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Agoravox : "Vu les enjeux que représente la dette publique dans le débat politique, il est étonnant de voir que ce débat repose principalement sur des idées reçues. S’interesser de plus près à ses mécanismes, permet d’en comprendre en réalité les vrais enjeux.
I) La dette de l’état : sujet central dans les débats politiquesPour les uns la dette justifie la remise en cause de notre modèle économique et social jugé trop couteux et responsable de la faible croissance de notre économie.
Pour les autres la dette démontre l’irresponsabilité politique des différents gouvernements et l’innefficacité de leurs mesures économiques.
François Bayrou va plus loin en dénonçant les promesses couteuses de ses adversaires et justifie l’idée d’un programme peu couteux et équilibré.
Il est étonnant de voir un sujet aussi central que celui de la dette être en réalité un sujet aussi délaissé et méconnu. Car en effet, chacun étant convaincu de la source de cette dette, aucun ne se pose réellement de questions, tout le monde s’appuie donc sur des certitudes qui en réalité ne sont que des idées reçues. La preuve en est que peu de monde serait bien capable de nous prouver leurs certitudes, de nous expliquer la nature, le montant ou l’évolution de cette dette.
Et malheureusement, comme souvent en politique, les mensonges ou les erreurs sont entretenues par l’ignorance des gens et leur non désir de savoir.
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I) Bilan de la situationQuelle est la nature de la dette ?
La dette était en 2007 de l’ordre de 1209 milliards d’euros. principalement constituée de titres tels que des bons du trésor ( estimation à hauteur de 1000 milliards d’euros) le reste étant constitué de crédits divers.
Ce sont les chiffres de l’Insee
consultables ici ( 3.342 ).
Remarquons que cette dette était en 1978 de l’ordre de 72 milliards d’euros ... En 30 ans, nous avons vu la dette augmenter de 1137 milliards d’euros ...
Chaque année, nous payons ce qu’on appelle le service / la charge de la dette, c’est à dire les intérêts de cette dette.
De quelle nature sont ces intérêts ?
Dans le cas de crédits, ce sont les intérêts que chacun connait. Pas besoin d’explications. Dans le cas de titres, comme un bon du trésor, il s’agit d’un moyen assuré de faire fructifier son argent, vous achetez ce titre sachant qu’après un certain délai à court ou long terme celui-ci vous rapportera de l’argent. C’est de la rente.
Qui détient ces titres ? Il y a très peu de données là-dessus, néanmoins il semblerait que la majeure partie de ces titres appartient à des acteurs économiques étrangers ( à hauteur de 60% ), le reste étant détenu par des assurances, des organismes de crédit ou des organismes financiers.
Informations tirées de ce graphique et ne traite seulement que de ce qu’ils appellent la dette négotiable :
http://www.aft.gouv.fr/article_960.html ?id_article=960On sait par exemple qu’aux états-unis la majeure partie de leur dette est financée par des acteurs économiques provenant de pays comme le japon ou la chine.
En 2007, la charge de la dette (les intérêts ) était de 39,2 milliards d’euros.
La charge de la dette cumulée depuis 1990 est de 591 milliards d’euros.
Les chiffres peuvent être
consultés ici, je n’ai que ceux à partir de 1990.
Cette charge de la dette plombe complètement le budget de l’état, vu qu’aujourd’hui il s’agit du deuxième budget derrière l’éducation et devant le budget militaire.
C’est la quasi totalité de l’impôt sur le revenu qui est utilisé pour payer ces intérêts de la dette. Et nous sommes dans une situation terrible d’effet de boule de neige où cette charge grève le budget de l’état qui finalement est en déficit, déficit qui alourdit alors encore plus la dette, cette dette augmente alors mécaniquement chaque année.
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II) Comment résoudre la situation ?Je vais vous choquer et bousculer toutes les idées reçues en affirmant que la principale raison à l’augmentation de cette dette n’est ni l’irresponsabilité ou l’incompétence des gouvernements, ni notre modèle économique et sociale, même si relativement et dans une certaine mesure elles y participent.
En effet il est difficile de croire que subitement les gouvernements sont devenus plus irresponsables et plus incompétents que leurs prédecesseurs même si c’est toujours possible. La cause de l’explosion de la dette est à trouver ailleurs.
