Cette interrogation est généralement présentée sous forme d’affirmation par les plupart des économistes officiels et des politiciens du système marchand. Pourtant, elle est loin de constituer une évidence. Le problème est plus complexe qu’il n’y parait.
Pour
bien comprend ce qui se joue dans cette question, il faut revenir à un examen
précis de ce qu’est la croissance économique, et le statut du travail
dans le système marchand.
UNE
FAUSSE EVIDENCE
La
croissance signifiant l’accroissement des richesses produites, et
donc un accroissement, sur la durée, de la production,… il est
apparemment logique de faire l’hypothèse de la nécessité d’un accroissement
de besoin de travail pour procéder à cette augmentation de la production.
Ce
mécanisme est vrai si nous considérons un système de production simple,
c'est-à-dire liant mécaniquement et directement le besoin de travail et
l’augmentation de la production. Or, ceci est faux dans le cas du
rapport marchand, et ce pour deux raisons :
- la production y est liée à des conditions
économiques précises. On produit pour vendre et dans un système
concurrentiel, les conditions économiques de la production sont
déterminantes ;
- le travail n’est pas un acte simple, il est
« médié » par la technologie qui le rend plus efficace,… et donc
permet quantitativement de le réduire.
Ces
deux raisons font que croissance et emploi ne se situent pas dans la
relation simple de cause à effet.
Pour
bien comprendre la complexité de cette relation, il faut revenir au statut
marchand de la croissance et à celui du travail.
LA
CROISSANCE ECONOMIQUE
L’accroissement de la production dans le
système marchand est soumis à des conditions drastiques qui peuvent se résumer
par le simple mot : vendre.
"Vendre »,
contrairement aux apparences, n’est pas la version marchande de « satisfaire
des besoins »… ce qui, après tout, pourrait être le simple et unique
objectif de la production. Vendre est en fait la condition de la réalisation de la valeur de la
marchandise permettant à la fois de récupérer la valeur avancée dans le
processus de production et la valeur nouvelle née de cette
production. Cette dernière est indispensable pour la rémunération du capital
(les dividendes des actionnaires) et l’accumulation du capital (les
investissements).
Si
produire ne remplit pas ces conditions, l’acte de production n’a pas lieu
d’être.
Or,
aujourd’hui, dans l’économie mondialisée, dans le cas d’un pays comme la
France, produire un bien ne se fait plus dans les mêmes conditions qui étaient
celles d’avant la mondialisation.
Avant
la mondialisation la France, comme la plupart des pays « développés et
industriels », se devait, et pouvait, à peu près tout produire car, ce
n’était pas produit ailleurs ou bien cela l’était dans des pays aux mêmes
conditions économiques et sociales (Europe et USA).
Aujourd’hui
la situation est radicalement différente : nombre de biens et services que
la France produisait peuvent l’être, et le sont, dans des pays aux conditions
économiques bien plus avantageuses en terme de compétitivité et de concurrence
sur les marchés (coûts de production très bas). Si la France s’obstine à
fabriquer ces produits, elle ne les vendra pas… donc elle ne les fabrique plus….
donc elle supprime des secteurs de production…
La
croissance économique est donc tout à fait problématique et ne procède pas
d’une simple volonté politique, et même, s’il y avait un lien simple de cause à
effet, entre croissance et emploi, on voit bien qu’elle est loin de présenter
une solution à la question du chômage. Mais il y a plus grave.
L’EMPLOI
ET LE CHOMAGE
L’acte
de travail, dans le cadre du système marchand, n’est pas non plus un acte
simple.
Les
exigences imposées à la production dans le cadre de ce système entraînent deux
séries de conséquences pour le travail :
- le coût de la
main d’œuvre (le salaire et acquis sociaux : protection sociale,
retraites,…) est un élément de l’évaluation de la marchandise produite et
influe sur la décision de produire ou non, au regard des exigences du marché… Si le coût de production est trop élevé, on
ne pourra pas vendre.
- l’introduction
du progrès technique dans le processus de production entraînant une
accroissement de la productivité du travail, relativise celui-ci quant à sa
quantité utilisée… en effet, l’introduction
d’une machine ne réduit pas le temps de travail des salariés mais entraîne une
réduction de leur nombre.
Autrement
dit, dans la situation d’un système marchand mondialisé, le producteur
recherche le coût salarial le plus bas, qu’il trouve… dans les nouveaux
pays industriels (NPI) et est incité à réduire la masse salariale par
l’augmentation de la productivité du travail (l’expérience de l’application
de la loi des 35 heures en France est significative à cet égard).
EN
CONCLUSION…
La croissance peut-elle être le remède au chômage ?
La
réponse positive n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît.
On
comprend pourquoi l’augmentation de la production ne crée pas forcément des
emplois… Certes, un certain nombre seront créés… et ceci sera abondamment
présenté comme un « succès » par les politiciens au pouvoir,
mais globalement ce n’est pas exact.
On
comprend comment même l’hypothèse de la relance de la croissance est
aujourd’hui problématique dans un pays comme la France.
Dans
le cadre de la pensée libérale une politique peut cependant faire
illusion – c’est la déréglementation du marché de la force de travail.
Le
raisonnement est le suivant : les nouveaux pays industriels
s’accaparant l’essentiel de la croissance économique du fait de leurs bas coûts
de production, réduisons en France ces coûts, et en particulier le coût lié à
la force de travail (salaires et acquis sociaux). Cette politique permettra de
limiter les délocalisations et la perte de secteurs de production de biens et
services. Ainsi des activités, donc des emplois, seront maintenus, voire créés
puisqu’il n’y aura plus de raison de craindre des surcoûts liés aux salaires.
Ce
raisonnement est parfaitement logique mais il a pour corollaire une déréglementation
du marché de la force de travail qui signifie la suppression du salaire
minimum, des conventions collectives, limitation du temps de travail,… bref des
garanties imposées depuis plus d’un siècle par les salariés à leurs employeurs,
de même que la liquidation de tous les acquis sociaux comme la protection
sociale et les régimes de retraites…
C’est
cette politique qu’ont mis en place dès le début des années 80 les USA (Reagan)
et l’Angleterre (Thatcher).… C’est vers cette politique que s’orientent Droite
et Gauche confondues dans les autres pays européens… C’est en France la
politique préconisée par le MEDEF.
Dans
ces conditions, la croissance économique pourra, dans une certaine mesure,
limiter les suppressions d’emplois, voire créer des emplois… mais au prix d’un
recul social qui nous ramènera aux conditions sociales initiales du système
marchand, celles du 19e siècle.
Ainsi
donc, la réduction du chômage par une croissance économique conséquente est un
mythe que vont chèrement payer les salariés qui ne contrôlent rien et qui ne
sont même pas sûrs des résultats obtenus.
A
noter enfin que n’a pas été abordé ici, volontairement, le problème aujourd’hui
fondamental de l’équilibre écologique remis en question par la croissance
économique… ce qui complique encore plus le problème d’ensemble.
Patrick
MIGNARD
Voir
aussi :
« LA
CROISANCE, QUELLE CROISSANCE ? »
« LE
TRAVAIL EN QUESTION » (1) (2) (3) (4)
« LOGIQUE
MARCHANDE OU LOGIQUE SOCIALE : IL FAUT CHOISIR »