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STRUCTURE HISTORIQUE DE L’ÉGLISE
Le tableau des conciles œcuméniques qui touchent à son organisation générale met en évidence certains tournants de l’histoire de l’église. Le premier d’entre eux, celui de Nicée, ne s’est tenu qu’en 325. L’église primitive devait prendre ses décisions autrement.
Suit une période “byzantine” de 445 ans dont les huit conciles œcuméniques sont tous convoqués par l’Empereur de Byzance. 253 ans de silence la séparent d’une période “médiévale” ou “féodale” de 422 ans; ses 11 conciles sont tous convoqués, par le pape, à l’exception de celui de Constance, convoqué par l’Empereur Sigismond pour mettre fin au Grand Schisme (il ne déposa pas moins de trois papes…).
Le concile de Trente qui la termine, inaugure les temps modernes : 306 ans de silence conciliaire que sont venus rompre les deux conciles du Vatican, distants de 93 ans. Nous sommes actuellement dans cette période “post moderne”.
Chacune de ces périodes est caractérisée par l’homogénéité et la continuité de la politique de l’église, ce qui n’exclut nullement les conflits et les changements : En l’absence de tendances opposées, il ne saurait y avoir ni régulation, ni apprentissage.
LA NAISSANCE DE L’ÉGLISE
L’apparition du christianisme n’a rien de remarquable. Ce n’est jamais que l’une des multiples sectes qui foisonnent à cette époque. Il n’est même pas original et sa pensée comme sa légende se retrouvent partiellement ailleurs, par exemple chez les Esséniens ou chez Jean Baptiste. Tous ces mouvements proposent une religion de l’individu : chacun est responsable de son salut auquel l’apocalypse confère un caractère d’urgence. Serait-ce une réaction contre l’ancien testament, contre la notion de « peuple élu » que Dieu protège mais punit collectivement lorsqu’il désobéit ?
Le récit dramatique de la Passion du Christ donnerait à penser que les médias de l’époque ont fait sa promotion, que l’attitude de Pilate aurait contribué à semer le doute sur la légitimité du pouvoir religieux d’alors. Peut-être. Mais la première chance des chrétiens a certainement été la rencontre de Saül, celui qu’on appellera ensuite Paul. De culture grecque, non seulement il sortira la secte du champ de la censure hébraïque, mais il provoquera une exégèse très néo-platonicienne qui lui donnera sa crédibilité auprès des romains, en particulier les plus aisés, les plus riches, des plus lettrés dont la langue préférée n’était pas le latin, jugé trop vulgaire, mais le grec. La seconde chance a certainement été sa persécution par Néron, à la suite de l’incendie de Rome et, peut-être, à l’instigation des rabbins romains. Il s’agit là de la meilleure publicité que pouvaient faire les médias de l’époque: le cirque a mis en avant leur foi plus que leur courage.
Les faits suivants ne relèvent plus du hasard ou de la chance. Pour bien comprendre le caractère politiquement et culturellement agressif de cette nouvelle religion, il est nécessaire de faire le point sur la Rome de l’empire.
A cette époque, les agriculteurs qui ont fondé Rome, se sont constitués en peuple militaire vivant du commerce et de l’esclavage : celui des hommes comme celui des peuples. Une petite minorité - même pas la totalité des sénateurs - se partage les pouvoirs domestiques et proconsulaires, garantie d’une fortune aussi rapide que considérable. Les autres sont relativement inactifs. Ils vivent du clientélisme des grands qui procurent aussi panem et circenses. Pour un citoyen romain, le seul métier honorable est celui des armes, mais cette inactivité ne s’applique pas à ses capitaux. Ce peuple reste mercantile et usurier : des affranchis ou des étrangers issus de peuples vassaux exercent les autres métiers, y compris ceux du commerce et de l’usure qui font fructifier les capitaux des citoyens romains.
Avec le développement de l’empire, les limes (les frontières) ont pris une extension considérable. Pour tenir ce qu’on appellerait aujourd’hui sa place géopolitique, il faudrait que la démographie de Rome soit en progrès. Mais l’espérance de vie des hommes est seulement de 25 ans - moins pour les femmes - et il faudrait une moyenne de 5 enfants par femme pour seulement maintenir la population. Il est évident que la croissance démographique ne permet plus d’assurer la défense de l’empire, d’où le recours à des auxiliaires barbares qui finiront par submerger l’empire d’occident.
