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Pologne, Varsovie - 2007En plein cœur de la ville, des dizaines de milliers de personnes forment un cortège. Elles scandent des slogans, puis les voilà qui s’arrêtent, entonnent des chants religieux, s’agenouillent en signe de piété. On hésite tout d’abord entre le qualificatif de procession et celui de manifestation avant de comprendre qu’il s’agit d’une démonstration d’un ordre particulier : la manifestation processionnelle ou la procession manifestante… Pourquoi sont-elles là ? Pour obtenir l’interdiction de tout avortement. Petite précision : l’avortement est
autorisé en Pologne dans quelques cas : si la grossesse met la santé de la femme en danger, si le fœtus présente une malformation ou une anomalie génétique, si la femme a été violée, si elle ne peut pas subvenir aux besoins d’un enfant. Mais cela est trop, pour ces grenouilles de bénitier : ces petits fœtus qui sont chaque jour assassinés en toute légalité, cela leur est insupportable, à elleux,
les «bon-ne-s chrétien-ne-s». L’interdiction de l’avortement a d’ailleurs été une des premières lois qui a été votée après la chute du régime soviétique, avant les politiques éducatives ou sociales : être «un-e bon-ne chrétien-ne», c’est avoir le sens des priorités…
Retour en France - années 1970
La pilule est passée, reste l’avortement. Si la légalisation de
l’avortement apparaît aujourd’hui comme un acquis évident, issu d’une
progression logique des mœurs et de la société, il a fait l’objet d’un
dur combat. Pour le voir s’imposer, il a fallu bien sûr que des femmes,
dont des personnalités artistiques et intellectuelles signent ensemble
«le Manifeste des 343» dans lequel elles affirment avoir eu recours à
cette opération dont elles réclament la légalité.
Il a fallu aussi qu’une femme soit accusée d’avoir aidé sa fille à
avorter et qu’elle soit défendue par Gisèle Hamili décidée à porter sa
cause auprès des médias. Il a fallu aussi, comble de l’impensable
aujourd’hui, que des femmes invitent des journalistes à assister à un
avortement. Il a fallu cela, et bien d’autres choses, pour qu'un
rapport de force en faveur du droit à l’avortement s’installe, pour que
les chaînes du conservatisme et du dogmatisme soient brisées.
France - 2008
Le droit à l’avortement est passé, reste à le protéger et à en améliorer l’application.
Ces derniers temps, l’idée d’un déremboursement de l’avortement est mis
à l’ordre du jour. Étant donné le coût d’une telle opération, la
liberté de choix serait alors abolie, le droit à l’avortement serait un
droit «creux» pour toutes celles qui ne peuvent supporter ce coût
seules. Au mieux, ce droit serait mis sous tutelle par celleux qui
peuvent leur venir en aide (famille, mari, banque…). Cela semble aller
dans la ligne droite des réformes budgétaires de la Sécurité Sociale. À
ce titre, il convient de préciser qu’un avortement ne coûte a priori
pas plus cher qu’un accouchement.
Autrement dit, c’est un acte politique
qui nous dit, en filigrane, qu’une femme avec enfant vaut mieux qu’une
femme sans enfant, qu’un enfant en plus, c’est toujours, dans toute
situation, bon à prendre. On peut relier cela à un mouvement de fond
qui consiste à valoriser la femme en tant que mère. La candidate
socialiste a d’ailleurs très largement surfé sur cette vague, en
rappelant constamment, qu’elle était «mère de quatre enfants…»
Un autre élément va dans le sens d’une remise en cause de la légitimité
du droit à l’avortement. En effet, jusqu’à peu, lorsqu’un fœtus
mourrait après douze semaines de grossesse, le couple ou une de ses
parties pouvait revendiquer l’existence juridique de ce dernier
(inscription sur un livret de famille, etc.).
La justice française avait fixé ce délai, par jurisprudence, en se
basant sur les catégories de l’OMS. Dernièrement, un couple dont le
fœtus était mort avant le délai de douze semaines, a demandé à ce que
ce dernier ait une existence juridique. L’affaire est montée jusqu’au
Tribunal d’Instance, lequel a estimé que le délai de douze semaines ne
faisait pas office de loi et a modifié la jurisprudence.
Aujourd’hui, donc, un fœtus de moins
de douze semaines peut se voir attribuer une existence juridique. Si ce
changement peut paraître anodin, il doit attirer notre attention. En
effet, le droit à l’avortement est fondé sur l’idée selon laquelle,
avant douze semaines de grossesse, le fœtus appartient à la femme qui
le porte et, par là-même, n’a pas d’existence propre. Aussi, cette
modification de la jurisprudence introduit une incohérence dans la
juridiction française. Une «mise en cohérence» possible serait
d’interdire l’avortement.
