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La Féria de Nîmes
Je poste en retard : j'étais à la Féria (de Nîmes).
C'est un besoin intellectuel (la sociologie).
Je lis dans les évolutions de la Féria celles de notre société toute entière.
Certains objecteront que j'en sais beaucoup moins en socio que n'importe qui s'intéressant, même de très loin, à la question.
C'est un fait.
Mais à ceux-là je répondrai que j'ai nettement plus bu à la Féria que la plupart des ivrognes ne le font.
Je puis donc en parler savamment.

Pendant longtemps, la réputation de la Féria ne dépassa guère les frontières du Gard.
On y lachait des taureaux.
On y applaudissait El Cordobes.
Pour mettre un peu d'ambiance, on jetait des pétards.

Puis vinrent les années 70, De Gaulle et Pompidou,
leur état policier (saviez-vous qu'après 68 il était délictueux de se promener en ville à plus de trois?),
leurs cités dortoirs (une idée lumineuse qu'avait eue le Général, ce grand homme)
leurs autoroutes à péage (un progrès directement inspiré du Moyen age),
et chacun sa bagnole pour aller bosser.
La jeunesse, qui cherchait les occasions de se retrouver malgré les circonstances, commença à affluer de toute la région, Narbonne, Montpellier, Béziers, en deuche, en 4L, en Simca 1000.
Le phénomène empira sous Giscard.
Ce fut, au début des années 80, le triomphe de la Féria : un million et demi de personnes déambulant ivre-morte et sans but dans les rues d'une ville de 135 000 habitants.
Il n'y avait à l'époque aucune bodega, aucune manifestation culturelle, aucune personne honorable au sein de cette fête.
C'est bien simple : on y buvait à l'oeil.
Le pastis et la sangria étaient servis au mètre.
Il en restait toujours quatre ou cinq verres sur le comptoir.
Il n'y avait qu'à les vider.
Le stupre et la fornication se pratiquaient à tous les coins de rue, et l'on venait même du Nord (Lyon, Stockholm, Berlin) pour y participer.
Pas un keuf dans les rues, car leur simple présence déclenchait des émeutes.
Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
C'était, en quelque sorte, le peuple vaincu de Mai 68 qui de nouveau tenait la rue.
Jusqu'à ce que la gauche arrivât au pouvoir, réalisant la symbiose des élans populaires et des impératifs économiques.

La bourgeoisie éclairée de cette époque considéra la Féria avec énormément de sympathie.
Elle résolut de la rationaliser.
Et de l'étendre.
Le grand boulevard qui menait aux arènes fut loué sur ses deux berges aux marchands de comestibles et de boissons, interdisant ainsi le libre accès aux bistros qui le bordaient, et diminuant de moitié la voie piétonne.
Un grand embouteillage de passants s'ensuivit.
On mettait des heures à remonter le Victor Hugo.
C'était prévu et fait exprès : plus loin, un peu à l'extérieur du centre, la plus grande esplanade de la ville, où se tenait habituellement la fête foraine, avait été entièrement louée aux marchands de frites, de paella, et d'atroce sangria.
On comptait que le peuple, dont les goûts sont grossiers, s'y amasse d'instinct.
Il n'y vint pas.
(Plus tard, cet agrandissement de la Féria fut supprimé.)
En ville même, on avait autorisé les bodegas, à la mode espagnole, afin que les consommateurs se retrouvassent entre eux.
Elles étaient chères.
N'y entrait pas qui voulait (il y avait des gardiens).
Certaines ne s'ouvraient qu'aux riches, d'autres aux personnalités du Tout-Paris.
Il fallait supplier ou connaitre pour y avoir accès.
Enfin, toutes ces améliorations ayant suscité des aigreurs, des dangers et des fraudes, les policiers réapparurent pour remettre de l'ordre.
On recentra l'intérêt de la fête sur le toro, le torero, la tauromachie, et toutes ces valeurs que le franquisme en Espagne avait portées à leur point le plus haut.
On fit passer de 3 à 8 jours la durée de la fête.
Et toutes ces dispositions prises, on se prépara à un triomphe commercial.
Le résultat ne se fit pas attendre.
La Féria dérapa tout de suite à 1,2 millions, puis 1 million de visiteurs, avant de chuter à 750 000, 400 000, 150 000 et ces derniers temps 100 000 participants.
Même la bourgeoisie, qui l'avait faite à son image, n'y venait plus.
Les bodegas faisaient faillite les unes après les autres.
La mairie ne trouvait plus personne à qui louer le trottoir.
Les arènes étaient en déficit.
Il y avait trois férias dans l'année, on en abattit une et la deuxième ne fut sauvée que de justesse.
Et lorsque Raffarin supprima le lundi de Pentecôte, le commerçant nîmois se vit perdu.

Grâce à Dieu, et une volonté sans faille, ces terreurs aujourd'hui se dissipent.
En cette année de week-ends retrouvés, on a mis le paquet pour faire venir les gens.
6 jours de corridas, les meilleurs matadors et les meilleurs toros!
On n'a pas hésité, et mis la fête foraine en même temps que la Féria, sur l'avenue Jean-Jaurès!
On a fait disparaître des rues (et c'était un crève-coeur) la police en uniforme!
Surtout, on n'a pas lésiné sur les concerts gratuits.
Il faut dire que c'était moins une.
Car le dernier carré des amateurs de Féria avait cette année disparu.
La génération de quadragénaires suffisamment fortunés pour s'offrir quelques jours de Féria, n'y met maintenant plus les pieds.
Mais un flot de jeunesses, attiré par la surabondance programmatique, est au dernier moment venu compenser cette perte cruelle.
Le doute n'est pas permis : ils ont stoppé l'hémorragie.

Ces jeunes-là, toutefois, sont bizarres.
Ils ne ressemblent pas aux jeunes précédents.
La tauromachie les indiffère.
La bodega les révulse.
Le circuit des marchands ne leur procure aucun bonheur.
Cette année, tout a changé.
On a circulé facilement sur le Victor-Hugo, on entrait sans problème au Prolé, on discutait au calme dans la rue Jean-Reboul.
Les jeunes emplissaient le quartier situé entre les concerts de la Placette et ceux de la Maison carrée.
Ils buvaient dans des lieux sombres leurs bouteilles achetées ailleurs.
Ils se baladaient parmi les rues sans charme et sans commerce du faubourg.
Et n'allaient jamais se coucher.
Il y en avait autant à 4 heures du matin qu'au sortir des corridas.
Qui attendaient quoi?
Probablement d'être, à nouveau, un peuple dans la rue.
Ecrit par okounine, à 22:47 dans la rubrique "Actualité".



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