On sait peu de choses de l’éthique et de l’idéologie de la plèbe : on ne sait que ce qu’en ont dit les nantis seuls à même de laisser des traces écrites de leurs pensées. Mais à l’opposé de ce qu’on en croit aujourd’hui, ces derniers professaient une rigoureuse éthique sexuelle. Faire ce qu’on a ultérieurement appelé de la chair à canons était un devoir civique. Les femmes étaient mises à la besogne dès 14 ans et si le statut de l’épouse était aussi libéral, c’était peut-être pour assurer un large recrutement à cette entreprise conjugale de production militaire. L’ascétisme sexuel de certains philosophes était mal supporté : certains se sont vus mettre en demeure de procréer et l’adoption venait permettre à ceux qui n’avaient pas d’enfant de se mettre en règle avec cette obligation civique. Plutarque a formulé cette évidence dans ses préceptes de mariage ; elle découle aussi des politiques natalistes des différents empereurs.
Citoyen d’un peuple qui se croit supérieur et appelé à dominer, le romain ne conçoit pas une filiation sans éducation ; c’est ce qui explique l’abandon des nouveaux nés : à quoi aurait servi de laisser vivre des enfants auxquels on ne pouvait donner une bonne éducation de citoyen romain ? Cette austérité procréatrice est masquée par la tolérance de la société romaine envers les désordres sexuels de l’adolescence, une tolérance qui allait jusqu’à supporter une homosexualité transitoire - les élites envoyaient leur fils parfaire leur éducation à Athènes - mal tolérée ensuite si elle entraînait un refus de procréer.
La nouvelle religion se développe loin de Rome, là où elle ne se heurte pas à la politique de l’empereur. Jésus aurait pris soin d’éviter l’affrontement de sa dimension monothéiste avec le culte d’Auguste, dont les juifs étaient d’ailleurs dispensés. Au départ, il ne s’agit que d’une secte qui prospère en recrutant ce que, dans un langage moderne, on peut repérer comme des citoyens de base de la romania. Elle doit beaucoup à la littérature apocalyptique hébraïque, puis chrétienne dont la plus connue est celle de Jean, mais les épîtres de Paul ne s’en désolidarisent pas. Cette attente du Jugement Dernier incite à la pureté. Austérité sexuelle, refus des armes (le V° commandement) et de l’argent (la parabole du chameau) sont une nécessaire préparation à ce “jugement dernier” ressenti comme imminent. Tous trois agressent les fondements mêmes de la société romaine. Cette trilogie vaut qu’on s’y arrête un instant...
La codification de la production et de la circulation des biens, de la relation à la mort, de la procréation, constituent une grille d’analyse de toute culture, une grille complète si on y ajoute les fantasmes d’une représentation du monde et de l’homme. La dimension du sacré n’en est pas absente : elle est consubstantielle aux rites qui codifient ces trois activités et au credo cosmologique. Cette quatrième dimension, à peine ébauchée par La Genèse, ne pose pas de problème majeur dans l’antiquité tardive qui voit naître et croître le christianisme. A cette époque, tous les peuples méditerranéens partagent à peu près la même vision du cosmos, du caractère singulier de l’homme et de l’infériorité de la femme. Il faut attendre l’affaire Galilée pour voir la religion s’engager sur le terrain cosmologique avec le succès l’on sait…
Les trois refus du sexe, de la mort et de l’argent vont organiser l’idéologie de l’église jusqu’à ce jour, mais selon les périodes, l’accent sera mis différemment sur chacun d’eux.
La nouvelle religion donne de sa phase initiale une description idyllique qui ne permet pas de comprendre l’apparition d’hérésies autrement que comme une prestation diabolique. Le regard du psychologue conduit à une autre perception, que les historiens modernes ont fini par exprimer.
