--> En France, aujourd’hui, les nouveaux riches ne font pas que jeter l’argent par les fenêtres, ils y précipitent aussi, indirectement mais moins involontairement qu’ils voudraient le croire, des mères de famille désespérées.
Alors que la presse people – à laquelle ressemblent de plus en plus les news magazines hebdomadaires- se fait l’écho des cadeaux somptueux que s’échangent entre eux nos amoureux de Disney (une montre Patek Philippe* à 45000 € pour Nicolas, une bague Dior à 28000 € pour Carla) et tandis que la majorité parlementaire elle-même, par la voix du Nouveau Centriste C.A** de Courson, s’émeut des 100 à 140 millions nets que le contribuable français devra lâcher au sieur Tapie à titre de compensation dans la cession d’Adidas, une femme de 33 ans, mère de trois enfants***, financièrement aux abois, s’est jetée mardi 2 septembre par la fenêtre de son appartement HLM de Istres (BdR) alors qu’un huissier accompagné de la maréchaussée venait pour l’en expulser.
Décédée des suites de ses blessures, elle laisse trois orphelins et un
compagnon absent au moment, non pas du drame comme on le dit un peu vite dans
l’émotion, mais de la régularisation radicale d’un scandale : cette jeune femme,
mauvaise payeuse, devait 5500 € à l’Opac au titre de loyers impayés.
Une
grosse somme quand même, diront les gens modestes. Environ douze fois moins que
les dernières breloques inutiles portées par notre couple princier -lequel en
possède d’ailleurs beaucoup d’autres-, ajouterons-nous afin de relativiser
l’importance du préjudice pour les bailleurs sociaux, l’Office public
d’aménagement et de construction (Opac) et la Caisse centrale d’activités
sociales (CCAS).
Aux convocations de ces derniers –pudiquement nommées
« demandes de rendez-vous »- la pécheresse n’avait pas cru devoir répondre,
aussi cette mauvaise volonté est-elle censée avoir motivé la décision
judiciaire de procéder à l’expulsion.
Quelqu’un parmi la bureaucratie des organismes sociaux et du tribunal
s’est-il demandé une seule seconde si cette fuite de ses responsabilités ne
correspondait pas à de la désinvolture, mais à un sentiment de plus en plus
répandu chez les petites gens confrontés aux mécanismes d’une société qui n’a de
véritable loi que l’argent : la peur.
Les bureaucrates diront -ils le disent- que la victime était classée
dans l’une des cinq catégories prioritaires pour bénéficier de ce Droit au
logement opposable qui n’existe pas encore, qu’elle aurait donc pu engager un
recours en justice pour profiter de celui-ci quand il entrera en vigueur d’ici
deux mois. En attendant, elle pouvait toujours aller se faire voir où elle le
voulait avec ses marmots.
Inscrite nulle part, elle ne touchait aucune allocation, son compagnon
subvenant seul aux besoin de la famille.
Comme beaucoup d’individus des milieux populaires, mal ou pas informée,
elle ignorait tout des droits éventuels que la machine bureaucratique aurait pu
lui concéder moyennant cette douce humiliation des convocations, des files
d’attente, des remontrances plus ou moins brutales, plus ou moins glaciales,
qu’on inflige aux pauvres pour les punir de leur pauvreté.
Et si la
machine était allée vers elle, plutôt que d’attendre qu’elle vienne
elle-même ?
Si la machine avait fait un effort de compréhension, de compassion, plutôt
que d’abandonner ces sentiments peu rémunérateurs à des associations caritatives
qui font ce qu’elles peuvent pour ramener un peu d’humanité et de justice
sociale dans ce temple de l’argent où l’Etat et souvent les collectivités
locales se sont abîmés ?
Avec Bernard Tapie, la machine sait bien se montrer
bonne fille et diligente, non ?
Et si, tous ces gens sans le sou****, on les logeait gratuitement ?
impossible ? Allons ! dans un système où certains font fortune en déposant un
nom de domaine Internet, c’est-à-dire un système où même le vent s’achète et se
vend très cher, rien n’est impossible.
Maintenant, on peut bien épiloguer, écrire un article avant que la
mémoire d’elle ne s’éteigne tout-à-fait –je ne sais même pas son nom-, elle est
morte, la peur de cet ennemi sans nom (Opac, Ccas, Caf, Anpe) qui devrait être
son frère l’a tuée.
Le juge se porte bien, l’huissier, le commissaire et les gardiens de la
paix aussi.
A la Bourse, on trinque.
* et non Philippe Patek, pauvre plouc !
** Charles-Amédée en toute simplicité.
***1 ½, 4 et 11 ans.
****102 967 expulsions en 2007.
MD