Quand à la critique de notre modèle économique et sociale, elle s’inscrit dans l’idée que celui-ci serait inadapté face au grand bouleversement que constitue la mondialisation, cela expliquerait l’échec et l’impuissance des gouvernements successifs à résoudre la situation et l’explosion subite de la dette. Ca se tient, sauf qu’évidemment si la récente mondialisation et l’explosion de la dette semblent effectivement correspondre temporellement, il convient de justifier en détail par quel mécanisme ils sont liés, et il est totalement dogmatique d’accuser l’inadaptation de notre modèle économique et social sans le justifier.
Je ne vais pas faire durer le suspens plus longtemps :) En réalité la cause de cette explosion de la dette est monétaire, et effectivement cette cause est liée à la mondialisation.
La solution à cette situation existe, elle est donc monétaire et elle relève de choix politiques. Par contre je ne le cache pas cette solution est difficile à mettre en oeuvre, tout simplement parceque tout a été vérouillé aujourd’hui au niveau européen, et donc que c’est au niveau européen qu’il est seulement possible d’agir.
IV) Quelques notions concernant la monnaieTout ce qui touche le domaine monétaire est très peu connu par les citoyens, car peu de monde s’y interesse, ils jugent ce domaine trop technique et le laissent en toute confiance à des spécialistes.
C’est une grave erreur. Si effectivement c’est un domaine qui peut s’avérer très technique, une large partie de ce domaine reste assez facilement compréhensible et mériterait d’être connu et donc enseigné à tous, comme on va le voir.
D’abord petit tour d’horizon pour dissiper quelques idées reçues.
Aujourd’hui la monnaie est principalement immatèrielle, ce sont des chiffres sur un chèque, ou des opérations sur un compte en banque ou par une carte de crédit, la monnaie sous forme de billets ou de pièces est dérisoire face à la monnaie immatèrielle. Donc quand on parle de création monétaire, on ne fait pas référence à l’impression de billets de banques ou à la frappe de la monnaie métallique, on fait référence à une augmentation de la masse monétaire, c’est à dire de la quantité de monnaie ( tout type de monnaie confondu ) en circulation.
Aujourd’hui le pouvoir de création monétaire est détenue principalement par les banques commerciales privées, par le mécanisme des crédits, ou par les banques centrales ( pouvoir qu’elles n’utilisent que très rarement en cas de crise financière ), l’état n’a plus le droit de créer de la monnaie en France depuis 1973 ( et c’est pour cette raison nous le verrons que l’état s’endette ). Par contre c’est toujours l’état qui s’occupe d’imprimer les billets de banque et de frapper les pièces de monnaie par l’intermédiaire de la banque de France.
Aujourd’hui la valeur de la monnaie ne dépend plus des stocks d’or que nous possédons, mais elle dépend de la confiance que les marchés lui accordent par rapport aux autres monnaies ( spéculation ) et de la quantité de cette monnaie en circulation par rapport aux richesses réelles qu’elle est censée représenter. C’est à dire pour l’euro, à la quantité d’euro en circulation par rapport aux richesses additionnées des différents pays européens de la zone euro. L’étalon or n’est plus en vigueur depuis l’après-guerre, depuis les accords de Bretton Woods, vu que la majeure partie de l’or est aujourd’hui détenu par les Etats-Unis.
Il faut savoir que à richesses constantes, si la quantité de monnaie en circulation est augmentée, c’est à dire si la masse monétaire augmente, alors la valeur de la monnaie diminue.
Inversement, si la masse monétaire diminue, la valeur de la monnaie augmente.
Et pour contrôler la création monétaire, le système utilisé aujourd’hui en Europe est celui d’une banque centrale possédant ce qu’on appelle des taux directeurs sur lesquels elle peut jouer pour rendre le coût du crédit que peuvent accorder les banques commerciales privées plus cher ou moins cher.
En augmentant ses taux directeurs, la banque centrale rend les crédits plus chers, ainsi les banques commerciales contracteront moins de crédits et donc la quantité de monnaie créée diminuera.
Inversement en abaissant ses taux directeurs, la banque centrale rend les crédits moins chers, les banques commerciales contracteront plus de crédits et donc la quantité de monnaie créée augmentera.
Car contrairement aux idées reçues les banques n’ont plus besoin de posséder l’argent qu’elles prêtent. Elles ne font que le créer ex-nihilo ( à partir de rien ) par un simple jeu d’écriture. Admettons qu’elles prêtent 1000 euros, elles ne font qu’inscrire dans le compte du bénéficiaire du crédit ces 1000 euros, et dans le compte de la banque elles notent que cette personne doit leur rembourser ces 1000 euros + des intérêts.