L’image traditionnelle de l’histoire de l’Église, tracée fermement par Eusèbe de Césarée, mais présente dès les débuts de l’hérésiologie, suppose à l’origine la pureté et l’unité de la foi et fait de l’hérésie un phénomène postérieur, un abandon ou une trahison. Cette conception classique, perpétuée dans l’historiographie confessionnelle, a été renversée par W. Bauer en 1934 dans un livre qui ne cesse depuis lors d’alimenter le renouvellement des études sur le sujet. La plus assurée des thèses de Bauer est celle qui conclut à la diversité des formes du christianisme primitif, à l’influence prépondérante, en certains endroits, de tendances considérées par la suite comme hérétiques et à la portée toute relative des concepts d’hérésie et d’orthodoxie. Elle rétablit les droits de l’historien en un domaine que des siècles d’apologétique, de divergences confessionnelles, de querelles théologiques, voire de guerres, ont livré aux passions partisanes.
Au début, il ne s’agit que de petites églises, de petits groupes, réunissant une poignée d’initiés qui élisent l’un d’entre eux comme prêtre (presbitre). Malgré la présence de l’évêque (épiscope signifie surveillant ), en l’absence d’une doctrine bien définie, chaque groupe recherche sa voie, celle qui mène au salut, à la vie éternelle. Elle interprète à sa manière ce qui lui a été transmis de la parole de Jésus. En l’absence d’un dogme, les discussions vont bon train. Quand on a renoncé à tout pour faire son salut, on a besoin d’y croire, d’être certain de son choix. Chaque église élabore sa doctrine et les épîtres de Paul sont là pour en montrer la diversité. Ce qui va poser des problèmes de rivalités entre églises : comment pourrais-je tolérer une Vérité qui, en démentant la mienne, menace mon salut ? Le débat va jusqu’à une médisance de l’autre église, médisance qui sera reprise contre les chrétiens par les païens. Tout naturellement, c’est dans les milieux de culture grecque que les débats sont les plus divers, les plus sophistiqués : les meilleurs rhéteurs s’imposent.
Ce phénomène ressemble fort à celui des sectes telles que nous les connaissons aujourd’hui. Le prêtre est un gourou qui parle et séduit ; les autres se contentent de le suivre. Certains gourous se mettent à écrire et nous avons les noms et les œuvres de nombre d’entre eux. Ce sont elles qui permettent aux différentes églises de se connaître … et de se déchirer. Déjà s’amorce le phénomène qui conduira aux débats théologiques, aux hérésies et aux excommunications.
Dans la période initiale, seule la dimension sexuelle est explicitement débattue. C’est toute la littérature consacrée à la virginité et au mariage. La relation à la mort ne pose pas de problème politique : l’immense majorité des chrétiens ne sont pas citoyens romains et n’ont pas d’obligations militaires. Quant au problème de la richesse, il n’engage que les particuliers et ne dérange pas l’ordre culturel.
Le succès même de la nouvelle religion l’oblige à s’adapter. Une tendance s’oppose à l’extrémisme apocalyptique ; elle tempère et modèle la construction de la doctrine. Dans la mesure où la nouvelle religion progresse, elle touche de plus en plus de citoyens bien insérés dans la société civile. Ces pater familias, ces matrones romaines, attirés par les perspectives radieuses de l’au-delà chrétien, ne sont pas pour autant prêts à renoncer à leur vie sociale. Contrairement aux extrémistes, ils commercent, acceptent les obligations militaires et la procréation. Cette dernière dimension s’impose lorsque, le temps passant, l’imminence de l’apocalypse devient moins évidente et la pérennisation du peuple chrétien plus nécessaire. Cette ouverture à la vie civile se perçoit déjà dans les épîtres de Paul, surtout, dans les dernières, aujourd’hui reconnues comme apocryphes et dont la nécessité : sociale, politique, culturelle apparaît sous cet éclairage.
Cette tolérance nouvelle va pousser au désert ceux qui la refusent pour eux-mêmes, posant les premières pierres de ce qui deviendra le mouvement érémitique puis monastique, et créer la classe intermédiaire des séculiers : de ceux qui pratiquent une austérité sexuelle qu’ils n’imposent que partiellement à la masse des fidèles et acceptent pour l’église une opulence qu’ils refusent pour eux-mêmes.