Mais, si on peut légitimement s’indigner de ces remises en cause, elles
ne doivent pas nous faire oublier les nombreux problèmes d’application
du droit à l’avortement. L’un des premiers problèmes réside dans le
droit dont bénéficient tous les médecins de ne pas pratiquer
l’avortement. Une proportion très importante d’entre elleux y font
appel, non seulement pour des clauses «morales», mais aussi et surtout,
parce que cette opération est jugée peu valorisante par le corps
médical. Quant à savoir en quoi cette opération est moins valorisante
que d’enlever un appendice… Toujours est-il que les femmes doivent
souvent attendre de nombreuses semaines (ce qu’on n’accepterait d’aucun
autre type d’opération d’urgence) et que certaines d’entre elles ne
peuvent se faire opérer avant le terme des douze semaines. De manière
plus générale, cette opération est jugée de manière très négative par
la société. Dernièrement, on a rappelé qu’une femme sur deux avait
avorté au cours de sa vie. Cela aurait pu être l’occasion de se réjouir
de l’existence du droit à l’avortement, sans lequel une femme sur deux
aurait pu être dans une situation critique, mais cela a été présenté
comme une information particulièrement choquante. De la même façon, on
peut s’étonner que, alors qu’une femme sur deux a eu recours à cette
opération, cette dernière est toujours perçue comme étant
exceptionnelle.
Pour finir, on ne
rappellera jamais assez que le droit à l’avortement, avec le droit à la
contraception, offrent à toutes les femmes la liberté de jouir d’une
sexualité sans peur et sans contrainte et où le désir peut prendre
toute la place qu’il mérite. Il en est bien ainsi. Qu’il en reste ainsi.
*
En Grande-Bretagne, deux médecins doivent donner leur accord pour un
avortement, augmentant le risque de dépasser les délais surtout si
l’un-e d’elleux s’y oppose.
En Hongrie, un avortement coûte le tiers d’un salaire et n’est pas remboursé sauf raisons médicales.
En Pologne, les honoraires des médecins peuvent se montent à des sommes représentant quatre à huit fois le salaire mensuel.
En Russie, les conditions requises pouvant permettre un avortement
(viol, inceste, etc.) ont été réduites pendant que Vladimir Poutine
pense aux enjeux démographiques (propagande nataliste dans le métro).
En Europe de l’Est, les avortements présentant des risques sanitaires s’élèvent à 400.000.
Aux États-Unis, les anti-avortement, soutenu-e-s par le gouvernement,
continuent de gagner du terrain et poussent à une augmentation des
droits du fœtus : en 2004, une loi a été votée pour protéger les
«victimes non nées» qui permet de condamner pour double homicide une
personne ayant tué une femme enceinte.
Dans le monde, sur 80 millions de femmes ayant des grossesses non
désirées par an, 45 millions avortent. Selon l’OMS, 68.000 meurent
annuellement des suites d’avortements clandestins.
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Le CLAS !! c’est quoi ?
Le Collectif libertaire
anti-sexiste est
un collectif d’individus. Nous nous sommes réuni-e-s car nous voulons
créer un outil de lutte contre le sexisme et le patriarcat. Le CLAS,
collectif mixte — car tous les êtres humains subissent le sexisme — est
anarchiste : nous refusons tous les rapports de pouvoir et de
domination. La domination patriarcale conditionne toutes les autres. En
effet c’est la première forme de hiérarchie que rencontrent les
humain-e-s. Le sexisme agence les désirs, les transforme en envies. On
consent à un rôle dominant/dominé, prédéterminé par notre genre ; ainsi
il apparaît naturel que les autres rapports sociaux soient organisés
selon un modèle dominant/dominé. C’est pourquoi le système patriarcal
est l’un des piliers du capitalisme : il est le premier maillon de la
«culture» de l’inégalité. Il prépare à l’acceptation d’autres formes de
domination. La lutte antipatriarcale et la lutte anticapitaliste sont
donc à mener conjointement. Il ne suffit pas de vouloir abattre le
capitalisme et le patriarcat à travers le patronat et l’ordre moral,
encore faut il changer les comportements ici et maintenant.
L’inclassable no 1, 10 juillet 2008
Bulletin du Collectif libertaire antisexiste