider des handicapés et des chômeurs auraient servi
en 1998 à apurer le passif fiscal et social du club ». Tout tourne
toujours très rond dans la Corsafrique.
On pourrait se rassurer en pensant que Rougier SA est le mouton noir d'un
troupeau plus sage et respecteux. Il n'en est rien.
Dans le petit monde capitaliste, l'honnêteté ne paie pas. Elle ne paie
pas ici, elle ne paie pas ailleurs. Dans le petit monde capitaliste
néo-colonial, on a même oublié la signification du mot.
Je pourrais vous parler de Thanry, une multinationale franco-chinoise
très appréciée des écologistes. Il est vrai que ces honnêtes
entrepreneurs ont une fâcheuse tendance à ne pas payer leurs impôts, à
permettre le braconnage sur leurs concessions, à utiliser des fongicides
toxiques et à couper tout ce qui lui tombe sous la main sans aucun
respect pour la législation en cours.
Je pourrais vous parler de Vincent Bolloré, de sa Société industrielle
des bois africains, de sa Forestière de Campo. Là encore on y trucide de
l'animal sauvage et on y coupe sans respect des normes d'exploitation
forestière. La société italienne Patrice Bois a quant à elle pris
l'habitude de ne pas noter très scrupuleusement tous les grumes qui
sortent de ses concessions. Difficile ainsi de savoir si elle respecte là
encore son contrat d'exploitant.
Evidemment, de telles richesses attirent les convoitises. Pensez donc,
certains paysans africains se permettraient ainsi de pénétrer des
concessions pour y ramasser du bois de chauffe ! Alors, pour se protéger,
nos chefs d'entreprise font appel à des sociétés de sécurité très
performantes. Bolloré, par exemple, a fait appel à Sécurité sans
frontières sur les conseils de son Monsieur Afrique, l'incontournable
Michel Roussin qui connaît aussi bien le continent noir que les finances
du RPR. Il faut dire que l'homme a beaucoup de cordes à son arc : ancien
membre des services secrets, il fut également président de la commission
Afrique du CNPF etŠ ministre de la Coopération. Cet ami de l'Afrique
commit un jour une erreur : celle de préférer Balladur à Chirac en 1995.
La brouille ne durera pas : Roussin sait trop de choses sur le RPR ;
alors Chirac l'a recyclé, tout d'abord à la SAE International, une
société chargée de vendre des grands projets notamment immobiliers à
l'étranger (comme des hôtels de luxe dans la Birmanie des militaires),
puis au Conseil économique et social, puis au sein de la Comilog, la
Compagnie minière de l'Ogooué, au Gabon dont le but est de gérer
honnêtement les mines de manganèseŠ et celles d'uranium. Citoyens,
rassurez-vous : si l'Afrique peine à se développer, vous savez, en
partie, pourquoiŠ
Vous l'aurez compris, les forêts africaines « sont prises dans des enjeux
qui dépassent largement la filière bois et les préoccupations écologistes
».
Depuis la comédie des pseudos indépendances, grâce à l'activité et aux
réseaux mis en place par Jacques Foccart, l'éminence grise de De Gaulle
en Afrique, une partie de l'argent récolté par la vente des grumes a
servi au financement du parti gaulliste. Il en va de même avec l'argent
du pétrole, via Elf-Aquitaine, ou celui du cacao.
Pour conclure, je laisserai la parole à Vershave et Labrousse : « quand
la dérégulation prive de toute protection l'écosystème et de tous les
droits des millions d'êtres humains, il s'agit bien d'une « entreprise
guerrière ».
Les motifs en sont toujours mêlés : les restes de la première guerre
froide (relayée par la nouvelle, la « guerre contre le terrorisme à
laquelle se sont immédiatement ralliés les dirigeants des pays d'Afrique
centrale) s'amalgament à la criminalité financière en voie de
mondialisation. Face à cette loi de la jungle, les combats pour
l'environnement, la démocratie, le refus de l'exploitation et de la
misère, convergent vers une lutte commune. Dans ce combat pour le droit
et les droits, la préservation et la promotion des forêts primaires sont
finalement très proches de celles de la Cour pénale internationale ou des
systèmes de santé publique (Š) La dérégulation n'est pas une fatalité ».
Ce soir, je vous ai donc présenté le livre d'Arnaud Labrousse et
François-Xavier Verschave intitulé Les pillards de la forêt
Exploitations criminelles en Afrique. Ce livre édité par les éditions
Agone est disponible dans toutes les librairies pour un prix de 11 Euros.
Patsy
"Le Monde comme il va"
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