« C'est ainsi qu'en l'Église du Christ deux genres de vie ont été institués : l'un dépasse le genre de vie commun et humain; il n'exige ni mariage, ni descendance, ni propriété, ni fortune [...] Comme des êtres célestes, [ceux qui l'ont embrassé] regardent d'en haut la vie des autres hommes, accomplissant un sacerdoce pour toute la race en l'honneur du Dieu de tous les êtres [...]
Et l'autre, plus modeste et plus humain; il s'applique à un chaste mariage et à la procréation des enfants, et il prend soin du bien familial, et il décide des opérations militaires selon la justice; il permet de songer à l'agriculture, au commerce et aux autres activités plus propres à la cité, sans négliger le culte de Dieu ». -Eusèbe de Césarée-
La création des nouveaux sacrements, qui caractérisent la nouvelle religion, semble avoir masqué cette ségrégation sociale remettant en question la fraternité christique qui distingue les chrétiens des juifs.
«Conjointement à la structure pastorale et articulée sur elle, il faut également signaler, comme faisant partie de l’institution essentielle de la communauté chrétienne, la structure sacramentelle. Dès les origines, et par une volonté expresse de Jésus, la communauté célébra le baptême comme sacrement d’entrée en christianisme, et l’eucharistie (aussi appelée «fraction du pain») comme sacrement plénier de la vie en Église. D’autres sacrements prennent place derrière ces deux sacrements pilotes : la confirmation, le mariage, le sacrement des malades, la pénitence et l’ordre (ordination). Leur nombre, et surtout leur pleine identité de sacrements, n’apparaît pas tout à fait clairement dans les écrits du Nouveau Testament: ce qui explique que les chrétiens protestants ne les reconnaissent pas tous». -Pierre Liégé-
Il s’agit en fait d’une structuration du champ social qui donne pouvoir à certains sur d’autres :
«Lorsque s’organise la discipline du sacrement, au IIIe siècle environ, elle comporte d’abord l’entrée en pénitence, qui est un acte public accompli dans l’assemblée, après l’aveu de la transgression fait à l’évêque, toujours en secret. Le pécheur entre ainsi dans l’«ordre des pénitents», où il demeure plus ou moins longtemps selon les circonstances: non seulement il est privé de la participation à l’eucharistie et aux autres sacrements, mais il doit mener une vie mortifiée, s’imposer des jeûnes et des aumônes et se soumettre à certains interdits concernant la vie conjugale et sociale, interdits qui persistent même après la réconciliation. Celle-ci se déroule en présence de la communauté, généralement le Jeudi Saint ; l’évêque rétablit alors le pécheur dans la communion de l’Église». -Robert Cabie-
Les structures initialement démocratiques, s’appuyant sur le presbitre et l’épiscope, se sont déjà transformées en structure hiérarchisée qui manipule le citoyen de base par la culpabilité.
Et cette structuration autoritaire fonde la relation de l’église à l’argent : Ceux qui sont dans la vie civile se font pardonner leur laxisme par des offrandes suggérées, quantifiée -la dîme-, exigées éventuellement par la menace. Par ce biais, l’église se constitue en communauté riche de gens pauvres. Le clergé propriétaire ainsi créé s’inscrira dans la logique de la société romaine : il gèrera âprement une fortune considérable mais respectable parce que rassemblée ad majorem gloriam dei. Cette pauvreté des personnes sera établie dès l’an 300 par le concile d’Elvira qui interdit l’usure (au sens large que l’église lui donne) aux prêtres et en 626, le Concile de Clichy étendra cette interdiction aux laïcs. Nous reviendrons sur cette dimension capitaliste de l’église.
«Redevance, en nature ou en argent, portant principalement sur les revenus agricoles, la dîme, au Moyen Âge, est destinée à permettre l’exercice du culte par l’entretien du clergé et des lieux de culte, et à fournir assistance aux pauvres.