Donc quand l’argent est remboursé, c’est comme si la monnaie correspondante avait été détruite.
Il faut savoir néanmoins que les banques ne peuvent pas prêter à l’infinie, elles doivent posséder une certaine quantité de monnaie réelle ( billets de banque / pièces ) pour faire face aux retraits d’argent, et c’est cette quantité de monnaie qui définie en proportion la quantité de monnaie qu’elles peuvent prêter. Cette monnaie est appelée aussi monnaie "banque centrale", car elles doivent demander cette monnaie à la banque centrale qui peut le leur refuser ( ce qui n’arrive jamais en fait ).
V) 1973 : Réforme de la banque de FranceEn 1973 a eu lieu une réforme très importante de la banque de France, et évidemment, le domaine monétaire étant technique et réservé à des spécialistes cette réforme est passée innaperçue, et n’a pratiquement pas fait débat au niveau politique (c’est grave d’ailleurs c’est une preuve soit de leur incompétence soit de leur malhonneteté).
Cette réforme se justifiait par ses défenseurs afin de lutter contre l’inflation, tous ces spécialistes étant épris subitement d’une nouvelle passion, celle des théories monétaristes et néo-libérales de Milton Friedman qui préconisaient entre autre pour lutter contre l’inflation la liberté bancaire, l’indépendance de la banque centrale et de retirer le pouvoir de création monétaire à l’état.
Et c’est une version transformée à la sauce européenne de ces théories par certains théoriciens du FMI, dans le cadre de la construction européenne et du marché commun, qu’ils l’ont peu à peu mis en place.
Dans cette réforme, en 1973, ce qui nous interesse particulièrement mais qui peut paraître aux premiers abords anodin, est l’interdiction pour la banque de France de prêter de l’argent à l’état ou tout organisme publique.
Milton Friedman expliquait que laisser le pouvoir de création monétaire à l’état, c’était s’exposer à ce que les gouvernements usent de la création monétaire à des fins électorales et génèrent ainsi de l’inflation.
Malheureusement cette interdiction est la cause de l’explosion de notre dette publique.
En effet, c’est très simple à comprendre, avant 1973, lorsque l’état avait recours à des emprunts pour financer ses politiques publiques, celui-ci empruntait à la banque de France, et il ne payait pas d’intérêts. ( En réalité il procédait de 2 manières différentes, soit effectivement il contractait auprès de la banque de France des emprunts à taux zero soit il payait des intérêts à la banque de France, mais comme l’état était seul actionnaire de la banque de France depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il récupérait ces intérêts sous forme d’impots sur les bénéfices ou via des dividendes. )
Pourquoi l’état ne payait pas d’intérêts ? Tout simplement parceque parcequ’emprunter à la banque de France c’est pour l’état comme s’emprunter à lui-même, il utilisait son pouvoir de création monétaire.
Par exemple :
Si l’état voulait emprunter 100 millions d’euros pour financer un vaste programme de construction de logements, ou débloquer cet argent pour financer la reconstruction d’une région dévastée par une catastrophe naturelle, la banque de France inscrivait dans ses comptes que l’état devait rembourser ces 100 millions d’euros en x années, et créditait les comptes du trésor public de ces 100 millions d’euros, exactement comme font les banques privées aujourd’hui quand elles font un crédit.
L’état ensuite petit à petit remboursait avec les recettes de ses impots. Grâce à l’outil de la création monétaire, pas d’intérêts à payer pour l’état !
Après 1973, l’état ne pouvait plus emprunter à sa banque centrale. Pour financer ses politiques publiques, l’état dois désormais emprunter comme on l’a vu plus haut à des acteurs économiques privés ( banques / assurances / organismes financiers / rentiers ) et a du depuis payer des intérêts.
Les conséquences de ce bouleversement sont évidentes, depuis cette date les intérêts à payer se sont accumulés, jusqu’au moment où le budget de l’état est entré en déficit, ce déficit comme on l’a vu alimentant la dette et perpétuant ainsi un mécanisme vicieux qui a fait exploser la dette jusqu’à 1200 milliards d’euros en 30 ans.
Sans cette interdiction, l’état n’aurait eu absolument aucun intérêt à payer, l’argent qui a été dépensé depuis pour payer les intérêts aurait pu servir à rembourser la dette elle-même, aujourd’hui nous n’aurions que très peu voir aucune dette, et plus important encore nous n’aurions pas 40 milliards d’euros en moins chaque année dans le budget de l’état, 40 milliards qui au lieu d’enrichir banques / assurance / organismes financiers et rentiers, pourraient servir à autre chose de plus util pour l’intérêt général ...
