La Belle Santé De L'UGTG
Depuis que le LKP met le zouk aux Antilles, on assiste en France à des scènes étranges.
Aux Cables de Lyon, par exemple, j'en connais qui, le matin à l'usine, saluent la compagnie par un retentissant : Martinique!
Et les camarades leur répondent poliment (car le Lyonnais est extrêmement poli) : Guadeloupe!
Il ne faut pas s'en étonner.
Le LKP est un collectif d'organisations diverses regroupés autour d'un
syndicat, l'UGTG (l'Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe).
Sa revendication principale est salariale (200 euros de plus par mois pour les bas salaires).
Et le moyen qu'il a trouvé pour obtenir satisfaction est la grève générale.
Rien qui ne soit hors de portée des salariés en France.
Cela les intéresse donc au plus haut point.
Bien que contraste avec la situation en métropole soit saisissant.
Ce n'est pas que nous n'ayons pas, en Europe, d'importants syndicats.
Bien au contraire.
Ils sont nombreux et variés.
Il y en a même pour tous les goûts.
La CFDT plait à ceux qui aiment les barbus.
Et la CGT à ceux qui préfèrent les cheveux longs.
Ces deux syndicats (pour ne citer qu'eux) sont largement plus fameux que l'UGTG.
Ils sont aussi beaucoup plus riches.
Ils gèrent et cogèrent diverses montagnes de pognon dans une flopée d'organismes collectifs ou paritaires.
(Alors que l'UGTG n'a que les yeux pour pleurer, puisqu'elle ne dispose d'aucune représentativité nationale).
Ils représentent une puissance considérable..
Lorsque le Prézydent a un problème avec les meurt-de-faim, c'est toujours à eux qu'il s'adresse.
Jamais à l'UGTG.
Qui est, en comparaison, quantité négligeable.
On pourrait penser que chez nous, les travailleurs sont encore mieux défendus qu'en Guadeloupe.
Seulement voilà.
C'était compter sans un destin fatal.
Depuis plusieurs années, nos organisations syndicales sont en secret torturées par un mal mystérieux.
Elles sont en proie à de véritables hallucinations.
Elles entendent des voix, qui les convient à des négociations.
Elles ont des visions, d'accords signés à la satisfaction des salariés.
On les voit ressortir, hagardes, des palais de la République.
Elles ne semblent plus très bien savoir qui elles sont, ni ce qu'elles viennent de faire à l'instant.
Rien n'est plus pénible que de les voir ainsi s'offrir en spectacle.
Le 18 février dernier, par exemple, elles étaient sur le perron de l'Elysée.
Elles sortaient du sommet social convoqué par le Prézydent.
(A cause de la grève du 29 janvier, et des énormes manifestations de salariés qui avaient eu lieu ce jour là).
En apparence, tout semblait normal.
Elles déclarèrent que les mesures envisagées n'étaient pas suffisantes.
(Elles s'attendaient à plus, probablement).
Elles râlèrent qu'elles essaieraient de faire une deuxième journée de grève.
(Espérant ainsi doubler, sans doute, les avantages obtenus par cette action.
Ce qui ne devrait pas faire loin, au total, de la tête à Toto).
Mais en mars.
(Car il ne faut pas abuser des bonnes choses, un jour tous les deux mois, c'est déjà énorme).
Bref, elles avaient l'air de tenir correctement leur rôle.
On n'en attendait pas moins d'elles.
Et pas plus, non plus.
C'est une lueur étrange dans les yeux bleus de Bernard Thibault qui a ouvert les miens.
On le sentait comme égaré.
Son regard se perdait vers d'indicibles horizons.
Déjà il n'était plus des nôtres.
Son âme était ailleurs.
Dans d'autres négociations peut-être, traversant un espace infini de
tables de conférence, de dossiers épars, et de feuilles d'éphémérides
s'envolant à son passage.
Qui le saura jamais?
Il ne reviendra plus sans doute.
Il est trop loin, maintenant.
Inquiet, j'ai voulu vérifier ce qu'il s'était passé dans l'après-midi du 18.
Le Prézydent avait amené quelques petites choses pour donner aux pauvres.
Il y avait d'abord des cadeaux fiscaux (c'est sa spécialité) pour la
première et la deuxième tranches (c'est déjà plus rare de sa part) de
l'impôt sur le revenu.
Ce sont surtout les petits salariés et smicards que ces tranches concernent.
Mais il n'y pas qu'eux.
On y trouve aussi pas mal de rentiers,
(Le revenu d'une petite location peut facilement atteindre la valeur d'un smic).
et souvent les malheureux patrons
(qui n'ont même pas une Mercedes à eux, elle appartient à l'entreprise),
sans compter tous les pauvres artisans, commerçants, paysans, libéraux, qui peuplent ce pays.
Le petit cadeau du Prézydent n'était donc pas spécifiquement destiné aux salariés.