On lui trouverait de nombreux antécédents dans l’Antiquité, juive en particulier. La tradition chrétienne la relie aux dons volontaires des membres des premières communautés. Des textes du III° siècle (Cyprien, Origène) montrent que l’usage de verser un dixième de ses biens à l’Église est courant; et Ambroise de Milan au IVe siècle en fait une obligation de conscience. Le pape Damase, au IV° concile de Rome, en ordonne le paiement sous peine d’anathème, et Augustin d’Hippone se montre très strict dans ce sens (début du V°siècle.). Les conciles de la Gaule mérovingienne exhortent les fidèles à payer la dîme pour apaiser la colère de Dieu qui se manifeste par les guerres et les troubles variés de l’époque (IIe synode de Tours, 567), puis menacent d’excommunication ceux qui refusent de verser cette redevance (concile de Mâcon, 585). Cette obligation souvent répétée, donc sans doute assez mal respectée, devient effective quand le pouvoir civil - en l’occurrence le roi et l’empereur carolingien - la reprend dans la législation d’État par le capitulaire d’Herstal (779), répété par plusieurs autres documents analogues de Charlemagne (780, 789, 801), confirmés par Louis le Pieux, puis par Charles le Chauve (877). Le fait que les Carolingiens aient rendu la dîme obligatoire est à mettre en rapport avec les concessions par le roi de terres ecclésiastiques à des laïcs, les dîmes venant compenser en partie les injustices commises par Charles Martel et ses successeurs à l’égard des Églises.» - Michel Sot -
Quand on en arrive à cette situation structurée, dès la fin du premier siècle et tout au long du second, beaucoup de choses ont été dites, débattues et écrites essentiellement en grec. Ce débat, qui pourrait paraître typiquement chrétien, s’inscrit dans un mouvement plus vaste. Aux pères de l’Église, il convient d’ajouter (au moins) Plutarque, Marc Aurèle et Galien. Au centre du débat, la sexualité : Les préceptes du mariage de Plutarque, les traités médicaux de Galien (de semine, de usu partium) viennent répondre et compléter la littérature chrétienne qui traite, en particulier, de la monogamie, c’est à dire de la possibilité ou non pour le veuf de se remarier (la polygamie des sémites n’était pas concevable dans le monde romain très centré sur la qualité de l’éducation des futurs citoyens). L’évolution de l’église sur l’argent ne semble pas avoir fait l’objet d’un débat mais seulement d’une justification auprès des païens : il s’agit d’un simple retour à la normalité romaine dont les apocryphes de Paul semblent avoir été les principaux chantres. Cet abandon de l’austérité initiale, cette acceptation du langage très concret de la propriété est probablement l’une des composantes du succès de l’église dans la Romania, l’un de ses gages de normalité. Les chrétiens, initialement considérés comme des extraterrestres, deviennent ainsi normaux, leurs autres renoncements s’expliquant pleinement par leur foi et leur soumission à la volonté de leur Dieu dont l’aspect le plus spectaculaire est le martyre. Et nous abordons ici le problème de la mort.
Pour les chrétiens, en vertu du V° commandement, donner la mort est impensable et c’est en catimini qu’on reconnaît l’existence de la guerre. En revanche, la recevoir est au début un mode de propagande (qui s’est poursuivi jusqu’à nos jours avec les missionnaires coloniaux) et ultérieurement un outil de l’autorité culpabilisante. Cette composante est déjà présente - à côté d’un évident masochisme - lorsque Paul dit (I° épître aux Corinthiens): «Je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses pour le Christ; car, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.»
Les premières persécutions ne sont pas imputables aux romains mais aux juifs : Celle d’Étienne en 37 (votée par Saül avant sa conversion), puis de Jacques, le frère de l’évangéliste Jean, en 43. C’est seulement en 64, dans la foulée de l’incendie de Rome, que Néron ordonne la première persécution, sinon la plus importante, certainement la plus spectaculaire. Il ne promulgue pas pour autant de loi contre la religion et l’empire ne procède pas à des poursuites systématiques : il se contente de supplicier ceux qui sont dénoncés. La persécution de Lyon, en 177, ne prend une grande importance que lorsque, 100 ans plus tard, Eusèbe de Césarée diffuse une lettre des chrétiens de Lyon et de Vienne à leurs frères d’Asie et de Phrygie. Les quatre vagues suivantes, en 180, 197, 203 et 211-213, n’atteignent pas cette violence et Tertullien alors en vedette par ses écrits, peut les traverser sans dommage. En revanche, celles des empereurs Dèce (249-251) et Dioclétien (284-305) sont particulièrement sévères.
