--> Comment l'état «sauvage» a-t-il pu produire un être qui ne soit pas fait pour lui ? ( extrait de "Le zizi sous clôture inaugure la Culture" de Robert Dehoux
Lu sur
Le journal mural : "L'Histoire! nous y voilà. La référence aux faits par laquelle tout devrait s'éclairer! A commencer par ce qui distinguerait l'homme de la bête au niveau de l'essentiel.
Malheureusement, les faits d'il y a quelques millions d'années sont plutôt mal connus. Ce qui autorise toutes sortes d'hypothèses.
Je ne m'étendrai pas ici sur la vision de ceux pour qui la différence s'expliquerait par une création à deux vitesses (les animaux le 5e jour, l'homme le 6e), une explication qui, éclairant un mystère par un autre, ne satisfait que le pape et autres intégristes.
Je m'en suis plutôt tenu à la vision des évolutionnistes, de ceux pour qui l'histoire serait une science plutôt qu'une religion. Et qui déduisent du fait que si l'homo s'est différencié du reste, c'est que c'était dans sa nature: «Il s'est différencié parce qu'il est différent!» Voilà tout!
Pour une tautologie, c'en était une fameuse! Et d'autant moins compréhensible de leur part que tout en sous-entendant par là que l' homo n'aurait pas été fait pour l'état sauvage, ils n'en reconnaissaient pas moins que c'est l'état sauvage qui engendra l' homo.
Comment ledit état a-t-il bien pu produire un être contraire à sa nature - et qui, malgré cela, aurait réussi l'exploit de survivre en son sein durant des milliers de siècles, j'étais curieux de l'apprendre :
•«S'ils ont réussi cela, laissaient, en substance, unanimement entendre mes évolutionnistes, c'est simplement qu'il s'est agi d'une lente maturation, d'un long processus, d'une hominisation.
«Ainsi, il y a trois ou quatre millions d'années - du temps de Lucy récemment exhumée -l'homo était encore quasi une bête et se sentait donc à l'aise parmi les bêtes. Disons, comme l'a fort bien noté l'Hegel, Friedrich, qu'il se trouvait alors dans un état de torpeur qui ne lui permettait pas encore de prendre conscience de sa propre sauvagerie, ni du caractère bestial, avilissant de sa condition. Bref, en un mot comme en cent, il n'était pas encore vraiment humain.
«Ce qui sera d'ailleurs sa chance puisque, ne disposant encore d'aucun moyen concret de se sortir de son épouvantable situation, il en aurait été désespéré. À la limite, nous pourrions dire que si nous sommes ici pour en parler, nous le devons à sa bestialité encore intacte. Raison pour laquelle il n'a d'ailleurs pas encore reçu le nom d'homo mais simplement celui d'anthropoïde proto-humain qui le différencie pourtant déjà du simien ordinaire de son temps.
«Lequel temps n'arrêtera pas de couler.
«Les millénaires se succédant par dizaines et par centaines, les descendants de Lucy vont peu à peu se redresser et libérer leurs mains de la locomotion bestiale. Ce qui leur donnera un jour l'idée de faire du feu, des armes, des pots et toute une variété d'outils, avant de parvenir à Neandertal où ils ont reçu le titre de paléanthropiens - un grade qui, mutatis mutandis, correspond à ce que serait pour nous un certificat de fréquentation de la maternelle.
«Ensuite, après avoir quitté Neandertal, nous le retrouvons à Cro-Magnon où il recevra le titre de néanthropien sapiens, un grade qui pourrait bien s'assimiler à un diplôme d'études primaires.
«Et c'est seulement à partir d'alors qu'on s'aperçoit que l'homo était vraiment en train de naître.
«Ainsi, continuant sa progression, le retrouverons-nous bientôt dans les grottes de Lascaux
«C'était il y a environ 15.000 ans, date à laquelle il a reçu son titre d'homo sapiens sapiens magdalénien, l'équivalent du baccalauréat. Une promotion qui correspondra au fait que, tout en évoluant et en taillant, puis polissant, silex après silex, le malaise qui n'était que latent du temps de Lucy, qui s'était sans nul doute annoncé aux alentours de Neandertal et aggravé à Cro-Magnon, s'était, à Lascaux, mué en une crise permanente. Comme si, au fur et à mesure que ses moyens se développaient, notre homo prenant conscience de sa vraie "nature humaine", se heurtait de plus en plus violemment à ce monde "sauvage" qui l'empêchait d'aller "plus loin". Toujours réduit à devoir traiter avec les animaux et se livrer à des "calculs" semblables à ceux des oies et de tout le reste pour assurer sa subsistance, un sentiment d' étouffement le gagnera comme en témoigne son besoin de s'évader dans la peinture de ses cavernes. Visiblement les bisons le tracassaient, et il se posait des tas de questions, attestant ainsi du fait qu'il s'éveillait enfin vraiment à la vie de l'Esprit, que nous étions donc alors déjà présents en lui, tels qu'aujourd'hui nous sommes dans les rues de Londres et de Paris, et que, comme l'Hegel, Friedrich, l'a encore souligné, notre homo commençait enfin à se sentir "un digne objet d'histoire". En raison de quoi, notre évolution étant achevée, (et je dis bien "notre", vu qu'il s'agit alors déjà de nous en tant qu'espèce) nous n'allions plus avoir de cesse que nous n'ayons réuni les moyens d'empêcher les bêtes de se promener comme si elles étaient partout chez elles.»
Voilà, en gros, ce que j'ai retenu du discours historien à propos de l'ère préhistorique, les autres espèces apparaissant de plus en plus bêtes aux yeux d'un homo qui l'aurait été de moins en moins, et qui, réalisant petit à petit la place minable que les autres créatures lui réservaient sur terre, aurait décidé en toute logique (tapissière, bien entendu) de capturer ces dernières, de les massacrer ou de les mettre en fuite, se convainquant lui-même que la terre lui aurait été de tous temps destinée, et devait un jour lui appartenir en propre. Bref, si je m'en tenais à ce discours, l'homo se serait senti dans le monde d'avant comme en situation de légitime défense, et finalement forcé de soumettre la terre entière, non seulement pour assurer sa protection, mais pour réaliser son «être-à-part»» philosophique avec chaussures sur tapis-plain.
Il faut avouer que ça ne manquait pas d'air. Et la seule explication plausible pour une telle vue de l'esprit, c'est que les historiens sont au service du mode de vie qui les nourrit et que leur discours tient de la fable et du roman, mais certes pas du vrai, du gai savoir.
Mais comme j'avais personnellement la chance de ne pas être plus historien que psy ou zoologue, rien ne m'empêcha de m'embarquer pour faire la connaissance de notre homo de la préhistoire.
Lire la suite
ici