Il avait aussi amené une prime pour les chômeurs, un peu dans l'esprit de la prime de Noël pour les feignants du RMI.
Cela partait, à n'en pas douter, d'un excellent sentiment.
C'était particulièrement charitable de sa part.
Mais on ne peut pas dire que les chômeurs soient à proprement parler des salariés.
(Même lorsqu'ils ont envie de le redevenir très vite).
Il avait apporté l'idée d'un fonds d'investissement social, abondé par l'Etat.
C'était probablement une idée géniale (d'ailleurs, elle était de Chérèque, à la base).
Mais qui concernait la banque.
Ce qui n'est pas exactement la même chose que le prolétariat.
Il y avait aussi une prime et des bons d'achat versées aux familles modestes pour la scolarisation de leurs enfants.
Le prolétaire est, par définition, doté d'une nombreuse progéniture.
Cette mesure le concerne, donc.
Mais pas que lui.
D'autres aussi font des enfants, et qui échappent, de ce fait, aux tranches hautes de l'impôt.
Là encore, cet avantage ne lui était pas exclusivement destiné.
Et c'est alors que je m'en suis rendu compte.
Le 18 février, les syndicats, l'Etat et le patronat avaient discuté de
diverses catégories sociales dans le besoin, les chômeurs, les familles
nombreuses, les contribuables et les consommateurs.
Ils n'en avaient oublié qu'une, les salariés.
Alors que c'était leur grève du 29 janvier qui avait motivé cette réunion.
Bernard Thibault lui-même ne s'était rendu compte de rien.
(Alors qu'il se trouvait là en qualité de représentant des salariés)
Il avait bien senti qu'il manquait quelque chose (c'est insuffisant, avait-il déclaré).
Oui, mais quoi?
Il n'était pas arrivé à mettre un mot dessus.
Un véritable naufrage cérébral, qui explique sans doute la situation lamentable du syndicalisme dans notre pays.
Le 19 mars, il y aura une nouvelle journée de grève.
Et en avril, si tout va bien, une nouvelle invitation à l'Elysée.
Espérons que l'état physiologique de nos représentants syndicaux se sera amélioré.
Parce qu'après, c'est fini.
En mai, on sera en pleine campagne des européennes.
En juin, il faudra voter.
Et en juillet, partir en vacances.
L'année revendicatrice se termine bientôt.
A la Guadeloupe, le spectacle est totalement différent.
D'abord, ils n'ont pas choisi la grève d'un jour.
La leur, on sait quand elle a commencé, on ne sait pas au juste quand elle finira.
Ils sont un peu brouillon.
Ils se fatiguent pas non plus à réfléchir.
200 euros d'augmentation de salaire par mois.
On ne peut pas dire qu'ils se soient beaucoup foulés.
On est loin du degré de sophistication où sont parvenues les
revendications syndicales de la métropole (terre de culture et de haute
civilisation).
Le gouvernement avat bien essayé de leur parler intelligemment, comme il le fait avec nos syndicats.
De leur ouvrir des espaces intellectuels.
Nicolas Sarkozy leur avait concocté "des mesures politiques et
sociales" dépassant le cadre étroit de leur revendication salariale.
Lesquelles leur avaient été vantées d'avance par François Chérèque en personne, au sortir de la réunion du 18.
(Oui, je sais, c'est un peu étonnant, mais il n'y avait pas que Bernard à montrer des signes inquiétants d'irréalisme jour-là.
François, ivre du bonheur d'être reçu par Nicolas, se prenait alors
pour un secrétaire d'Etat aux DOM-TOM. Il faisait les annonces.)
On eut beau leur promettre une amélioration sensible du sort des
Rmistes en Guadeloupe, ainsi que diverses mesures dont le cumul pouvait
parfois dépasser les 200 euros réclamés, ce fut peine perdue.
Sourds aux arguments de la raison caritative, ils en restèrent à leur revendication purement salariale.
Et ils sont bien près maintenant de la voir satisfaite.
Car ils ont sur nos syndicats un avantage indéniable.
Ils ont la santé.
Ils gardent les pieds sur terre.
Ils s'occupent des salariés.
Et pas d'autre chose.
Puisque aussi bien, si ça va mieux pour les salariés, ça ira aussi nettement mieux pour tous les autres.
C'est ce que le patronat local a fini par comprendre.
Il est aujourd'hui d'accord pour payer sa part.
Il n'y a guère que le Medef et le gouvernement qui ne soient pas de cet avis.
(Ils pensent au contraire que plus ça ira mal pour tout le monde, et mieux la France se portera).
C'est pourquoi il arrive nuitamment de pleins avions de CRS dans les aéroports des Antilles.
On en est déjà à 4000 depuis janvier.
On dépense, cette fois, sans compter.
Il faut espérer que cet ultime cadeau prévu pour les salariés de Guadeloupe ne servira à rien.