Ce qui ressort de la littérature chrétienne contemporaine, ce n’est pas une plainte contre ces agressions mais bien un débat sur les lapsi, ceux qui, pour sauver leur vie, ont abjuré leur foi. Doit-on ou non les admettre à nouveau au sein de l’église ? Le martyre constitue une vitrine de la foi et les lapsi viennent troubler le message publicitaire des martyrs.
À cette articulation du second et du troisième siècles, si l’Église n’a pas trouvé une forme définitive qu’elle ne trouvera d’ailleurs jamais, elle a déjà mis en place l’essentiel des structures et des croyances qui vont lui permettre de gérer ses fidèles et de propager la foi. Ses sacrements sont définis ainsi que sa doctrine qu’elle va progressivement imposer à ceux qui ne se veulent pas hérétiques.
Elle a surtout trouvé son style: elle a inventé l’autorité. À la violence physique: la lapidation des hébreux, le supplice des Romains, elle a substitué une violence psychique: un chantage à la mort éternelle. Cette dimension, aujourd’hui usée mais toujours présente, se perçoit bien à travers un film américain des années 40 : “Les cloches de Notre Dame”. Une communauté d’admirables religieuses est menacée d’expulsion par son riche propriétaire qui veut utiliser le terrain pour une spéculation foncière. Elles lui jettent un sort: elles lui annoncent que, chaque fois qu’il entendra les cloches du couvent, cela lui rappellera que son comportement prépare sa damnation. Et de fait, chaque fois qu’il entend les cloches, il est pris de panique et finit par leur donner le terrain.
Dans la morale de tout le monde, il s’agit d’un chantage, ce qui n’a pas empêché le public de trouver le film admirable : les religieuses agissaient évidemment pour le sauver et, en tous cas, ad majorem gloriam dei.
Ne nous trompons pas : dans l’optique qui est la nôtre aujourd’hui, ce recul de la violence physique constitue un incontestable progrès. Au passage, admirons la pertinence épistémologique de la démarche : elle est infalsifiable et sa Vérité se maintient quoi qu’il advienne. Elle traduit aussi une incapacité à se représenter l’autre. Elle porte en germe le pari, logiquement stupide, d’un Pascal qui, présupposant l’existence de Dieu, évoque ce qu’il y a à perdre à l’offenser mais ignore ce qu’il y a à perdre à renoncer à certains plaisirs au nom d’un Dieu «qui n’existerait pas».
Si le premier siècle avait seulement vu s’affronter la foi du charbonnier de Pierre et la subtilité grecque de Paul, si les débats se faisaient en grec et au moyen orient, le second siècle voit se développer, parallèlement aux apports de Pantène, Clément d’Alexandrie, Origène, une littérature religieuse latine dont le premier auteur est Tertullien (155-225), qui annonce Cyprien (200-258), Arnobe (260-327) Minucius Felix (son contemporain), Lactance (260-325), Augustin (354-430), ce qui mesure le poids de l’église d’Afrique.
Cette dualité n’est pas surprenante : elle traduit l’opposition des deux cultures qui sous-tendent l’évolution de l’empire initialement romain.
La culture proprement romaine est absolument matérialiste : guerrière et mercantile. Celle de la Grèce, dominée par l’apport d’Athènes, est subtile, verbale, curieuse et génératrice d’une richesse culturelle : philosophique et mathématique, dont nous sommes encore aujourd’hui dépendants. La Grèce a exporté son polythéisme à Rome et le grec est la langue des aristocrates, de ceux qui dominent et exploitent la société et dissimulent leur gourmandise derrière un discours éthéré. C’est ce qui explique cette dualité de développement des églises : elles ne s’ignoraient pas, mais elles n’avaient pas les mêmes préoccupations. Ce trait est confirmé par les conciles qui précèdent Nicée : ils se tiennent localement et peuvent même être simultanés, ou presque (260 concile de Rome, 261 concile d’Antioche, 314 concile d’Arles et concile d’Ancyre).