Et étrangement les pbs de financement des retraites ou de la sécurité sociale seraient forts relatifs ...
VI) Une politique vérouillée au niveau européenCette interdiction a donné lieu à une loi en 1993, afin de mettre la législation francaise en conformité avec le traité de Maastricht. Et là encore c’est passé innaperçu et n’a donné lieu à aucun débat.
L’article de loi est le suivant :
"Art. 3. - Il est interdit à la Banque de France d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics. L’acquisition directe par la Banque de France de titres de leur dette est également interdite. Des conventions établies entre l’Etat et la Banque de France précisent, le cas échéant, les conditions de remboursement des avances consenties jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la présente loi au Trésor public par la Banque de France."
Et cette interdiction a été portée au niveau Européen grâce au Traité de Maastricht, article 104 :
"21.1. Conformément à l’article 104 du traité, il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite."
Et cette interdiction a été reprise dans tous les autres traités et est actuellement l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ( 2ème partie du Traité de Lisbonne ).
Je pense que ce vérouillage est suffisant pour prouver l’importance de cette interdiction pour ceux qui l’ont établie.
VII) Une politique contestableSi effectivement l’inflation ( dumoins l’inflation provenant de la monnaie ) aujourd’hui est relativement maitrisée, avec du recul, et à la lumière de ces explications, on peut se demander à quel prix ...
On l’a vu plus haut, avec ses taux directeurs la banque centrale peut freiner ou diminuer les crédits accordés par les banques privées, et ainsi maitriser la stabilité de la valeur de la monnaie. Hors à quoi servent les crédits ? Ils servent à investir si ces crédits sont contractés par des entreprises, ou à consommer si ces crédits sont contractés par des particuliers ... Freiner les crédits c’est tout simplement freiner l’activité économique, c’est à dire la croissance ... Et si évidemment ce n’est pas la seule cause de la faible croissance économique que nous connaissons dans la zone Euro, il est évident que les choix de la banque centrale de maintenir un euro fort et donc pour cela de freiner les crédits y participe grandement ...
Pour comparer, la banque centrale des Etats Unis, la FED, à l’inverse de la BCE, pour relancer son économie a abaissé ses taux directeurs ...
Avant 1973, certes l’inflation n’était pas maitrisée comme elle l’est aujourd’hui, mais cette inflation était combattue avec des augmentations de salaires pour conserver le pouvoir d’achat des Francais ...
Aujourd’hui l’inflation est maitrisée, mais augmente quand même, les salaires sont gelés, résultat le pouvoir d’achat des Francais diminue. Jean Claude Trichet, directeur de la Banque Centrale Européenne, a demandé récemment à tous les gouvernements à ne pas céder aux volontés d’augmentation des salaires.
La croissance est faible, et la politique monétaire n’aide en rien à changer cet état de fait alors qu’elle en a le pouvoir en favorisant le crédit et donc la consommation et l’investissement.
La dette explose, réduisant les marges de manoeuvre des gouvernements, les obligeant à recourir à des réductions des dépenses publiques, et réduisant les interventions de l’état.
VIII) La solutionSi nous voulons résoudre définitivement le problème de la dette de l’état, il faut lui redonner le pouvoir de création monétaire et le retirer aux banques privées.
Bien entendu ce pouvoir comme n’importe quel pouvoir, car il serait possible d’en abuser, il faut le limiter. Par exemple, on pourrait limiter ce type de recours à l’emprunt pour des politiques qui amènent des créations de richesses ou pour se permettre d’agir avec les moyens adaptés lors de catastrophes.
Et c’est là où cela se complique vu que tout est vérouillé au niveau européen.
Il faut renégocier le retrait de cette interdiction des différents traités, ce qui me semble difficile à obtenir.
L’idéal serait d’obtenir une réforme complète du statut de la BCE et une inflexion de la politique monétaire européenne, ce qui est tout aussi difficile à obtenir, mais qui est une idée qui commence à faire son petit bonhomme de chemin.
Car il faut bien le comprendre, ici on s’attaque à un des piliers de la mondialisation financière néo-libérale.
On ne voit ici qu’un aspect de cette politique monétaire et de ce domaine financier, mais en réalité c’est une réforme plus globale et plus profonde qu’il faudrait mettre en place, c’est tout le système financier qui est à réformer, et on le voit les multiples crises financières de ces dernières années rendent urgentes une telle réforme ...
par logan
à 09:27