Cette littérature latine chrétienne est beaucoup plus homogène et beaucoup plus concrète que les textes grecs qui l’ont précédée. Elle analyse les comportements plus que les idées et elle le fait dans une langue tout à la fois susceptible de séduire les lettrés de l’empire, et accessible à tous ceux qui lisent le latin. Tertullien dont l’œuvre considérable a été écrite entre 197 et 222, est considéré comme le premier père de l’église d’occident. Son œuvre qui résume bien les débats en cours, insiste sur la discipline comme sur les comportements. Par «discipline» (disciplina fidei ), Tertullien entend les règles qui doivent guider la vie morale du chrétien, mais aussi la doctrine sacramentaire et ecclésiologique, tandis que la «règle de foi» (regula fidei ) récapitule l’essentiel de la Révélation.
«Au premier groupe (197-206 env.) appartiennent la consolation Aux martyrs (Ad martyras), qui invite les chrétiens déjà emprisonnés à supporter les épreuves qui les attendent ; le traité Sur les spectacles (De spectaculis), dans lequel Tertullien dénonce le caractère idolâtrique et immoral des jeux du cirque, du stade, de l’amphithéâtre; la méditation Sur la prière (De oratione), premier commentaire que nous possédions du Pater Noster ; le traité Sur le baptême (De baptismo), particulièrement important pour l’histoire de la liturgie sacramentaire, écrit pour réfuter les arguments d’une secte gnostique qui rejetait le baptême; le traité Sur la patience (De patientia), dont la conception reste profondément marquée par la philosophie stoïcienne; le traité Sur la pénitence (De paenitentia), où sont distinguées, d’une part, la pénitence prébaptismale, à laquelle tout catéchumène doit se soumettre pour se présenter au baptême, d’autre part, la «seconde pénitence» qui consiste en une «confession publique» des fautes graves et ne peut être accordée qu’une fois; le «sermon» Sur la toilette des femmes (De cultu feminarum), qui invite les chrétiennes à se vêtir simplement, à renoncer aux fards et aux bijoux, car la coquetterie est une véritable injure faite au Créateur, puisqu’elle est refus du naturel voulu par lui; enfin, la lettre À sa femme (Ad uxorem), portant sur la question si souvent débattue dans la primitive Église des secondes noces et des mariages «mixtes» (entre païens et chrétiens), celles-là comme ceux-ci paraissant à Tertullien peu compatibles avec la discipline chrétienne.»
Si ces textes sont approuvés par l’église de Rome, elle ne va pas le suivre dans l’exaspération de son ascétisme déjà dépassé à l’époque:
«Mais à partir de 207 environ, sous l’influence montaniste, Tertullien professe une discipline plus rigoriste encore. Il revient tout d’abord sur le problème du mariage, dans l’Exhortation à la chasteté (De exhortatione castitatis), puis à nouveau dans La Monogamie (De monogamia), pour condamner, sans ambiguïté cette fois, les secondes noces et exalter les mérites de la virginité et de la continence; de même, une question naguère abordée incidemment fait l’objet d’un ouvrage entier, Le Voile des vierges (De virginibus velandis), dans lequel Tertullien demande aux jeunes filles de porter le voile, hors de chez elles, comme les femmes mariées. Autre sujet qui le préoccupa beaucoup: l’attitude des chrétiens pendant les persécutions; après avoir admis, d’après Matthieu X, 23, la possibilité de fuir devant elles, Tertullien revint sur cette tolérance, dans le Scorpiace, adressé aux gnostiques (comparés à des scorpions, d’où le titre du traité: «remède contre la piqûre du scorpion») parce qu’ils ne jugeaient pas nécessaire l’épreuve du martyre, et surtout dans un ouvrage ouvertement montaniste, La Fuite en cas de persécutions (De fuga in persecutione, 213). Dans son traité Sur le jeûne (De jejunio), dirigé contre ceux que désormais il appelle les «psychiques», c’est-à-dire les catholiques, il justifie avec passion les observances ascétiques de la discipline montaniste; enfin, examinant une nouvelle fois les questions pénitentielles Sur la pudeur (De pudicitia), écrit sans doute en 217, Tertullien est le premier à opposer aux péchés «rémissibles» les péchés «irrémissibles» (idolâtrie, meurtre, fornication). Parallèlement, le Carthaginois définissait la place des chrétiens dans la cité, en leur interdisant tous les métiers qui de près ou de loin touchent à l’idolâtrie, ainsi que le service militaire (Sur l’idolâtrie [De idololatria], dont la date est discutée; Sur la couronne [De Corona ]).» - Jean-Claude Fredouille -
Sa rigueur l’a finalement conduit à adhérer au montanisme et comme tel à se faire excommunier. Mais ce fait même est porteur de sens. D’une part, il indique que la pensée apocalyptique initiale n’était pas éteinte au début du III° siècle et de l’autre que l’église en était encore à construire son agressivité autoritaire : Il a fallu deux papes pour que la condamnation de cette “hérésie” soit proclamée: «dès 177, la communauté chrétienne de Lyon est alertée à son tour et en écrit aux Églises d’Asie et de Phrygie, ainsi qu’au pape Éleuthère. À Rome, le pape Zéphyrin (198-217), après quelques hésitations, condamne le montanisme». - Pierre Thomas Camelot -
Il semble bien que ce fut la première excommunication pour hérésie. Il faut dire que le montanisme n’était pas seulement une hérésie : il se posait en concurrent de l’église “normale”. A l’époque, comme aujourd’hui encore, l’ordination se faisait par l’imposition des mains et celui qui la pratiquait l’avait lui-même reçue de quelqu’un qui l’avait reçue de quelqu’un … qui l’avait reçue du Christ lui-même. Or Montanus n’avait pas été ordonné prêtre ; il n’avait pas eu avec le Christ le contact indirect et charnel qui conférait au prêtre un caractère sacré. Il se disait directement inspiré par le Paraclet, voire être le Paraclet ; c’était, à l’évidence, un concurrent de l’église de Rome qui en était encore à construire sa place dans la Romania alors que le montanisme représentait la tendance extrémiste destructrice de l’ordre romain, militaire et mercantile. Malgré son apport à la pensée chrétienne, Tertullien était d’autant plus dangereux que la qualité de son œuvre lui donnait une large audience. On comprendra qu’il ait dû être personnellement excommunié. Il n’en est pas moins considéré comme l’un des “pères de l’église”.
Cet extrémisme même donne du poids à son propos sur le mariage et nous fournit un point de repère pour son évolution ultérieure. Il précise que le mariage implique la vie commune et l’accord réciproque. Il est affaire privée : ce sont les parties et non le prêtre qui en sont les ministres: “Nous nous plaisons ; nous décidons de vivre ensemble ; nous sommes mariés. Si l’un de nous change de partenaire, il est adultère”. Augustin confirmera ce point de vue en précisant que son caractère de sacrement est acquis même s’il est secret. Cette position, caractéristique de la conception de l’époque, tiendra de jure jusqu’au concile de Florence (1438) et de facto, jusqu’au XVI° siècle : jusqu’à ce que le concile de Trente entérine le mariage Romain qui est encore le nôtre mais en précisant : matrimonium non fecit coïtus sed volontas. Toutefois, durant l’antiquité tardive, le caractère intime et plus ou moins clandestin des églises entraîne une promiscuité telle que les comportements de chacun sont connus et la surveillance facile. Le sacrement de pénitence est là pour donner à l’église un pouvoir de contrôle.
Si nous mettons bout à bout toutes les institutions que nous venons d’évoquer, il devient évident que l’église ne s’attend plus à un Jugement Dernier imminent. À l’époque, elle ne semble pas avoir d’autre visée que de bien gérer le troupeau de ses fidèles et elle s’en donne les moyens ; rien ne traduit la moindre volonté de pouvoir politique.
Au siècle suivant, c’est aux ermites que s’étendra cette normalisation. La gestion de la pensée chrétienne ne s’accommode plus de la liberté dont ermites et cénobites jouissaient jusque là. Toutefois, il faudra attendre le concile de Chalcédoine (451) pour que les ordres religieux trouvent un statut canonique.
L’église se gère pour durer.
Ma quête des origines de l’autorité me conduit à l’associer à cette surveillance des individus, à cette manipulation par la culpabilité. Elle termine la phase initiale où chacun devait se situer par rapport aux exigences de Dieu. Désormais, le prêtre, et au-dessus de lui¸ l’évêque sont là pour décider si le pécheur est ou non pardonné, s’il peut espérer son salut.
Dans cette période, l’autorité reste toute morale.
Auteur(s) : Robert
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Cercamon |
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